L’Île du docteur Moreau

«Il me revint en tête – par quel procédé mental inconscient -, une phrase qui fit retourner ma mémoire de dix ans en arrière. Elle flotta imprécise en mon esprit pendant un moment, puis je revis un titre en lettres rouges : LE DOCTEUR MOREAU, sur la couverture chamois d’une brochure révélant des expériences qui vous donnaient, à les lire, la chair de poule. Ensuite mes souvenirs se précisèrent, et cette brochure depuis longtemps oubliée me revint en mémoire, avec une surprenante netteté. J’étais encore bien jeune à cette époque, et Moreau devait avoir au moins la cinquantaine. C’était un physiologiste fameux et de première force, bien connu dans les cercles scientifiques pour son extraordinaire imagination et la brutale franchise avec laquelle il exposait ses opinions.»

Après avoir lu La machine à explorer le temps, j’ai tout de suite enchaîné avec un autre roman qui se retrouvait dans mon édition: L’île du docteur Moreau. J’ai déjà lu il y a de très nombreuses années ce roman, dans un recueil qui regroupait des histoires de savants fous. Car le docteur Moreau donne bel et bien froid dans le dos. 

Prendick est un naufragé, récupéré par Montgomery et son équipage, dans un bateau rempli d’animaux. Ils se dirigent vers une île et sont bien obligés d’accueillir Prendick. Mais voilà que ce dernier commence à se poser beaucoup de questions sur ce qui se passe sur l’île. Certains hommes sont très étranges et on entend des cris à glacer le sang régulièrement. Qui est donc le docteur Moreau et que fait-il exactement sur cette île, à l’écart de tout?

Ce roman est l’histoire classique du savant fou, dépassé par ce qu’il a créé. Cette histoire exprime les craintes liées à la manipulation génétique, aux tests à la Frankenstein et à l’évolution de la science et ses possibles dérives. C’est un roman assez marquant et macabre, à l’atmosphère oppressante même encore aujourd’hui, puisqu’on se retrouve sur une île perdue, avec des créatures inquiétantes. Il y est question des êtres vivants, de la nature et de l’éthique en lien avec les tests scientifiques. C’est en quelque sorte l’idée de « jouer » avec la nature ou de se « prendre pour Dieu » qui est au centre du roman.

« Auparavant, elles étaient des bêtes aux instincts adaptés normalement aux conditions extérieures, heureuses comme des êtes vivants peuvent l’être. Maintenant elles trébuchaient dans les entraves de l’humanité… »

J’ai bien aimé ce roman, que j’ai même préféré à La machine à explorer le temps. Il est rempli de péripéties frappantes et met en scène, par le personnage du docteur Moreau, les conséquences désastreuses d’une science non contrôlée. Il y est question d’éthique naturellement, ainsi que des liens entre humains et animaux. C’est un roman qui me semble plus marquant que son premier titre car on a l’impression de lire une véritable aventure, qui nous fait vivre toute une gamme d’émotions. 

L’Île du docteur Moreau, Herbert George Wells, éditions Folio, 224 pages, 1959

La Machine à explorer le temps

«Je vis des arbres croître et changer comme des bouffées de vapeur ; tantôt roux, tantôt verts ; ils croissaient, s’étendaient, se brisaient et disparaissaient. Je vis d’immenses édifices s’élever, vagues et splendides, et passer comme des rêves. Toute la surface de la terre semblait changée – ondoyant et s’évanouissant sous mes yeux. Les petites aiguilles, sur les cadrans qui enregistraient ma vitesse, couraient de plus en plus vite. Bientôt je remarquai que le cercle lumineux du soleil montait et descendait, d’un solstice à l’autre, en moins d’une minute, et que par conséquent j’allais à une vitesse de plus d’une année par minute ; et de minute en minute la neige blanche apparaissait sur le monde et s’évanouissait pour être suivie par la verdure brillante et courte du printemps.»

C’est dans le cadre du Parcours victorien, auquel je participe et où l’on devait choisir le premier roman d’un auteur, que je me suis enfin penchée sur ce livre. Profitant d’une maladie, l’auteur l’a écrit et publié en 1895. Cette histoire deviendra un classique de la science-fiction et par le fait même, son premier roman.

Un homme que l’on appelle L’Explorateur du temps dit avoir inventé une machine lui permettant de voyager dans le temps. Il affirme être allé dans le futur, soit en l’an 892701. Et il entreprend de raconter son aventure à ses amis.

J’ai toujours entendu parler de ce roman comme d’une référence et ce, depuis que je suis enfant. Le livre est dans ma bibliothèque depuis 2008. J’avais eu suffisamment de temps depuis pour me faire une idée de ce roman. Mais la lecture a été très différente de ce que j’imaginais.

