Nous voulons voir votre chef !

Il y a d’abord cette diffusion, par la station de radio CREZ, d’un chant traditionnel haudenosaunee oublié, qui attire sur Terre des visiteurs imprévus… Puis cette intelligence artificielle qui, à la stupeur de ses concepteurs, développe de la curiosité et, surtout, des sentiments de tristesse et de révolte lorsqu’elle s’intéresse à l’histoire des Premières Nations… Et que penser de cette journaliste autochtone qui reçoit des informations confidentielles alarmantes concernant ces capteurs de rêves que l’on voit de plus en plus partout. Se peut-il vraiment que cette prolifération soit due à un plan machiavélique du gouvernement canadien ?… Or, il ne faut surtout pas oublier ce qui s’est passé à Old Man’s Point quand Tarzan, Cheemo et Teddy buvaient tranquillement leur bière en regardant le lac. C’est avec de l’étonnement plutôt que de la terreur qu’ils ont vu jaillir de l’étrange objet descendu du ciel cette créature aux allures de calmar géant… mais avec une totale certitude qu’ils ont su vers qui la diriger lorsqu’elle a exigé sans détour : Nous voulons voir votre chef !

Ce recueil de neuf nouvelles de science-fiction est vraiment intéressant. On associe assez peu la littérature autochtone et la science-fiction, peut-être parce qu’elle nous semble moins courante. Pourtant, l’imaginaire fait partie prenante de la littérature autochtone et chaque fois que j’ai pu lire des textes issus de cette littérature de l’imaginaire (science-fiction et policier par exemple), j’ai passé d’excellents moments de lecture. On a parfois l’impression que le mélange des deux est incompatible ou étonnant. Pourtant, l’auteur prouve ici qu’il est possible d’écrire de la science-fiction avec une perspective autochtone. 

Les nouvelles de Drew Hayden Taylor sont toutes excellentes. L’auteur a beaucoup d’imagination et réussi à parler de sa culture à travers des histoires de vaisseau spatial, de superhéros, de voyage dans le temps, de drones, de visite extraterrestre ou de technologie. C’est parfois drôle, parfois touchant, parfois inquiétant aussi quand la technologie et le pouvoir s’en mêle. J’ai trouvé que la qualité des nouvelles était au rendez-vous et le plaisir que j’ai eu à les lire était égal d’une histoire à l’autre même si les thèmes varient beaucoup. Certaines chutes sont brillantes et mêlent habilement la culture autochtone à l’imaginaire propre à la science-fiction. La dernière nouvelle, celle qui donne son titre au recueil, m’a vraiment fait rire. Alors que l’histoire de Mitchell et de son grand-père dans Perdu dans l’espace, m’a beaucoup émue. On passe par une gamme d’émotions en lisant ces textes.

J’ai adoré! J’ai vraiment eu beaucoup de plaisir à lire ce recueil. C’est une excellente découverte, qui me donne assurément envie de lire autre chose de cet auteur. D’ailleurs, un autre livre de lui m’attend dans ma pile.

« Il ressemblait à plein de jeunes de notre communauté, coincés entre le passé et l’avenir. Le but, en réalité, c’est de trouver un bon dosage de l’un et de l’autre pour que la vie vaille la peine d’être vécue. »

Je ne peux que vous conseiller la lecture de ce recueil. C’est l’une de mes plus belles découvertes de l’année!

Nous voulons voir votre chef !, Drew Hayden Taylor, éditions Alire, 278 pages, 2022

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L’Architecte de la vengeance

Ella a un don. Quand elle regarde un enfant, et avant que son nez ne se mette à saigner, elle sait s’il va devenir infirmier en gériatrie où s’il va mourir avant l’âge de onze ans, étendu sur un trottoir, les yeux vers le ciel, fauché par l’incompréhensible guerre des gangs qui ensanglante son quartier depuis toujours. Pirus, Crips, Bloods…la violence a tant de noms à Compton. Quand Kevin, son frère, voit le jour en 1992, pendant les émeutes provoquées par l’acquittement des policiers impliqués dans l’affaire Rodney King, Ella sait déjà que sa famille va déménager de la Californie pour Harlem et qu’elle tiendra bientôt dans sa main sa première boule de neige. Mais quitter l’endroit d’où l’on vient ne permet pas toujours d’échapper à la violence et à l’injustice. Ella a un don ; pour elle, pour Kevin, pour l’Amérique, sans doute le temps est-il venu de l’utiliser.

Ce roman raconte l’histoire d’Ella et de son petit frère Kev. Ella a un don très puissant. Elle voit l’avenir, perçoit la mort des gens, peut voler et voir tout un tas de choses avec un simple contact. Elle peut plonger dans l’esprit et les souvenirs des gens. Elle est puissante. Elle ne maitrise pas totalement son don et apprend à l’utiliser au fil des pages.

Kevin est né pendant les émeutes provoquées par l’acquittement des policiers impliqués dans l’affaire Rodney King, victime de violences policières. Il grandit dans un contexte difficile, un quartier violent et il se retrouve en prison. Ella va le voir. Elle tente de le protéger et de changer les choses à sa façon.

Dans le sillage du mouvement Black Lives Matter, ce court roman est un cri de colère, dénonçant l’injustice et le racisme, les bavures policières et la violence armée. Original dans sa façon d’amener le sujet, par l’entremise d’Ella qui voit tout, perçoit le passé et l’Après, permet à son frère de comprendre ce qui s’est passé pour lui et pour elle, mais aussi pour d’autres personnes dont l’existence est minimisée par les institutions.

