Le dernier caribou

Les populations de caribous forestiers et de bélugas du Saint-Laurent sont dangereusement en déclin. Comment est-ce possible considérant tous les efforts déployés pour les sauver ? Il faut se rendre à l’évidence : nos stratégies de conservation de la nature, fondées sur la protection d’une espèce rare, sont inefficaces. Est-ce trop ambitieux de les changer ? Ne devrait-on pas sauvegarder l’intégrité d’un écosystème auquel sont liés tous les êtres vivants plutôt que de s’attarder au sort d’un seul animal, aussi emblématique soit-il ? Selon Michel Leboeuf, cela implique une prise de conscience sans équivoque qui devrait nous pousser à attribuer à la Nature des droits fondamentaux. Comme ceux que l’on reconnaît à tous les humains sans distinction.

Le dernier caribou est un essai très intéressant sur la biologie, l’évolution des animaux et les problématiques liées à l’écologie. En présentant un portrait des sciences de l’évolution, l’auteur démontre les raisons pour lesquelles certaines espèces sont maintenant menacées et pourquoi notre vision des écosystèmes devraient être revue. En abordant cinq grands facteurs (les espèces exotiques envahissantes, la pollution, l’exploitation à outrance des ressources, le changement climatique et la perte d’habitats), l’auteur tente d’expliquer pourquoi nos tentatives de sauvegarder ces espèces ne fonctionnent pas.

« Quand une espèce disparaît, c’est une certaine manière de vivre, un certain mode d’emploi de la vie sur Terre, une voie différente d’organisation de la matière vivante qui disparaît avec elle. Pour toujours. »

Les thèmes abordés dans ce livre sont intéressants à plusieurs points de vue. Une partie du livre est consacrée aux scientifiques qui ont modulé notre vision de l’écologie et des espèces, ainsi que de la relation qu’elles ont entre elles. On y croise Charles Darwin, naturellement, mais aussi Alfred Russell Wallace que j’ai bien envie de découvrir maintenant, Gregor Johann Mendell, Warder Clyde Allee, William David Hamilton, Carl von Linné, entre autres. Remettre en contexte l’évolution de la pensée scientifique nous aide à mieux comprendre vers quoi nous devrions aller. 

L’auteur nous offre un tour d’horizon des théories de l’évolution des espèces et des théories scientifiques qui ont fait avancer la biologie au fil du temps. On comprend un peu mieux l’héritage de certaines idées qui nous viennent de l’époque victorienne ainsi que notre vision actuelle de la nature et des espèces menacées. On apprend beaucoup de choses sur ce qui se fait ailleurs et sur les initiatives qui ont été testées avec les années. Pour pouvoir élaborer de meilleures stratégies de conservation des espèces menacées, il faut impérativement que notre vision de l’ensemble des écosystèmes change. 

« C’est seulement ainsi que l’on pourra ralentir le rythme actuel d’érosion de la biodiversité, dont nous sommes directement responsables. »

Ce que j’ai beaucoup aimé avec cette lecture, c’est que Michel Leboeuf nous permet de mieux saisir l’écosystème dans son ensemble et apporte des pistes de solutions qui pourraient être appliquées, si notre perception des espèces menacées et des écosystèmes changeait. La reconnaissance d’équipes-espèces par exemple, est une façon différente d’aborder la nature qui nous entoure. Quand on sait par exemple que  l’humain peut héberger environ 1000 espèces, on reconsidère la notion d’espèce d’une façon très différente! La reconnaissance d’un statut juridique à la nature est aussi l’une solution abordée par l’auteur et qui est une voie vraiment intéressante pour réussir à protéger notre nature, une richesse inestimable. Je pense au cas tout récent de la rivière Magpie, sur la Côte-Nord, et de l’adoption d’un nouveau changement juridique. 