Je m’attendais à de gentils voyages victoriens dans le passé et le futur, d’un homme bien de son époque. Eh bien ce n’est pas tout à fait ce que j’y ai trouvé. L’Explorateur du temps se retrouve dans un futur vraiment très lointain. L’humanité a évolué en deux « races » distinctes, suite à des choix de société et ce n’est pas forcément pour le mieux.

« À ce moment, comme un coup de fouet à travers la face, me vint à l’idée la possibilité de perdre ma propre époque, d’être laissé impuissant dans cet étrange nouveau monde. »

L’auteur canalise dans cette histoire la peur de l’évolution et de ses ratées. On y découvre une humanité vraiment différente de la nôtre et on ne peut s’empêcher d’y voir l’illustration de la théorie de la sélection naturelle de Darwin. C’est un roman où « l’humain », dans son évolution, ses choix et sa façon de vivre, s’avance d’un pas résolu vers l’échec absolu.

J’ai été très surprise par ce livre et je suis contente de l’avoir lu car je ne m’attendais pas du tout à cela. C’est assez surprenant comme texte surtout si on le replace dans son époque. Un classique qui a inspiré plus d’un créateur et qui a été adapté sous différentes formes depuis, dont plusieurs adaptations au cinéma, au théâtre, dans les jeux vidéo ou en bandes dessinées. Une histoire qui a marquée les esprits et qui continue, sans aucun doute, à alimenter encore l’imaginaire d’auteurs.

J’aime découvrir des classiques et des livres dont on pense tout connaître car ils nous réservent bien souvent des surprises! 

La Machine à explorer le temps, Herbert George Wells, éditions Folio, 176 pages, 1959

Frankenstein

En 1817, en pleine expédition vers le pôle Nord, Robert Walton rencontre un individu mystérieux à la dérive sur un morceau de banquise. Cet homme n’est autre que Victor Frankenstein, un savant au destin tragique qui est parvenu à insuffler la vie à une créature constituée de morceaux de cadavres. Junji Ito revisite l’œuvre emblématique de Mary Shelley dans cette adaptation fidèle et horrifique d’un texte fondateur du roman gothique.Retrouvez également dix nouvelles du maître de l’horreur, dont six récits d’Oshikiri, un jeune lycéen taciturne habitant une immense demeure devenue le théâtre de phénomènes paranormaux de plus en plus terrifiants.

J’adore le roman de Mary Shelley, Frankenstein, et j’étais impatiente de découvrir la vision du mangaka d’horreur Junji Ito sur cette histoire. Il s’agit en fait d’un manga qui regroupe plusieurs histoires, en plus de l’adaptation de Frankenstein. 

J’ai lu et relu plusieurs fois le livre de Mary Shelley, vu des adaptations et j’étais très contente de lire celle-ci. Junji Ito se rapproche beaucoup de la trame d’origine et sa version du monstre donne le frisson. Il se concentre sur l’aspect monstrueux et macabre de la créature, pour délaisser le côté plus philosophique et « poétique » du texte, ce qui ne m’a pas du tout dérangée, au contraire. J’ai beaucoup aimé! Son dessin est détaillé, ce qui ajoute encore plus à l’horreur de cette histoire. Je trouve que c’est une très bonne adaptation. 

Le reste du manga propose quelques histoires des aventures d’Oshikiri. C’est un adolescent petit pour sa taille, laissé seul par ses parents en déplacement, dans une grande maison lugubre. Malheur pour lui, celle-ci cache un portail et sert d’accès à des mondes parallèles où il se passe des choses terribles. Ces histoires sont intrigantes et fascinantes. Elles m’ont beaucoup plu.

Les autres histoires du recueil sont moins importantes. Elles sont très courtes, certaines sont intéressantes, d’autres beaucoup moins. Les deux dernières semblent plus personnelles puisqu’elles parlent du chien de l’auteur. 

On lit ce manga essentiellement pour la vision sombre et fantastique de Frankenstein sous le crayon de Junji Ito et pour les incroyables (et horrifiantes) aventures d’Oshikiri. Une très bonne lecture que je vous conseille!

À noter la belle facture de ce volume, avec couverture cartonnée et jaquette. La préface est signée Johann Sfar et un intéressant dossier de Morolian complète l’ouvrage. 

Frankenstein, Junji Ito, éditions Mangetsu, 416 pages, 2022

Les petits Monarques

États-Unis, année 2101, l’Humanité est au bord de l’extinction totale. Seuls quelques milliers d’individus, terrés sous la surface, ont survécu à la catastrophe climatique qui a provoqué la maladie du Soleil et décimé les mammifères du globe.. Elvie, 10 ans, et sa gardienne Flora, une biologiste, suivent la migration des papillons Monarques dans l’Ouest américain pour recueillir leurs précieuses écailles, seul remède efficace pour contrer les effets dévastateurs des rayons de l’astre lumineux. Parviendront-elles à fabriquer le sérum qui sauvera le reste de la population avant qu’il ne soit trop tard ?

