La grande traversée de l’Ouest en bus et autres textes beat

Carnet de routes sillonnant les États-Unis, petits essais sur la Beat Generation, impressions new-yorkaises, liste de principes pour écrire de la « prose moderne »… Un condensé beat en sept textes, furieux et vagabonds.

J’ai lu La grande traversée de l’Ouest en bus de Jack Kerouac, en lecture commune avec Chinouk pour le Centenaire de naissance de Kerouac. Il s’agit d’un recueil de textes extraits du livre Vraie blonde, et autres.

Le recueil contient quelque notes sur le processus d’écriture, sur la Beat generation, sur les voyages aussi. J’avoue que j’aime particulièrement quand Kerouac nous parle de la route, de ce qu’il voit, de ses découvertes alors qu’il voyage. Il a une écriture fantastique quand il nous raconte ce qu’il vit en voyage et quand il partage ses impressions. 

« Épuisant ou pas, il n’y a pas de meilleur moyen de voir l’Ouest que de prendre un bon vieux bus et foncer à toute allure sur de bonnes routes pour arriver dans toutes sortes de villes grandes et petites où vous pourrez descendre et parfois marcher pendant une heure entière. »

J’ai particulièrement apprécié deux textes: celui qui donne son titre au recueil, La grande traversée de l’Ouest en bus qui nous fait vivre l’Ouest américain à travers la fenêtre du bus et via les arrêts dans différentes villes. Les descriptions donnent envie de prendre son sac à dos et de partir. C’est ce que j’aime chez Kerouac, cette capacité à nous transmettre l’émotion relative au voyage. Cette envie de découverte, en dehors des sentiers battus.

Le second texte qui m’a vraiment plu c’est En route vers la Floride. Kerouac accompagne un photographe dans son travail et il nous raconte la vision de deux arts qui se confrontent: l’écriture et la photographie. Il redécouvre son Amérique à travers l’œil d’un photographe et met en perspective son travail en lien avec le processus d’écrire. Kerouac devient alors spectateur de son propre monde. J’ai trouvé que c’était un parallèle et une comparaison très intéressante de deux arts différents.

« Une leçon pour n’importe quel écrivain… suivre un photographe et voir ce qu’il vise… »

J’aime bien également les textes qui racontent le mouvement Beat. On en apprend plus sur la vision de Kerouac vis à vis cette génération et ce qui l’a forgée. On retrouvait des réflexions comparables dans le livre Sur les origines d’une génération que j’avais aussi aimé. Comme Kerouac est une figure centrale de la Beat generation, c’est toujours fascinant d’avoir son point de vue sur un mouvement qui a changé bien des choses dans le domaine littéraire et artistique. 

Un recueil que j’ai beaucoup aimé, avec une préférence marquée pour les deux textes de voyage. Définitivement, j’aime quand Kerouac prend la route!

La grande traversée de l’Ouest en bus et autres textes beat, Jack Kerouac, éditions Folio, 112 pages, 2022

Stranger Things Runaway Max

Qui est Max Mayfield? – Quand on s’est installés à Hawkins, j’étais convaincue que c’était le genre d’endroit où rien n’arrivait jamais. Et pour moi, jusqu’ici les monstres étaient des hommes, comme mon demi-frère Billy… Mais ce soir, la créature que j’essaie d’arrêter vient d’ailleurs, d’une autre dimension. Je suis bien décidée à en finir avec elle, et avec tous les autres monstres. Une bonne fois pour toutes…

J’aime toujours beaucoup découvrir les livres inspirés de la série Stranger Things et les romans officiels. J’ai donc décidé de sortir de ma pile à lire Stranger Things Runaway Max, un roman dans l’univers de la série qui met en vedette le personnage de Max Mayfield, arrivée dans la seconde saison. Au fil de la série, elle prend de plus en plus de place et elle a un rôle très important dans la quatrième saison sortie il y a peu. C’est un personnage que j’aime beaucoup, justement parce qu’elle a du caractère. C’était donc le bon moment de lire ce roman.