« La sauvegarde du territoire, celle de la Terre, requiert de penser à long terme. Au contraire des Premières Nations, la société occidentale carbure aux échéances serrées, gère à courte vue, à court terme. Le maintien du lien qu’entretiennent les premiers peuples avec leur territoire fait partie intégrante de leur culture: il s’exprime par des mots, des récits, des symboles. Ici, nature ne s’oppose pas à culture. Bien au contraire, la première nourrit la seconde, et vice versa. »

J’ai beaucoup aimé cette lecture qui ma appris énormément de choses et qui permet de modifier notre vision et notre approche des écosystèmes. C’est une lecture passionnante, mais qui m’attriste beaucoup, surtout quand je vois à quel point la considération pour la nature est souvent absente du discours politique. On a donc assurément besoin de ce genre de livres, qui m’apparaissent comme essentiels, puisque l’humain n’a pas encore compris l’importance capitale de la nature, ni à quel point elle est primordiale. Un jour, peut-être, en espérant qu’il ne sera pas trop tard

« Combien d’espèces pouvons-nous nous permettre de perdre avant de voir s’effondrer l’équilibre des milieux naturels? »

Un petit mot sur la photographie qui illustre la couverture du livre. Elle est de Jean-Simon Bégin, un photographe dont j’apprécie énormément le travail et qui partage textes et images de ses expéditions en pleine nature. 

Le dernier caribou, Michel Leboeuf, éditions Multimondes, 186 pages, 2020

Bootblack t.2

Allemagne, 1945. Les troupes américaines traquent les derniers soldats ennemis. Dans leurs rangs, un homme n’a pas fait le deuil de son passé. Ancien cireur de chaussures sur les trottoirs de New York, un Bootblack, il est né sous le nom d’Altenberg, mais il préfère qu’on l’appelle Al Chrysler. Pour oublier l’horreur de la guerre, Al se refugie dans ses souvenirs, à l’époque où il n’était qu’un gamin des rues de Manhattan. Avant de s’engager, il a passé dix années en prison. Aujourd’hui, il a 25 ans. La femme de sa vie, Maggie, n’est plus qu’un reflet dans sa mémoire. Tous ses copains sont morts. Tous, sauf un, « Diddle Joe », qu’il revoit sur le front. Leurs retrouvailles seront brutales : Al découvre que « Diddle Joe » les a trahis…

J’avais beaucoup aimé ma lecture du premier tome de Bootblack, une histoire racontant le destin d’un jeune orphelin, Al, devenu cireur de chaussures dans les ruelles de New York. Ce second tome est une belle suite à la première bande dessinée, qui nous amène du passé au présent.

Comme dans le tome 1, les premières pages s’attardent sur la portion se déroulant à la guerre, avant de nous ramener dans le passé. Cette fois, ce tome nous raconte la vie d’adulte de Al et sa sortie de prison. Cette seconde partie contient un peu plus d’action que la précédente, puisque les choix de vie de Al n’ont pas toujours été judicieux et que les problèmes auxquels il est confrontés sont légion.

« 1945 débutait… J’avais déjà vingt-cinq ans, la rue était redevenue mon seul foyer… et je portais sur moi tout ce que je possédais. Mes poches avaient été vidées, enveloppes garnies et clé de consigne avaient disparu… »

C’est à ce moment qu’on assiste à son enrôlement dans l’armée, puis le récit alterne entre le passé et le présent. Le talent de Mikaël, que ce soit à la narration ou au dessin, est toujours vraiment très agréable à lire. Il crée une histoire intéressante autour d’un personnage qui cherche son identité et tente de se retrouver et de faire la paix avec son passé. 

Bootblack est une histoire en deux tomes que je ne peux que vous conseiller. L’histoire est passionnante et on découvre la vie de Al, au fil de la guerre et de sa survie dans les rues. La fin boucle la boucle, en étant un constat sur l’identité, sur qui est vraiment Al et ce qu’il souhaite réellement dans la vie. C’est une belle façon de terminer la bande dessinée et une belle leçon de vie. 

Ce second tome (le premier tirage) contient un cahier graphique à la fin, des différents personnages.

Un diptyque que je ne peux que vous conseiller de découvrir!

Bootblack t.2, Mikaël, éditions Dargaud, 64 pages, 2020 

La mémoire est une corde de bois d’allumage

Avec bonté et résilience, Benoit Pinette retourne à son enfance – un pays en soi, une trajectoire – et pose le doigt sur ses instants douloureux, étudie l’équilibre des époques. Il construit de là sa compréhension des glissements du passé et sa volonté à faire mieux, à offrir le meilleur aux siens. Ce texte lance l’allumette dans le foin sec ; il carbonise des histoires anciennes, des angoisses, des corps pourris. La mémoire est une corde de bois d’allumage représente un chantier d’inquiétudes et de certitudes éphémères, mais parions que l’amour l’emportera sur la tâche à accomplir.

