Widjigo

En 1793, Jean Verdier, un jeune lieutenant de la République, est envoyé avec son régiment sur les côtes de la Basse-Bretagne pour capturer un noble, Justinien de Salers, qui se cache dans une vieille forteresse en bord de mer. Alors que la troupe tente de rejoindre le donjon en ruines ceint par les eaux, un coup de feu retentit et une voix intime à Jean d’entrer. A l’intérieur, le vieux noble passe un marché avec le jeune officier : il acceptera de le suivre quand il lui aura conté son histoire. Celle d’un naufrage sur l’île de Terre-Neuve, quarante ans plus tôt. Celle d’une lutte pour la survie dans une nature hostile et froide, où la solitude et la faim peuvent engendrer des monstres… 

Widjigo est un roman prenant qui nous amène dans un monde de légendes. L’atmosphère est tout de suite intéressante dès les premières pages et j’ai aimé le contexte historique, assez rare il me semble en littérature de l’imaginaire. 

Nous sommes en 1793. Jean Verdier est un jeune lieutenant sommé de capturer un noble, Justinien de Salers, qui a trouvé refuge dans une vieille tour de pierres. Contre toute attente, le vieil homme accepte de le suivre à une seule condition: que Verdier écoute son histoire. D’abord méfiant, il accepte finalement. Autour d’une tasse de café, le noble lui parle de ce qu’il a vécu quarante ans plus tôt. Son histoire est celle d’un naufrage et de la survie en pleine nature, où l’horreur, la peur, la solitude, le froid et les monstres ne sont jamais loin…

« Ma mort traverse l’océan. Elle vient des glaces et des neiges. Il y a un Ankou, tu sais, là-bas… À Terre-Neuve. Ce sont les pêcheurs de Bretagne qui l’ont amené. Et d’autres créatures encore, qui étaient là bien avant nous. Qui naissent de la faim, et de la solitude… »

L’histoire racontée par Justinien de Salers se déroule en 1753, dix ans avant que la Nouvelle-France ne devienne une colonie britannique. Nous sommes aussi à l’aube de la déportation des Acadiens qui commencera deux ans plus tard, mais dont on perçoit déjà les prémisses dans ce roman. Le contexte historique est en filigrane, mais contribue beaucoup à l’ambiance du livre. J’ai adoré!

« En tous lieux les histoires se mêlent à ce que nous sommes, cette Terre même que nous arpentons, ces océans au travers desquels nous lançons nos courses. Les histoires nous relient à ceux qui nous ont précédés, également, tout au long des siècles. Ceux qui ont vécu bien avant notre ère, mais aussi ceux que nous avons croisés, ceux que nous avons aimés, ou haïs, et qui sont partis avant nous. »

Un mécène regroupe des personnages variés qui n’ont rien en commun. Ils sont mandatés pour une expédition à la recherche d’une autre expédition disparue, qui n’est jamais revenue. Ce roman, autant dans sa forme que dans le fond, est intrigant. On suit les personnages, qui se retrouvent malgré eux rescapés du naufrage de leur bateau, avec d’autres rescapés. C’est alors que le petit groupe tente de s’organiser et de survivre.

« Comment es-tu certain de n’être pas déjà mort? »

Les lieux sont isolés, la température est hostile. La nature est dangereuse. C’est alors que surviennent des événements troublants et on est rapidement happé par l’histoire. Le roman puise dans les légendes, les mythes autochtones et les histoires de marins, pour nous offrir une expédition étonnante et terrifiante.

Une histoire fantastique qui nous amène en Acadie, avec une atmosphère particulièrement inquiétante et efficace. J’ai beaucoup aimé l’époque du roman et la rencontre improbable des personnages. Si j’avais deviné une petite partie de l’intrigue, d’autre révélations se sont avérées plutôt surprenantes et je ne m’y attendais pas. Le livre est assez court, ce qui nous garde plutôt sur le qui-vive.

Une bonne lecture qui a su me surprendre!