Alors, qu’est-ce que j’en ai finalement pensé? J’ai plutôt bien aimé cette lecture, ça se lit facilement. L’idée de me replonger dans l’univers de Max, à son arrivée à Hawkins, me plaisait bien. J’ai aimé ce que j’ai découvert sur elle, même si je trouve que ça ne va pas assez loin à mon goût. Cependant, comme c’est un roman officiel, Max est fidèle au personnage de la série et à ce qu’on peut imaginer d’elle avant Hawkins, avant les monstres et avant que Billy fasse partie de sa famille. On y retrouve aussi des clins d’œil à l’époque où se déroule Stranger Things, soit les années 80: Radio Shack, Terminator au cinéma, les bornes de jeux vidéo et les arcades.

« Les films d’horreur racontaient tous que les monstres pouvaient être vaincus… et les suites, qu’ils revenaient toujours. »

Ce livre a été une lecture sympathique mais loin d’être incontournable. Contrairement aux autres romans de la série que j’ai lu, celui-ci n’apporte pas beaucoup de nouvelles choses. Il se déroule avant et pendant la saison 2 de la série. On apprend des choses sur la vie de Max avant Hawkins, des choses sur son père, sur la dynamique familiale difficile après la séparation de ses parents et le mariage de sa mère avec Neil, qui a amené dans son sillage le violent et terrifiant Billy… On apprend des choses sur le meilleur ami de Max, Nate et sur ses autres amis avec qui elle faisait du skate avant de déménager. Dans son « ancienne vie » ses meilleurs amis étaient aussi un groupe de garçons. On découvre à quel point Neil, son beau-père, est aussi effrayant que son fils et pourquoi Max a fait quelques tentatives de fugue…

« J’avais été une vraie idiote de croire que ma famille pouvait me protéger. Je connaissais la vérité maintenant. Le monde était un endroit immense et chaotique, et j’y étais seule, toute seule. »

Autrement, la seconde partie du roman est une réécriture en accéléré des événements de la saison 2 vécus par Max et racontés de son point de vue. C’était agréable à lire, mais j’aurais aimé que ça pousse un peu plus loin dans la découverte du personnage, surtout que j’ai toujours beaucoup aimé Max. L’aspect le plus intéressant du roman est ce que l’on apprend de sa vie avant Hawkins.

Une bonne lecture donc, un plaisir pour les fans de la série, mais ce n’est pas une lecture marquante. 

Stranger Things Runaway Max, Brenna Yovanoff, éditions Hachette, 306 pages, 2019

Sweet tooth t.4

Il y a de cela de nombreuses années, une mystérieuse pandémie frappa la Terre et décima la quasi-totalité de la population. Aux mêmes instants, une nouvelle espèce – mi-homme mi-animale – faisait ses premiers pas. Gus, hybride livré à lui-même depuis la mort de son père, a traversé une Amérique hostile pour comprendre d’où il venait et qui il était. Il a vécu de nombreuses aventures, trouvé des amis fidèles, l’amour aussi, mais surtout la paix intérieure. Des années plus tard, l’histoire se répète. Un jeune garçon aux bois de cerf se réveille dans un monde qui lui est étranger et dans lequel l’humanité lutte pour sa survie. Cependant, avec le temps, les rôles se sont inversés : les hybrides ont pris leur revanche et les oppressés d’hier sont devenus les oppresseurs.

Après avoir lu les trois premiers tomes de la série Sweet Tooth et avoir adoré, j’étais très curieuse de me plonger dans ce tome 4 car l’histoire de Gus est en quelque sorte complète avec les trois premiers volumes, que je vous conseille d’ailleurs. Ils sont excellents. Ce quatrième volume a germé dans l’esprit de l’auteur lors du travail sur l’adaptation Netflix de la série. L’auteur parle d’ailleurs du contexte d’écriture au début de l’album. Avec la fin du troisième tome, je me demandais bien ce que nous réserverait Jeff Lemire avec cette nouvelle histoire.

Ce quatrième tome se déroule 300 ans plus tard. On suit un jeune garçon aux bois de cerf, coincé dans un monde artificiel, doté de robots surveillants, de « père » une figure centrale et de quelques Nanny qui s’occupent de lui.

« Parfois, c’est comme si la vie de quelqu’un d’autre se déroulait dans ma tête. »

La guerre entre les peuples a ravagé la terre, créant de la méfiance d’une part et d’autre, et des mythes en lien avec l’histoire passée. Parallèlement, il reste encore un monde peuplé d’humains, qui vit sous terre. Les deux mondes entretiennent des croyances sur l’autre camp, mais la lutte pour la survie, même si elle prend d’autres formes, n’a pas changé.