« ne me demandez jamais
qui je suis
je n’en sortirais pas vivant »

Vous connaissez sans doute Tire le Coyote, qui est le pseudonyme de Benoit Pinette comme auteur-compositeur-interprète. J’aime beaucoup ses textes et j’étais plus que ravie de découvrir son premier livre, La mémoire est une corde de bois d’allumage. Le titre est tellement parlant et poétique, totalement en accord avec le travail de Benoit Pinette en musique. Ça me plaît beaucoup!

Ce recueil de poésie puise dans l’enfance pour y retrouver ces moments de fragilité, ces petites épreuves douloureuses qui façonnent ce que l’on devient ensuite, lorsqu’on est adulte. Nos idées, nos choix, ces douleurs qui nous ont forgé, qu’on doit affronter pour apprendre à grandir.

« j’aurais aimé grandir ailleurs
que dans le cadre d’une porte battante »

Le texte est tellement beau, avec un petit quelque chose de poignant et de douloureux. Des mots qui cherchent la résilience et la paix avec le passé, pour réussir à appréhender le futur et à mieux vivre le présent. S’offrir au monde en étant un meilleur être humain. 

C’est un recueil touchant, qui cherche à faire le lien entre l’enfant qu’on a été et l’adulte que l’on devient, dans ce parcours difficile qu’est la vie. Avec, malgré tout, quelque chose de lumineux qui se cache tout au fond des mots. Une recherche d’équilibre. J’ai vraiment beaucoup aimé! C’est un recueil que je relirai assurément. Il y a des mots dans ce livre, qui touchent au plus profond de ce que nous sommes comme être humain.

« comment éteindre
ce qui brûle depuis toujours
quand nous sommes tous constitués
de tisons
qui refusent de mourir? »

Les mots de Benoit Pinette sont grands dans toute leur simplicité. C’est ce qui fait la beauté de ce recueil et sans doute la raison pour laquelle sa musique est aussi touchante. 

En complément, je vous laisse sur une de mes chansons préférées de l’auteur-compositeur-interprète. Elle est tirée de l’album Désherbage et s’intitule Chanson d’eau douce.

La mémoire est une corde de bois d’allumage, Benoit Pinette, éditions La Peuplade, 104 pages, 2021

Bootblack t.1

Sur le front allemand, au printemps 1945 : la guerre ne laisse que mort et destruction dans son sillage. Pour échapper à l’horreur du présent, Al, soldat américain, seul rescapé de son unité, se plonge dans les souvenirs de sa vie new-yorkaise. Fils d’immigrés allemands, né aux États Unis, il n’a pas dix ans quand, en une nuit, sous l’œil satisfait de ces Américains anti-étrangers, il perd ses parents et son foyer dans un terrible incendie. Tournant le dos à ses origines, Al n’a pas d’autre choix que de vivre dans la rue ; il devient Bootblack, un « cireur de chaussures ». 

Bootblack est une bande dessinée en deux parties. La première partie se déroule essentiellement dans les ruelles de New York et s’attarde sur l’enfance de Al, jusqu’à l’âge adulte. Le second tome se concentre sur sa vie d’adulte. Les deux tomes forment une histoire complète, bien menée, captivante et touchante. Al vit une succession d’épreuves qui ne sont pas faciles pour un jeune garçon. Il devra apprendre à se construire, en ayant peu d’outils à portée de main. 

« Cette vie. Celle d’un cireur de souliers de la monstrueuse cité. Un Bootblack. Je n’avais pas dix ans, la rue était devenue mon seul foyer… et Shiny, ma seule famille. »

Le premier tome débute en 1945, sur le front. Al est le seul survivant de son unité. Plongé dans les profondeurs de sa mémoire, il nous raconte sa vie alors qu’il est un jeune garçon de 10 ans qui sillonne les ruelles de New York, cirant des chaussures pour sa survie. 

Transporté à l’époque de l’entre-deux guerres, le lecteur est plongé dans cette dure réalité de la rue, où Al et ses compagnons essaient de s’élever de leur condition difficile. Il y est beaucoup question des classes sociales et de la différence marquée entre les jeunes travailleurs de la rue et les riches messieurs qui utilisent ses services de cireur de chaussures. Al réalise bien vite que sa condition est précaire. Il est sujet à l’influence d’un monde dans lequel il cherche sa place. Il veut aussi démontrer qu’il n’est pas un moins que rien. Il va tenter de se sortir de la misère en n’ayant pas forcément fait les bons choix. 