Widjigo, Estelle Faye, éditions Albin Michel, 256 pages, 2021

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Meurtres avec malveillance

La vie n’est pas de tout repos pour Thumps DreadfulWater. Alors qu’il peine à accepter tant son diabète que le cancer de Claire, voilà que la productrice d’une populaire émission d’affaires criminelles, Nina Maslow, débarque à Chinook et insiste pour que Thumps l’aide à réactiver un vieux dossier. De fait, il y a bien des années, Trudy Samuels, une jeune fille de bonne famille, avait été trouvée morte au pied d’une falaise. À l’époque, les penchants de Trudy pour l’alcool et la drogue étant bien connus, toute la population de Chinook, shérif en tête, avait adhéré à la thèse de l’accident… sauf la mère de Trudy, qui a tout de suite accusé le petit ami de sa fille, « un vaurien d’Autochtone ! », de l’avoir tuée. Or, si la productrice tient tant à déterrer ce triste épisode, c’est qu’elle y a flairé tous les ingrédients gagnants de son émission : sexe, racisme et célébrité entachée, car ledit « vaurien », Tobias Rattler, est aujourd’hui un écrivain de grande renommée. Thumps, qui ne comprend pourquoi la productrice tient tant à son aide – il ne résidait même pas à Chinook au moment des faits –, sent toutefois sa fibre policière s’éveiller quand on découvre Nina Maslow – morte ! – au même endroit et dans les mêmes circonstances que la jeune Trudy…

J’adore la série des enquêtes de Thumps DreadfulWater, cet ancien policier Cherokee, devenu photographe. Meurtres avec malveillance est le quatrième de la série, mais les tomes peuvent aussi se lire séparément. Toutefois, c’est toujours intéressant de suivre l’évolution du personnage d’un livre à l’autre. Celui-ci se déroule à l’automne, toujours dans la petite ville de Chinook. Cette fois, la Chambre de commerce a un nouveau programme appelé « Howdy », soit l’accueil des clients et des touristes à la sauce western. C’est totalement loufoque et ça allège un peu les déboires que vit Thumps.

Les choses ne vont pas très bien pour lui: son amoureuse Claire, toujours très indépendante, se bat contre un cancer. Lui-même a été diagnostiqué comme diabétique et il vit dans le déni. Il a aussi prêté sa voiture qui a été emboutie. Elle ne sera sans doute pas réparable et il doit chercher un autre moyen de transport. Finalement, sa chatte Freeway est introuvable.  Même si leur relation est particulière, la bête manque à Thumps. C’est alors que la production d’une émission d’affaires criminelles débarque à Chinook et qu’elle veut à tout prix rouvrir un vieux dossier. Le shérif et la production font appel à Thumps qui, comme toujours, ne demande qu’à avoir la paix. Mais quand plane en filigrane les « meurtres d’obsidienne », l’affaire qui hante Thumps et qui l’a poussé à abandonner le métier, il commence à s’y intéresser un peu plus. Lorsqu’un nouveau cadavre est découvert, en lien avec l’émission de télévision, Thumps n’a d’autre choix que d’accepter de se joindre à l’équipe. Il faut dire qu’on lui force un peu la main. 

« Thumps s’était toujours représenté les crimes comme des casse-tête qu’on achète dans une boutique d’occasion: rien ne garantit que tous les morceaux se trouvent dans la boîte. »

Je crois que de toutes les histoires jusqu’à maintenant, celle-ci est ma préférée des enquêtes de DreadfulWater. L’intrigue est intéressante et comme toujours les dialogues sont savoureux. On retrouve d’anciens personnages comme Al et Archie qui me font toujours rire, mais aussi le mécanicien russe Stas que je trouve hilarant, ainsi que le Shérif et son café légendaire. Il y a toujours le casse-croûte qui ne paie pas de mine où Thumps adore déjeuner (ce qui est problématique maintenant qu’il est diabétique et se questionne sur sa nourriture) et la morgue de Beth qui lui donne la frousse. Les dialogues sont excellents et plein d’humour, on passe un très bon moment! Il me semble qu’il y a un peu plus d’humour dans ce tome et je trouve que ça fonctionne très bien!