Ce quatrième volume est surtout là pour le plaisir de retrouver un peu l’univers de Sweet tooth, mais il est très différent des autres. Était-il indispensable? Sans doute pas. Est-ce que j’ai quand même eu du plaisir à le lire? Oui. Sweet tooth est un univers brillant dans lequel on a envie de rester un peu plus. J’ai donc eu du plaisir à lire ce tome, même s’il est vraiment plus court que les autres. Je le vois comme un ajout à la série, ou un bonus pour les fans, plus qu’une histoire qui fait partie prenante de la saga.

« C’est une histoire. Celle d’un garçon qui n’était jamais sûr de ce qui était réel et de ce qui ne l’était pas. »

Même si cette lecture a été plaisante, on sent toutefois un décalage entre ce tome et les trois premiers. Mon coup de cœur va définitivement aux trois premiers tomes qui racontent l’histoire de Gus et Jepperd et qui sont tout à fait complets et originaux. Le quatrième est agréable à lire, mais n’a pas la force des trois premiers.

J’ai donc terminé la lecture de cette série qui me restera assurément longtemps en tête. J’ai adoré le travail de Jeff Lemire avec ses personnages et je ne peux que vous conseiller de découvrir Sweet tooth. Je n’avais pas connu ce grand bonheur de lecture avec de bons et passionnants romans graphiques depuis Locke & Key. Du fantastique, un brin d’horreur, un peu de mystère. Ce type de série fait définitivement beaucoup vibrer la lectrice de bd que je suis!

Mon avis sur les autres tomes de la série:

Sweet tooth t.4, Jeff Lemire, éditions Urban Comics, 160 pages, 2021

L’Autre esclavage

En 1542, soit un demi-siècle après le premier voyage de Christophe Colomb dans le Nouveau Monde, les monarques ibériques interdirent l’esclavage des Indiens aux Amériques, du littoral oriental des Etats-Unis jusqu’à la pointe de l’Amérique du Sud. Pourtant, comme le révèle ici l’historien Andrés Reséndez, il a perduré pendant des siècles sur tout le continent. Des centaines de milliers d’autochtones ont ainsi été victimes de kidnapping et d’asservissement brutal, envoyés dans l’enfer des mines d’or ou livrés aux pionniers en tant qu’esclaves, y compris aux Etats-Unis, jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle. Cet esclavage de masse a décimé les populations amérindiennes aussi sûrement que les maladies apportées et transmises par les Européens : à travers des documents inédits, ce récit terrible et passionnant en apporte la preuve. Alors que de nombreux pays, et les Etats-Unis en particulier, sont aux prises avec l’héritage du passé, Andrés Reséndez dévoile un chapitre essentiel d’une histoire douloureuse à laquelle il est plus que jamais nécessaire de se confronter.

Sous-titré La véritable histoire de l’asservissement des indiens aux AmériquesL’autre esclavage est un ouvrage vraiment pertinent et intéressant qui nous ouvre les yeux sur la colonisation et nous permet de mieux comprendre « l’autre esclavage »: celle des peuples autochtones et aborigènes. L’auteur trace le portrait de cette facette peu glorieuse de l’histoire en partant des Caraïbes jusqu’au Mexique, avant de poursuivre vers les États-Unis. 

Ce livre parle de l’asservissement des peuples autochtones et la façon dont cette forme d’esclavage a pu perdurer pendant aussi longtemps. Cet ouvrage complexe amène définitivement une autre lumière sur ce qu’a pu être la relation entre les Blancs et les autochtones. On perçoit un changement de mode de vie des autochtones lors de l’arrivée des hommes blancs. Le troc était bien souvent utilisé au détriment des peuples aborigènes et autochtones, puis était une belle occasion utilisée pour les exploiteurs de les asservir.