Bootblack aborde de nombreux thèmes, relatifs à la guerre, à la survie, à la pauvreté, mais également à l’identité. Fils d’immigrant allemand, Al a longtemps renié ses racines, afin de devenir un « vrai américain ». Désireux de se démarquer des valeurs reliées au vieux continent, il souhaite devenir lui-même quelqu’un, sans l’influence de sa famille. Alors qu’il perd tout ce qui le retient à ses parents, il doit chercher de nouvelles bases à une vie difficile. 

Le dessin est vraiment très beau. J’ai adoré le coup de crayon, très représentatif de l’époque où se déroule la bande dessinée. L’auteur réussi à bien transmettre les émotions vécues par son personnage. 

La bande dessinée se termine par un cahier de croquis et de dessins.

Bootblack est une belle découverte et j’ai tout de suite enchaîné avec le second tome que je vous présenterai bientôt. Le contexte entourant les guerres mondiales, ses effets et ses conséquences m’ont toujours intéressé. Je lirais bien à nouveau d’autres histoires de Mikaël. 

Bootblack t.1, Mikaël, éditions Dargaud, 64 pages, 2019

Les nuits enneigées de Castle Court

Sadie élève seule son enfant tout en soignant son cœur brisé. Cat, de son côté, est au bord du burn out car ses journées de chef-pâtissier sont trop longues. Les deux amies décident alors d’investir dans leur rêve : lancer Smart Cookies, leur propre biscuiterie artisanale dans la magnifique Castle Court, une cour abritant un espace de restauration de trois étages niché derrière les rues animées de Chester. Toutes deux découvrent bientôt que Castle Court est une vraie communauté, un petit havre de plaisir loin du stress du monde extérieur. Mais tout le monde n’apprécie pas leur arrivée : la pâtissière déjà installée n’est pas très heureuse de ce qu’elle considère comme une concurrence directe et Greg, qui dirige le bistrot chic du bout de la cour, pense que Sadie et Cat n’ont pas le talent ni le sens des affaires nécessaires pour réussir. Heureusement, le délicieux Jaren, propriétaire de la maison de gaufres néerlandaise installée en face, et Elin le propriétaire de la chocolaterie suisse, vont leur apporter leur soutien. Et si tout le reste échoue, les amis pourront toujours noyer leurs chagrins dans le bar à cocktails qui surplombe la cour ! Sadie et Cat réussiront-elles leur lancement et trouveront-elles à l’improviste un nouvel amour ?

Bien avant de lire le résumé, c’est la couverture enneigée (et dorée) du roman qui m’a attirée. J’avais lu un autre titre chez le même éditeur, Le bonheur dépend parfois d’un flocon, et je l’avais beaucoup aimé. Je trouvais le titre, Les nuits enneigées de Castle Court, plein de promesses!

« Dehors, elle vit dans le demi-jour que son jardin était couvert d’une fine couche de neige. Elle se planta devant la fenêtre de sa cuisine, les yeux rivés sur le manteau blanc. Lissy serait ravie quand elle se réveillerait: la neige conférait à toute chose un air magique, chatoyant, une fraîcheur qui suggérait de nouveaux commencements et des départs de zéro. »

Quand j’ai commencé ma lecture, je m’attendais à toute autre chose et ce roman s’est avéré une vraie belle surprise. Je croyais lire un livre de Noël très léger. C’est léger, oui, mais plus d’une façon « cocooning » qui m’a beaucoup plu. Et ce n’est pas un livre de Noël mais plutôt une histoire en différentes parties, qui se déroule sur une année. On a donc l’occasion de suivre deux amies, Cat la cuisinière et Sadie l’artiste décoratrice, qui viennent d’ouvrir leur biscuiterie. Leur histoire tourne autour des fêtes de Noël, de la Saint-Valentin, de Pâques, de l’été, de l’organisation d’un mariage et de l’Halloween. Le livre comprend quatre parties: Les nuits enneigées de Castle Court, Les petits matins froids de Castle Court, Tempête sur Castle Court, Ciel étoilé sur Castle Court, suivi d’un épilogue. C’est donc un livre parfait qu’on peut lire toute l’année, quand on en a envie, sans trop se limiter à la période de Noël. 