Ce roman graphique de 255 pages est une merveille. Le livre est superbe, le nombre conséquent de pages nous permet d’entrer dans l’histoire et de suivre les personnages pendant un bon moment. Ce qui offre à l’auteur la possibilité de nous raconter beaucoup de choses. De plus, visuellement, ce livre est vraiment intéressant. 

Nous sommes aux États-Unis, en 2101. Depuis les catastrophes climatiques qui ont provoqué la maladie du soleil, la majorité des mammifères ont disparus. On ne peut plus vivre normalement à la lumière sans risquer sa peau. Le dernier recensement connu faisait état de 7500 habitants pour tout le pays.

Elvie a 10 ans. Depuis le départ de ses parents pour le Mexique à la recherche d’un grand nombre de papillons, elle vit avec Flora, une scientifique, elle aussi en quête d’un vaccin. La majorité des gens toujours vivants demeurent sous la terre, pour se protéger du soleil. Mais grâce aux monarques, Flora et Elvie ont un médicament qui les empêche d’être malades et de mourir lorsqu’elles subissent les rayons du soleil. Seulement, les doses deviennent vite périmées et il faut repartir en quête de monarques. Les papillons ne sont pas blessés, mais leur ailes fournissent aux scientifiques quelque chose d’unique. On les relâche ensuite.

Les filles tentent donc de survivre en espérant retrouver les parents d’Elvie. Elles suivent la migration des monarques à travers tout le pays. Leur parcours est continuellement une aventure et une découverte, surtout quand elles tombent sur des gens qui sont toujours en vie… Elles doivent être aux aguets et très prudentes.

Ce roman graphique est un petit bijou qui parle d’un monde dévasté par les changements climatiques. Mais c’est aussi un monde de recherches scientifiques et d’espoir. On retrouve entre ces pages une quête et de l’aventure, mais aussi des informations scientifiques, écrites en rouge par Elvie, puisque le rouge est la couleur des faits réels, de la vérité. Il y a des extraits de son journal naturaliste, ses devoirs que Flora exige d’elle, ses croquis, des souvenirs, une recette, des conseils de survie, etc. C’est ce méli-mélo en dehors de la narration de l’histoire qui fait tout le charme de cette bande dessinée. On découvre toujours quelque chose de nouveau au fil des pages et on apprend beaucoup de choses sur les monarques et leur migration, que tentent de suivre Flora et Elvie.

L’histoire est originale et se dévore, les personnages sont attachants et les dessins me plaisent beaucoup. On embarque dans ce livre comme dans un long voyage sur la route avec toutes ses péripéties. Et avec les papillons comme modèle d’espoir. C’est beau! J’ai adoré, un beau coup de cœur pour cette histoire.

J’ai très envie maintenant de découvrir les autres livres de Jonathan Case, qui a dessiné sur une foule de sujets, allant de l’histoire d’un tueur en série, à la Grande dépression. Éclectique, comme je l’aime!

Les petits Monarques, Jonathan Case, éditions Dupuis, 256 pages, 2022

La Frugalité du temps

Passionnée de généalogie, Annick Paradis est intriguée par cette publicité aperçue sur l’un des sites de recherche qu’elle fréquente assidûment. Persuadée d’avoir atteint les limites de ces derniers, elle décide de tenter l’expérience : après tout, Arborithme, la firme qui s’annonce, possède une succursale dans sa ville. Dès sa première immersion, Annick est enthousiasmée. Tous ses sens sont mis à contribution tant le niveau de détail de la simulation est ahurissant et, au fil de ses plongées, le colporteur dont elle emprunte les traits noue des liens d’amitié avec ses aïeux. Or, ces séances sont si stimulantes que, à chacun de ses retours, Annick trouve de plus en plus ennuyeux son emploi, de plus en plus distante sa compagne. Et que penser de ces pertes de mémoire qui l’accablent ? Bien sûr, Annick sait qu’elle pourrait voir autrement la situation, mais elle ne veut pas croire que c’est elle-même qui revient changée de ses incursions virtuelles ou, pire, que ces dernières ne sont pas vraiment virtuelles…

La frugalité du temps est un roman de science-fiction très original! Ce qui m’a d’abord intéressée, c’est cette idée entourant la généalogie et la réalité virtuelle. C’est très tentant comme univers, de vouloir voir nos ancêtres et comprendre leur mode de vie, quand on s’intéresse à la généalogie. C’est donc à un roman foisonnant et intrigant que nous convie Sylvie Bérard.