Officiellement interdite, mais facilement contournable à cause de lois beaucoup trop faibles, l’esclavage des peuples autochtones était la plupart du temps celle de femmes et d’enfants. Les hommes étaient alors tout simplement supprimés. Les esclaves vivaient dans des conditions inhumaines: enchaînés, violés, exploités jusqu’à la mort. L’auteur parle des tactiques utilisées pour asservir et éliminer des clans. Le travail des autochtones et des aborigènes se déroulait dans des conditions impossibles, dans les champs, les mines, les forges, enfermés jusqu’à ce qu’ils développent de gros problèmes de santé. On déplaçait les peuples sur de grandes distances pour les rendre « plus dociles » et on exploitait les esclaves comme des bêtes, souvent jusqu’à la mort. Une pratique qui a perduré jusque dans les années 1960.

« À Parral, comme dans nombre d’autres mines d’argent du Mexique, c’était les Indiens et les esclaves noirs qui remontaient le minerai à la surface. Charriant des sacs en cuir remplis de pierres, ils devaient ramper dans des passages bas de plafond et grimper en posant le pied sur des « échelles de poulailler » en rondins de pin. Comme les mains du portefaix étaient occupées à s’accrocher à l’échelle, son lourd fardeau – qui pouvait peser entre cent et cent soixante kilos – reposait sur son dis tout en se balançant périlleusement au bout de la sangle qui lui enserrait le front. Les porteurs de minerai étaient communément nommés tenateros, terme dérivé du mot nahuatl tenatl, qui désigne un sac en fibres ou en cuir. Inutile de préciser que le risque de glissade ou de chute était omniprésent. »

L’esclavage que nous connaissons est essentiellement celle des Noirs, qui a été documentée et qui était enregistrée. Celle des autochtones était interdite sur le papier, mais perpétrée assez facilement par ceux qui souhaitaient s’approprier ces peuples et les soumettre à l’esclavage, de là le titre de l’ouvrage « l’autre esclavage ». La cour n’offrait aucun statut aux autochtones, qu’on pouvait facilement accuser de toutes sortes de méfaits et donc, exploiter sans vergogne. Le livre aborde aussi brièvement l’asservissement d’autres peuples: les aborigènes d’Australie, des Philippines, de Chine, amenés en Amérique du Nord où ils subissaient le même traitement que les autochtones. 

Le livre contient plusieurs photos et des dessins qui illustrent le propos de l’auteur. Il contient aussi des cartes utilisées pour expliquer les mouvements entre les pays concernant l’esclavage. Même si le sujet est difficile, j’ai beaucoup apprécié cet essai puisqu’il nous dévoile une facette inconnue et un autre visage de l’asservissement des peuples. Il apporte une lumière différente sur l’esclavage et sur ceux qui ont été exploités. L’auteur a effectué un très grand travail de recherche. Son livre est très riche en informations et particulièrement bien documenté. J’ai pris un moment à le lire, parce que le sujet est complexe et que je trouve important de prendre le temps qu’il faut pour mieux comprendre ce que ces peuples autochtones ont vécu.

L’humain a toujours eu l’envie de posséder des richesses, d’avoir le pouvoir sur les gens, d’exploiter ce qu’il peut utiliser à son avantage. On apprend aussi comment la religion pouvait, d’une certaine façon, donner raison aux esclavagistes qui recevaient une forme « d’approbation » de certaines parties de la population. Les peuples autochtones et aborigènes étaient souvent dénigrés, perçus comme inférieurs, alors les Blancs se donnaient le « droit » de les exploiter et de s’approprier le territoire et les richesses au détriment des gens qui étaient déjà en place. Les esclaves étaient aussi amenés comme présent à la royauté de la plupart des pays qui pratiquaient l’esclavage.

« Mais le plus alarmant était la capacité des missionnaires à torturer et à tuer au nom de Dieu. Le pire de ces bourreaux était le bien nommé Salvador de Guerra, qui terrorisa les villages hopis au cours des années 1650. Comme tous les religieux qui travaillaient dans un isolement presque total, il vivait avec une concubine, malgré son vœu de chasteté. Il contraignait aussi les Indiens à tisser des mantas en coton, imposant des quotas de production à atteindre sous peine de punition. Et pour ce qui était de combattre le Diable, le frère Guerra n’avait pas son pareil: non content de frapper les indigènes qu’il soupçonnait d’idolâtrie et de sorcellerie, il les arrosait ensuite de térébenthine avant de leur mettre le feu. »

Si le sujet vous intéresse, c’est assurément un livre que je vous conseille puisqu’il présente une facette de l’esclavage qu’on connaît peu. C’est un livre essentiel et très bien documenté. Il n’est pas exhaustif, l’auteur le dit lui-même, il faudrait des tomes et des tomes pour traiter complètement ce sujet. Mais cet ouvrage aborde une histoire qui a été bien souvent passée sous silence.