Si le roman reste romantique à souhait avec plusieurs intrigues amoureuses, le centre de l’histoire est vraiment lié à la biscuiterie de Sadie et Cat, située à Castle Court, un ensemble de petites ruelles commerciales qu’on imagine sans mal comme un lieu gourmand, fait de camaraderie, d’entraide et d’amitié. Les commerces qui gravitent autour de Castle Court et les appartements qui sont au-dessus, logent une quantité de personnages auxquels on s’attache beaucoup. Castle Court, c’est toute une communauté agréable à côtoyer. Adam et sa passion des abeilles. La petite Lissy qui rêve d’être un dinosaure. Andrew et Earl qui ont un resto américain et ponctuent leurs phrases de références geek. Cherie et sa pâtisserie, pour ne nommer que ceux-là. 

Ce roman est aussi un bon pavé, de plus de 500 pages, dans lequel on plonge pour passer un doux moment. L’atmosphère de ce roman est sans doute sa plus grande force. C’est d’ailleurs ce que j’ai le plus aimé de cette lecture. L’aspect réconfortant et gourmand des lieux, de la biscuiterie, des autres commerces qui mettent en avant le plaisir d’un bon repas, d’une petite douceur ou d’un bon verre. Même si Cat et Sadie doivent faire face à toutes sortes d’épreuves, dans leur vie professionnelle et leur vie personnelle, c’est un roman qui fait du bien et qui est agréable à lire pour passer un très bon moment. 

« … le premier commandement d’une entreprise, c’est le thé. Je réfléchis mieux avec une tasse à la main. »

J’ai passé un très bon moment à Castle Court, où l’on suit l’évolution de la biscuiterie, de l’ouverture des portes jusqu’à plus d’une année après. Ça m’a plu (et donné envie de biscuits et de gâteaux) et j’avais besoin d’une lecture comme ça. Ça fait du bien de temps en temps, de se plonger dans une histoire qui offre un dénouement positif, qui met en avant les petits plaisirs de la vie et qui invite au cocooning. C’est une lecture parfaite pour cette période de l’année!

J’ai vu que l’auteure a plusieurs livres à son actif, qui ne sont malheureusement pas traduits. J’espère qu’avec la publication de celui-ci, les éditeurs auront envie de traduire d’autres de ses livres. Je pense entre autre à Snowdrops at the Star and Sixpence, dont le premier tome se déroule à Noël dans un pub et qui comprend plusieurs tomes au fil des saisons. À surveiller peut-être!

Les nuits enneigées de Castle Court, Holly Hepburn, éditions Prisma, 528 pages, 2020

Journal d’un amour perdu

« Maman est morte ce matin et c’est la première fois qu’elle me fait de la peine. »
Pendant deux ans, Eric-Emmanuel Schmitt tente d’apprivoiser l’inacceptable : la disparition de la femme qui l’a mis au monde. Ces pages racontent son « devoir de bonheur » : une longue lutte, acharnée et difficile, contre le chagrin. Demeurer inconsolable trahirait sa mère, tant cette femme lumineuse et tendre lui a donné le goût de la vie, la passion des arts, le sens de l’humour, le culte de la joie. Ce texte explore le présent d’une détresse tout autant que le passé d’un bonheur, tandis que s’élabore la recomposition d’un homme mûr qui n’est plus « l’enfant de personne ». Éric-Emmanuel Schmitt atteint ici, comme dans La nuit de feu, à l’universel à force de vérité personnelle et intime dans le deuil d’un amour. Il parvient à transformer une expérience de la mort en une splendide leçon de vie.

Journal d’un amour perdu est un livre très différent des autres ouvrages de l’auteur. C’est un texte qui puise directement dans sa relation avec sa mère et dans le deuil que Eric-Emmanuel Schmitt a dû affronter lorsqu’elle est décédée. C’est un texte touchant qui nous permet de découvrir son histoire personnelle et celle de son père. À travers les difficultés et le deuil qu’il a eu a traverser, ce livre d’Eric-Emmanuel Schmitt nous permet de mieux comprendre la sensibilité de l’auteur et de mettre en relief certains de ses autres romans. Lorsque sa mère décède, il est en train de travailler sur son roman, La vengeance du pardon. Le premier de ses ouvrages qu’elle ne lira jamais. L’auteur parle aussi de Félix et la source invisible, un livre écrit après le départ de sa mère, ainsi que certains autres textes sur lesquels il travaillait. 