« Acte un. Le shérif le tire de force de chez lui.
Acte deux. Le shérif tente de l’empoisonner avec un wrap à la graisse de bacon.
Acte trois. Le shérif l’oblige à trimballer un cadavre jusqu’au sommet d’une montagne.
Acte quatre. Le shérif le contraint à cuisiner l’homme qui a découvert le cadavre.
Bref, il était devenu le Vendredi de Robinson Crusoé. Il lui fallait un meilleur agent. »

Comme dans tous les tomes, il y est question de l’affaire des « meurtres d’obsidienne » qui hante Thumps depuis le tout début de la série. Cette affaire a changé sa vie, lui a même fait arrêter sa carrière et déménager. Elle apparaît toujours en filigrane de toutes les autres enquêtes, mais ici, elle sert en quelque sorte de monnaie d’échange. On sent que bientôt, certaines choses sur cette affaire seront approfondies. La fin du roman et le titre en anglais du prochain tome qui devrait être traduit pour l’automne prochain, nous donnent à penser que les « meurtres d’obsidienne » connaîtront un certain dénouement ou du moins, nous fourniront plus d’informations. Je l’avoue, en terminant ce livre, j’ai déjà hâte de retrouver Thumps. Ce personnage pourtant imparfait, est très attachant!

Une série que je vous conseille, qui parle des autochtones, des réserves, qui offre de bonnes enquêtes et qui est pleine d’humour. Thomas King a décidément un don pour créer des personnages incarnés, présents et profonds, tout en créant des dialogues drôles et amusants même si les sujets traités ne le sont pas toujours.

Une excellente lecture!

Meurtres avec malveillance, Thomas King, éditions Alire, 373 pages, 2022

Le coureur de froid

Médecin venu du Sud, Julien soigne les gens du Nord avec compassion, « à l’ancienne », en ayant autant à cœur la personne que le traitement de la maladie qui l’affecte. Mais il lui manque quelque chose, dans ce Nord : sa fille, restée au Sud. Sur un coup de tête, il entreprend d’aller la retrouver en motoneige, de traverser l’implacable désert blanc, qui, soudain, brise l’élan de son rêve fou. Incapable de poursuivre son voyage à cause d’un bris mécanique, il apprend à survivre seul dans ce froid immense, mais à quel prix ? Se nourrir, se réchauffer, croire en soi afin que l’impossible printemps arrive et permette de terminer son périple.

Les écrits de Jean Désy m’interpellent beaucoup et j’ai quelques uns de ses livres qui m’attendent dans ma bibliothèque. Celui-ci est donc ma première lecture d’un livre de cet auteur. Avec l’hiver, j’avais envie de lire celui-ci. La jolie couverture n’est pas étrangère à mon choix.

Julien est médecin. Il s’est exilé dans le Nord pour fuir le chaos des urgences du sud. Si les grands espaces et l’hiver l’apaisent, les souffrances des gens, les soûleries, les viols et la violence qu’il côtoie au quotidien finissent par l’user. Quand son amoureuse veut un enfant de lui, il repense à sa fille restée au Sud et décide d’entreprendre un voyage complètement fou pour la retrouver: partir en motoneige et traverser les étendues blanches à perte de vue. C’est un voyage au centre de lui-même qu’il entreprend et dans une nature hostile. Un voyage de survie.

« Brave pays de glace qui rend éternels en les ensevelissant les nomades déboussolés. »

Ce court roman est empreint de délicatesse, de poésie, de réflexions sur la vie et d’humanité. C’est aussi une histoire qui met en lumière un homme du Sud, parti vivre au Nord avec les autochtones. C’est une confrontation de deux mondes, du moins dans le cœur du narrateur, qui réalise qu’il ne peut plus vivre au Sud, dans les banlieues, mais qui voyage tout de même pour y retourner, pour sa fille.