Une lecture à la fois instructive, intéressante, troublante et pertinente. À lire!

L’Autre esclavage, Andrés Reséndez, éditions Albin Michel, 544 pages, 2021

Le jardin sablier

Herbier des Cantons-de-l’Est, Le jardin sablier est un livre calendaire qui a le même effet sur l’âme qu’une visite chez l’herboriste ou un après-midi couché dans l’herbe. Une vie lente, réglée par les demandes du jardin, y est décrite avec compassion. Pivoines attachées, haricots en guirlande givrée, œillets d’Inde et bottes de caoutchouc deviennent les personnages d’une intrigue terrestre qui cache une histoire d’amour.

Le jardin sablier est vraiment le genre de petit livre qu’on aime avoir chez soi pour mieux y revenir de temps à autre. Ce livre-calendrier, qui raconte une saison dans la vie de l’auteure et de son jardin dans les Cantons-de-l’Est, est en fait une relecture pour moi. Je l’avais déjà lu à sa parution en 2007, mais une relecture aujourd’hui, alors que j’ai moi aussi un jardin, prend définitivement tout son sens. À l’époque j’avais adoré ce livre tranquille, contemplatif, plein de douceur sur le passage des saisons et la façon de les vivre comme jardinier. Je pense tout autant de bien de ce livre aujourd’hui. Je crois même l’avoir encore plus apprécié puisque beaucoup de choses ont fait écho à ma propre expérience. J’y ai retrouvé mes propres réflexions face à mon jardin, les doutes, la contemplation, les découvertes, les essais et les erreurs, et le bonheur de jardiner.

Le livre se déroule sur une année et marque le passage des mois d’avril jusqu’au mois de mars de l’année qui suit. Une année entière au jardin, des premiers balbutiements, à la floraison et à la récolte, jusqu’au long hiver où tout est en dormance.

« La nature ne pardonne pas. Elle nous oblige à apprendre de nos erreurs et à ne pas la presser. »

De la pose d’une clôture pour préserver son jardin des chevreuils, jusqu’à l’invasion qui lui fait commettre un geste qu’elle regrettera toute la saison, Le jardin sablier raconte la vie d’un jardin, mais surtout de sa jardinière, au fil du temps qui passe. C’est beau, on sent l’amour profond de l’auteure pour son lopin de terre et les sentiments qu’un jardin peut faire naître chez celui qui s’en occupe. Un jardin fini par devenir le coeur d’une saison, mais aussi le coeur d’une année. Quand on ne jardine par les deux mains dans la terre, on jardine à l’intérieur, on cuisine ce que l’on a récolté ou on pense au jardin de l’année suivante.

« Une maison pleine de magie est une maison délivrée de sa lourdeur. »

Le jardin sablier est aussi un récit sur le jardin comme point central de liens humains, sur le partage de lieux, d’idées, même si jardiner demeure bien souvent un geste solitaire. Voilà donc un livre que je ne peux que vous conseiller, que vous soyez jardinier ou que la nature vous intéresse. C’est une petite plaquette vraiment intéressante, dans laquelle on se laisse bercer au fil des mois. Une lecture en suivant le calendrier peut aussi être intéressante. 

« Quand la vie nous bouscule, c’est rassurant d’avoir les pieds plantés fermement dans le sol et de savoir que demain, la courgette sera juste à point, et qu’il y a le temps pour une autre portée de haricots verts. »

Un petit livre merveilleux, un récit des saisons au fil des plantes, qui fait du bien à lire… surtout si on aime aussi d’amour un bout de jardin. Un livre que je relirai encore assurément.