Je dois avouer que ce n’est pas un livre vers lequel je serai allé d’emblée. Cependant, j’aime énormément la plume et le travail de Eric-Emmanuel Schmitt et j’ai eu envie de découvrir cet hommage qu’il fait à sa mère à travers son récit. Ce livre m’a permis d’apprendre des choses sur l’auteur, de percevoir son côté humain et sensible, ce qui en fait une lecture émouvante. À travers ses mots, le lecteur vit avec lui, à ses côtés, le deuil de sa mère et tout ce qu’il a pu vivre lorsqu’elle est partie. C’est un auteur que je trouve attachant, et encore plus après cette lecture. Je pense sincèrement que de partager son vécu à ses lecteurs peut aider aussi certaines personnes à affronter le deuil également. 

« Ma mère ne me voulait pas seulement en vie, elle me voulait heureux. Envers elle, j’ai un devoir de bonheur. Elle n’aurait pas toléré l’état dans lequel j’ai croupi ces derniers mois et je saisis que ce devoir de bonheur vaut après sa mort. »

Dans ce livre, on suit toutes les étapes traversées par l’auteur suite au départ de sa mère: la tristesse, la souffrance, les étapes du deuil, la culpabilité, la difficulté à se relever, à vivre, à continuer, même si ce qu’il ressent c’est plutôt l’envie d’en finir avec cette douleur qui n’en fini plus. Il ne supporte pas la vie sans sa mère et surtout, qu’elle parte sans lui. C’est une peur ancrée en lui, depuis son enfance. Ce livre est aussi un récit d’apprentissage. Il apprend à vivre sans la présence de sa mère. On apprend énormément de choses sur sa vie familiale, sur sa relation avec sa mère et avec son père. De nombreux questionnements autour de sa famille remontent à la surface lorsque sa mère décède et l’auteur cherche à mieux saisir les liens qui l’unissaient à ses parents.

Ce qui est beau dans ce livre, même si certains passages sont très émouvants, ce sont surtout ces moments où l’auteur parle de l’héritage laissé par sa mère. Ses goûts, sa passion pour le théâtre, pour les arts, qui lui viennent de celle qui est maintenant partie. Les gens qui sont passés avant nous et qui forgent, en quelque sorte, celui ou celle que nous sommes. 

« Elle m’a transmis le culte des arts, de la littérature, le goût des voyages et une bouche pour la gastronomie. Je ne suis pas seulement chair de sa chair, je suis esprit de son esprit. »

Journal d’un amour perdu est un texte très personnel. C’est une incursion dans les pensées intimes et dans les émotions d’un homme qui souffre de la perte de celle qui lui a donné la vie. De nombreux passages de ce livre sont vraiment très émouvants. J’en ai noté beaucoup, qui ont su venir me chercher. Ce texte est sensible, magnifique et on ne peut y être indifférent. C’est le journal d’un deuil, des premières douleurs lorsqu’on apprend la nouvelle, jusqu’au travail que l’on doit faire autour de soi pour retrouver le bonheur et pour continuer. 

« Parfois, je sens que l’unique consolation qui me reste, c’est d’être inconsolable. »

Dans le livre, Eric-Emmanuel Schmitt vit également le deuil de son animal, sa chienne Fouki. Il parle souvent de ses chiens, qui sont importants pour lui. Ces passages sont remplis d’émotions et très beaux, ses chiens étant à la fois compagnons de jeu et d’écriture. L’auteur présente un hommage aux animaux qui l’ont accompagné pendant sa vie, pendant son deuil, et l’ont aidé à être une meilleure personne. Ayant perdu mon chien juste avant Noël cette année, ces chapitres ont résonné en moi. 

Journal d’un amour perdu est un livre qui sert d’exutoire à l’auteur, afin de réussir à traverser le deuil et qui, peut-être, pourra aider d’autres gens. C’est un journal de vie, un livre sur la famille et l’héritage que nous laisse nos parents. Le deuil fait partie de la vie et les réflexions que partage Eric-Emmanuel Schmitt sont aussi un baume pour quelqu’un qui vit un deuil. Ses mots sont beaux et puissants, souvent poétiques.

Un récit sensible où l’auteur se livre beaucoup, où l’on découvre ses questionnements, sa douleur et aussi, l’amour qu’il portait pour sa mère. C’est une très belle lecture, très touchante, portée par une plume exceptionnelle, qui pousse à la réflexion. Une belle histoire sur la vie, sur ce que nous laisse ceux qu’on a aimés et qui ne sont plus parmi nous. 

Journal d’un amour perdu, Eric-Emmanuel Schmitt, éditions Albin Michel, 256 pages, 2019