« Ce pays recèle un trésor qui n’existe plus dans le Sud: la liberté. »

L’écriture est belle, prenante et la nature est au centre de l’histoire. Ce fut une belle rencontre. C’est vraiment très agréable à lire. La nature racontée dans son roman est sauvage et magnifique, impitoyable et parfois meurtrière.

« Je me comportais en suicidaire tout en n’ayant absolument pas envie de mourir. »

Pendant son voyage où les choses ne se déroulent naturellement pas comme prévu, Julien fera la rencontre d’un renard et d’une autre âme qui l’aidera à cheminer. Il vivra des blizzards interminables, des incidents qui pourraient être mortels et il se confrontera à lui-même pour trouver des réponses à ses questions sur la vie et sur la mort.

Le coureur de froid est un roman à l’atmosphère glaciale et enneigée, plein de dangers, de questionnements mais aussi de grands moments de félicité. J’ai beaucoup aimé la plume de Jean Désy et je le relirai assurément!

Le coureur de froid, Jean Désy, éditions Bibliothèque québécoise, 120 pages, 2018

L’Esprit ensauvagé

Face aux périls qui menacent l’humanité en ce début de XXIe siècle – réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, montée des tensions -, les peuples autochtones ont un message à nous délivrer. En Amérique du Nord ou du Sud, en Afrique ou en Océanie, ils perpétuent encore, à travers leur culture et leur spiritualité, une autre façon d’être au monde. Nourrissant son propos de ses nombreux voyages et de ses rencontres, chez les Sioux Lakotas notamment, Maurice Rebeix nous offre un panorama de réflexions tous horizons, promesse d’une réconciliation avec notre nature profonde. Afin de léguer une planète viable aux générations futures, il offre une piste qui invite à « ensauvager » nos esprits en s’inspirant de la pensée des peuples premiers.

Ce livre m’a accompagnée pendant plusieurs jours et son propos m’a énormément rejointe. L’auteur, très proche de plusieurs peuples autochtones, adopté par certains d’entre eux, nous parle ici de leur façon d’être au monde, de leur perception de tout ce qui est vivant. À la fois essai d’écologie et d’anthropologie, ce livre aborde aussi la spiritualité et l’histoire. Attention! Spiritualité ne signifie pas religion. On parle ici d’une spiritualité en lien avec la nature. De philosophie. De notre rapport à la sacralité et de notre place dans le monde du vivant. 

« … s’émerveiller de l’extraordinaire plutôt que d’y chercher à tout prix l’explication logique, c’est le privilège de celles et ceux qui savent tout simplement sourire aux « actions » les plus improbables du monde. »

En filigrane, nous suivons l’auteur pendant la Danse du Soleil, rituel Lakota auquel il participe. Et il en profite pour nous parler de tout. De la nature, d’abord et avant tout et de notre relation défaillante avec elle. De la pandémie qui aurait pu faire changer beaucoup de chose sur notre relation au monde, alors que l’humain est vite revenu à sa position d’avant, dès qu’il en a eu l’occasion. L’auteur aborde aussi la sacralité du vivant, l’art, la médecine, la science, l’anthropocentrisme, les animaux, les végétaux et les arbres, les rites, le modèle de société des Blancs, des exemples de cascade trophique, de ce qui nous donne de la joie, les mythes, de l’émerveillement, des savoirs ancestraux que l’on perd, de la paix aussi, de soi, des autres.

« L’homme blanc est à la fois génial et fou, il a le génie de la technologie mais il fait un usage dément de celle-ci. »

Ce livre m’a beaucoup touchée car il aborde des sujets qui me tiennent à cœur. Je suis généralement une optimiste mais je trouve tellement décevant de voir où s’en va notre monde. Maurice Rebeix touche des points sensibles et vise juste quand il parle de notre rapport à l’éducation, à l’appât du gain (toute notre société ne tourne qu’autour de l’argent, malheureusement) et de la façon dont on saccage toute nature. Aussitôt que l’humain s’installe quelque part, il massacre allègrement son milieu de vie. Dès l’instant où notre monde n’a plus rien de sacré, que ce soit les insectes, une plage, une forêt, un loup, notre rapport au monde devient défaillant. On agit en conquérant, le reste n’a plus d’importance.