Le jardin sablier, Michèle Plomer, éditions Marchand de feuilles, 104 pages, 2007

Meurtres sous un ciel de glace

Bien que le printemps tarde à s’installer sur la ville de Chinook et que le froid s’accroche, Thumps DreadfulWater se considère presque heureux, car il a un nouveau but dans la vie : acquérir la cuisinière à six brûleurs qu’il reluque chaque jour dans la vitrine du magasin Chinook Appliances. Mais une demande du shérif Hockney vient chambouler son bonheur tranquille. Thumps a beau sortir tous ses arguments – tu as déjà quatre adjoints, je suis plus que rouillé, etc. –, Hockney persiste et signe : DreadfulWater doit accepter d’être, pour un temps, shérif par intérim de la ville… et il le plonge aussitôt dans l’enquête en cours ! James Lester, le fondateur d’Orion Technologies, une compagnie qui teste une technique révolutionnaire de mesure et de cartographie des nappes aquifères, a été trouvé mort… deux fois : d’abord dans une voiture à l’aéroport, puis dans une chambre de motel. Or, pendant qu’ils cherchent à comprendre pourquoi le cadavre a été déplacé, c’est au tour de Margot Knight, l’associée de Lester, de perdre la vie. Pour Thumps, si les patrons d’Orion ont été tués, c’est qu’ils ont découvert quelque chose de précieux. Mais quoi ? C’est ce qu’il compte bien trouver, d’autant plus que Hockney a promis de lui offrir la fameuse cuisinière à six brûleurs s’il résout l’enquête.

Voici la troisième enquête mettant en scène Thumps DreadfulWater et c’est peut-être même ma préférée jusqu’à maintenant!

Dans ce nouveau livre, DreadfulWater mène sa petite vie tranquillement, entre ses photos et son projet du moment: acquérir la cuisinière de luxe à six brûleurs qui trône dans la boutique Chinook Appliances. Il en faut peu pour rendre un homme heureux! Cette cuisinière, il l’a dans l’œil depuis un bon moment. 

Mais voilà que le shérif veut partir au Costa Rica avec son épouse et demande à DreadfulWater de le remplacer comme shérif par intérim. Ce dernier refuse naturellement. Il aspire à un peu de paix, toujours hanté par une ancienne affaire, les meurtres d’obsidienne. Mais le shérif sait se montrer persuasif. Quand le corps d’un entrepreneur spécialiste des nappes aquifères est retrouvé mort… deux fois les choses deviennent compliquées et DreadfulWater se retrouve mêlé à l’enquête bien malgré lui.

« Je me suis dit que si je dois aller au Costa Rica et faire semblant d’être spécialiste du terrorisme, le moins que tu puisses faire, c’est rester ici et faire semblant d’être shérif. »

Malgré certains sujets graves (l’exploitation des ressources naturelles, l’appropriation de terres ancestrales, la maladie, la délimitation des terres des Réserves autochtones) j’ai trouvé cette enquête pleine d’humour. L’auteur excelle d’ailleurs dans l’art des réparties qui font sourire. Les personnages sont attachants, les dialogues sont souvent rigolos, et sous l’apparence d’une enquête légère, l’auteur aborde des sujets importants qui lui sont chers.

Alors que DreadfulWater se sent fatigué ces derniers temps, Archie le libraire et militant qui a décrété que c’était la Semaine du ciel étoilé et emmerde tous les commerçants avec sa nouvelle lubie, déclare à qui veut l’entendre que DreadfulWater va sûrement mourir, au grand désespoir de ce dernier. Tout comme le shérif annonce à qui le veut, que DreadfulWater sera le nouveau shérif par intérim… alors que le principal intéressé n’a pas encore dit oui! Il y a une dynamique entre les personnages qui est vraiment amusante et on ressent l’ambiance d’une petite ville où tout le monde se connaît. 

Cette enquête est passionnante, pleine d’humour et se lit avec bonheur. J’aime énormément Thomas King. J’adore son personnage de DreadfulWater (et c’est de plus en plus vrai au fil des enquêtes). Je ne peux que vous conseiller de découvrir cet écrivain. Je n’ai pas encore tout lu de lui, cependant tout ce que j’ai pu lire était bon, peu importe le genre. C’est un auteur au style particulier, teinté d’humour et de métaphores. Son enquêteur DreadfulWater est vraiment atypique dans le domaine des romans policier et il est drôlement sympathique et attachant!

Je vous invite à lire mon avis sur les deux premières enquêtes de DreadfulWater:

Meurtres sous un ciel de glace, Thomas King, éditions Alire, 408 pages, 2022