Annick est passionnée de généalogie. Elle travaille à ses recherches de longues heures chaque semaine. Quand elle tombe sur une publicité d’une nouvelle firme, Arborithme, qui propose une immersion totale dans le monde de ses ancêtres, Annick s’inscrit et commence à découvrir ce qu’ils ont à offrir. Totalement fascinée par ce à quoi elle a maintenant accès, qui lui permet de rencontrer ses aïeux, Annick se prend au jeu. Elle y retourne de plus en plus souvent et devient en quelque sorte accro. Son quotidien lui paraît terne, elle s’éloigne de sa conjointe, a du mal à s’intéresser à son travail. Le pire? Ces curieuses pertes de mémoires qui surviennent lorsqu’elle retrouve sa vie quotidienne. Elle commence à se demander de quoi sont vraiment faits ses voyages en réalité virtuelle…

Ce roman est passionnant! J’aime beaucoup l’histoire et la généalogie. Ici, nous découvrons les recherches d’Annick sur ses ancêtres, tout au long du roman. Il y a des photos, des articles et des arbres généalogiques. Les chapitres alternent entre les données trouvées par Annick lors de ses nombreuses recherches, les textes qu’elle fait paraître sur son blogue et le compte-rendu de ses incursions chez Arborithme. En parallèle, il y a aussi sa vie quotidienne, entre son emploi comme enseignante, sa conjointe avec qui les choses ne vont pas forcément bien depuis qu’Annick passe tout son temps chez Arborithme et ses questionnements sur ce qu’elle découvre. 

« Le généalogie n’a pas grand sens lorsqu’elle reste dans les fiches de notre ordinateur. Elle a besoin de vivre et c’est en vous la livrant que je la garde palpitante, littéralement. »

C’est donc un roman de science-fiction foisonnant d’informations, qui nous plonge dans l’univers de la généalogie et nous offre une histoire originale. L’auteure revisite d’ailleurs d’une façon inédite le thème du voyage dans le temps. Elle nous plonge dans l’histoire pour mieux nous faire découvrir ce que pourraient être les dérives de l’avenir. L’histoire des ancêtres d’Annick est aussi très intéressante. 

J’adore les histoires de voyage dans le temps et ce roman-ci, très actuel dans ses thématiques et ses personnages, nous offre un monde à la croisée de l’histoire et de la science-fiction. On découvre par le même fait l’histoire des époques visitées par Annick et ses ancêtres. Vraiment, c’est prenant! Une belle découverte!

La Frugalité du temps, Sylvie Bérard, éditions Alire, 481 pages, 2023

Bienvenue, Alyson

Francine Hamel, 54 ans, manque à l’appel. La ville d’Alma se met en branle. Cette étrange disparition en plein cœur du Saguenay est le grain de sable qui semble entraîner les autres. Du village québécois à l’orbite terrestre, quelque chose de presque invisible se tisse et se propage. Avec l’humour grinçant qu’on lui connaît, la romancière ilnu J. D. Kurtness nous propose, dans Bienvenue, Alyson, une fin du monde aux étranges accents de béatitude et de délivrance.

J’ai lu ce livre dans le cadre de Juin je lis autochtone. C’est le premier livre que je lis de la collection Solstice et j’aime beaucoup ce très court format. C’est une petite collection qui se veut « un appel à l’étonnement, au voyage et à la fulgurance ».

Bienvenue, Alyson est une novella étonnante. Une toute petite plaquette de science-fiction que je n’ai pas pu lâcher avant la fin. Les pages défilent vite. On aurait aimé faire durer le plaisir. J’ai aimé l’écriture et la façon dont l’auteure amène son sujet.

Francine est portée disparue. Son fils adulte n’a plus de ses nouvelles et il appelle la police. Personne ne fait rien, jusqu’à ce qu’une vidéo du fils en pleurs soit diffusée sur internet et fasse bouger un peu les autorités. Alors une enquête est ouverte. Mais cette disparition étrange est en fait l’infime petite chose qui va doucement se propager… jusqu’à semer le chaos.

Le texte est si court que je ne veux pas en dire plus. Je ne m’attendais pas à cette histoire et j’ai été très agréablement surprise. C’est intrigant, bien écrit et ces quelques pages nous offrent un monde complet en lui-même.

J’ai adoré ce livre, c’est vraiment bon. J’en aurais pris encore et encore. Je veux tout lire ce que J.D. Kurtness a écrit! Sa plume m’a définitivement séduite. Parfois, les petits livres nous permettent de découvrir de grands auteurs!

Bienvenue, Alyson, J. D. Kurtness, éditions Hannenorak, 35 pages, 2022