« En l’absence du sacré, tout est à vendre. »

Étant passionnée par la nature, par son développement, sa sauvegarde, faisant tout ce qui est possible pour contribuer, à ma façon, à limiter mon empreinte et la place que je prends dans la nature, à promouvoir la biodiversité, à la traiter avec respect, tout comme j’aimerais être moi-même traitée, à remercier pour ce qu’elle m’offre, ce livre m’a énormément parlé. J’y ai trouvé un fort écho de ce que je pense du rapport de l’homme au monde, de ce que l’on devrait changer comme société. De repenser le modèle dans lequel on vit pour un meilleur rapport au monde. 

« La permaculture ne résoudra pas le problème de la faim dans le monde, l’agriculture industrielle non plus: aucun système n’est résilient tant que le système marchand exploite tout, les hommes, la terre, et que la moitié produite est gaspillée. »

L’auteur amène plusieurs exemples que l’on retrouve dans la nature et aussi, d’exemples d’initiatives humaines. Elles peuvent sembler minimes à l’échelle de la planète, mais ces initiatives sont essentielles. Je pense à la réintroduction des loups à Yellowstone, aux « forêts de poche » et à une meilleure éducation chez les jeunes. Si on passe du temps dans la nature et qu’on comprend l’intime relation de l’humain avec le vivant, on est à même de protéger ce que l’on connaît et d’en comprendre la sacralité.

« Consommer toujours plus en trouvant toujours moins de quoi remplir nos vies. S’astreindre coûte que coûte à avoir quelque chose alors même que nous avons de plus en plus de mal à être quelqu’un. Perte de lien, quête de sens… »

J’ai adoré cette lecture qui est pertinente et éclairante dans le monde perturbé dans lequel on vit. J’ai noté un nombre incalculable de passages qui ont résonné chez moi. Je considère ce livre comme essentiel, parce qu’il amène une vision si simple et à la fois si peu prise en compte par l’humain. C’est déroutant de voir à quel point l’humain n’a, au fond, rien compris. Malgré cela, le livre de Maurice Rebeix ne donne pas de leçons et ne juge pas. Il constate. Et il m’a fait du bien, parce qu’il m’a donné l’impression de ne pas être seule avec mes idées et mes actions sur le monde vivant. 

« Sachez que vous-même êtes essentiel à ce monde. Comprenez à la fois la bénédiction et le fardeau que cela représente. Vous êtes désespérément nécessaire pour sauver l’âme de ce monde. Pensiez-vous que vous étiez ici pour moins que ça? »

À l’ère des changements climatiques et de l’écoanxiété, cet ouvrage passionnant et intéressant est un véritable plaidoyer pour changer notre mode de pensée et de fonctionnement en tant qu’humain. Pour modifier notre rapport au monde et mieux comprendre que tout, toujours, est relié. Et que notre survie en dépend.

Un livre à lire. Parce que je pense qu’on en a tous besoin.

L’Esprit ensauvagé, Maurice Rebeix, éditions Albin Michel, 464 pages, 2022

Nauetakuan, un silence pour un bruit

Nauetakuan : mot innu qui nous annonce qu’un son, au loin, vient à nous. Comment l’entendre, si tout, dehors comme dedans, vibre, bourdonne, crie? Il faut, oui, faire silence. Perdue dans la ville, Monica cherche sa liberté en même temps que ses liens. Ses études en histoire de l’art ne lui inspirent plus rien, le sens la fuit et le vide menace de l’envahir pour de bon, fragilisant l’armure qu’elle se confectionne chaque jour. Pour pouvoir enfin déposer le lourd bagage dont elle a hérité, revenir en paix chez elle, à Pessamit, elle devra d’abord apprivoiser les orages qui grondent en elle. Remonter le fil des routes et des rivières, leur courant tantôt allié, tantôt contraire, d’un bout à l’autre du continent. Retrouver la puissance qui se façonne une perle à la fois.

Le roman nous amène vers deux filles, Katherine et Monica, qui se rencontrent dans un musée, lors d’une exposition sur les Premières nations. Ce sont deux filles qui ont été coupées de leurs racines autochtones étant jeunes. Elles deviennent de grandes amies. Le roman s’attarde sur Monica, en recherche d’identité. Les filles vont dans des bars, expérimentent des choses, font des rencontres. Les lendemains de veille sont difficiles. L’auteure met en lumière leur évolution. Elles ont un vide intérieur et se cherchent.

Cette première partie m’a donné un peu de difficulté. J’avais du mal à m’intéresser à cette portion de l’histoire qui ne me touchait pas beaucoup. Je trouvais les personnages un peu flous et je me questionnais à savoir où ils nous menaient. Après ma lecture j’y vois un parallèle entre l’évolution du personnage de Monica, qui est perdue au début du livre et en quête d’identité, puis qui se découvre elle-même. Et mon intérêt allait alors grandissant.

Monica va développer un grand besoin de se pencher sur ses origines. Elle ira vers le village de sa mère et de sa grand-mère. C’est à ce moment que, pour moi, le livre devient vraiment captivant. C’était intéressant de se laisser porter par le texte et les découvertes de Monica. Elle va puiser dans le vécu de sa famille pour comprendre qui elle est. Les choix qu’elle fera pendant qu’elle est dans le village de ses ancêtres l’aident à prendre des décisions pour son avenir. À retrouver une part d’elle-même qu’elle ne connaissait pas vraiment, comme c’est le cas de beaucoup de jeunes autochtones qui ont été coupés de leurs racines. 

« C’est la colère de savoir qu’on a créé des lieux pour effacer l’existence de mon peuple, de tous les Premiers Peuples. Les gens qui ont imaginé ce projet monstrueux n’ont pas réussi, mais, dans certains cas, ils sont parvenus à broyer des vies entières et combien d’autres encore. »

Elle découvre alors l’histoire de sa famille, de sa mère qui ne parlait pas du tout de leurs racines, à sa grand-mère qui a vécu les pensionnats. Ce sont des gens qui parlaient peu du passé. Les pensionnats les ont tellement détruits, ont voulu effacer leur culture et leurs coutumes. Ce qui rend difficile la transmission du savoir et du vécu aux plus jeunes générations. C’est alors plutôt la transmission d’un mal être, de la douleur, qui se perpétue.

Monica va vivre son propre périple qui va l’amener à se découvrir elle-même et à découvrir ce que sa grand-mère et sa mère ont pu vivre. C’est aussi une façon de redonner espoir à la jeune génération et les suivantes, de se réapproprier leur art, leurs danses, leurs langues, leur lien avec la nature.

« Je suis chez moi partout en Amérique. Partout où je vais, nos peuples ont été présents. Nos langues ont été présentes. Nos cultures ont été célébrées durant des siècles. Je dois réapprendre à appeler « chez moi » la terre qui m’a vue naître. Retourner dans le village de mon enfance. Le village de ma mère et de ma grand-mère. Réapprendre à connaître ma famille. À reconnaître les visages de mon peuple. Retourner chez moi. Sinon je ne peux pas avancer. »

Le message est très beau, souvent touchant. Les rêves et les songes tiennent aussi une place importante. 

Ce roman, qui m’intéressait un peu moins au début, s’est avéré finalement être un texte très touchant, qui m’a beaucoup parlé.

Nauetakuan, un silence pour un bruit, Natasha Kanapé-Fontaine, éditions XYZ, 254 pages, 2021