« Je ne peux plus me permettre d’avoir de la colère en moi. Je ne peux pas. Je n’ai pas assez d’énergie pour garder une telle rage. »

L’auteur est un ancien juriste, spécialisé dans les droits civiques. Il connaît bien son sujet et c’est sa propre colère que l’on sent à travers les mots de ses personnages. Un court roman à la fois triste et violent, un coup de poing qui permet d’aborder un sujet difficile, en y mêlant l’imaginaire, et qui offre une vision omnisciente des personnages. Je trouve le tour de force à la fois marquant, humain et touchant. Si le thème vous intéresse, je vous conseille ce livre qui présente une approche très différente de tout ce que j’ai pu lire jusqu’à maintenant.

Le roman est suivi de deux articles sur le sujet, écrits par l’auteur pour un site internet. Ils complètent bien le roman.

L’Architecte de la vengeance, Tochi Onyebuchi, éditions Albin Michel, 192 pages, 2022

Le parc jurassique

Une petite île du Pacifique perdue dans le brouillard. Un vieillard milliardaire qui réalise enfin son rêve : créer le parc d’attractions le plus original du monde. Un entreprise américaine spécialisée dans la recherche génétique, en particulier le clonage, qui travaille d’arrache-pied et dans le plus grand secret à recréer des dinosaures : en tout, quinze espèces différentes, au comportement soi-disant inoffensif. Un triomphe scientifique qui tourne au désastre lorsque le jeune paléontologiste Alan Grant, un de premiers visiteurs du parc, rencontre l’inconcevable… Une formidable course poursuite de vingt-quatre pour éviter le pire. Voici enfin, avec Le Parc Jurassique, un formidable suspense sur les possibilités infinies de la technologie et de la génétique aujourd’hui. Mais vouloir dominer la nature est un rêve dangereux

J’adore l’univers du Parc Jurassique, les films et les dinosaures en général, mais je n’avais jamais lu le livre. Il était temps d’y remédier! Avec une amie nous en avons fait une lecture commune. J’avais naturellement vu le film à sa sortie en 1993 et ça m’avait beaucoup marquée. Je me rappelle en détail cette sortie au cinéma en famille. Le film m’apparaissait totalement fascinant. Et le livre l’est finalement tout autant, sinon plus.

Tout le monde connaît l’histoire du Parc Jurassique: John Hammond, un riche homme d’affaires travaille à créer un parc d’attractions unique en son genre en clonant des dinosaures. Il invite en avant-première des scientifiques à le visiter et ses petits-enfants. Il souhaite susciter l’émerveillement, tant chez les enfants que chez les adultes. Il se doute bien que les scientifiques qui ont étudié les dinosaures toute leur vie, seront stupéfaits par les prouesses de la génétique élaborées par son équipe. Évidemment, John pensait avoir tout prévu, tout planifié et être capable de tout contrôler. Mais quand l’humain joue avec la génétique et la nature, les choses ne se déroulent pas vraiment comme prévu…

« Ces animaux sont génétiquement conçus pour être incapables de survivre dans le monde réel; ils ne peuvent vivre que dans le parc Jurassique. Ils ne sont pas libres, tant s’en faut. Nous les retenons prisonniers. »

Ce roman est extraordinaire. Le propos est fascinant et il devait l’être encore plus lors de sa parution en 1990. Il y est énormément question d’éthique, de génétique, de sciences, d’archéologie et de paléontologie. Le roman est intéressant pour son côté « aventure » naturellement et pour la fascination que les dinosaures exercent sur nous, mais c’est quand même avec horreur qu’on découvre l’arrière-plan du fonctionnement du parc et la fragilité de son élaboration. Le livre amène beaucoup de questionnements sur l’éthique et la façon d’utiliser les connaissances. C’est aussi un constat sur l’échec assuré, à court, moyen et long terme, lorsque l’humain manipule la nature pour arriver à ses fins.  

« Vous voyez, il y a des moments où l’on se demande si des animaux éteints ne devraient pas le rester. Vous n’avez pas ce sentiment, vous aussi? »

J’ai adoré ce roman. Je l’ai dévoré. Ça se lit vraiment bien. L’histoire est assez proche du film mais quand même différente sur certains points. Le texte est plus élaboré et toutes les questions scientifiques ainsi que le processus biologique de création des dinosaures, sont beaucoup plus élaborés dans le livre. L’auteur s’est d’ailleurs inspiré de travaux de paléontologistes reconnus pour écrire son roman. J’ai passé un excellent moment avec les dinosaures. C’est un livre fascinant et bien écrit. J’aurais dû le lire bien avant!

Le parc jurassique, Michael Crichton, éditions Robert Laffont, 444 pages, 1993

Tout ce qui reste de nous

Trois histoires de science-fiction ou de « speculative fiction » qui racontent la perte, le sentiment de fin, l’importance des souvenirs, dans des mondes crépusculaires ou en danger de mort. Voyage dans une autre dimension, accident d’un vaisseau spatial, fable sur la fin d’un monde, ces récits particulièrement émouvants proposent une approche spirituelle des questionnements actuels sur le progrès et la fin du monde, et les conséquences sur nos sentiments.

J’ai tout de suite été attirée par la bande dessinée de Rosemary Valero-O’Connell pour une bonne raison: il s’agit de science-fiction. Ce qui me semble assez rare en bandes dessinées, surtout ce genre de science-fiction. Celle que j’aime lire dans les recueils de nouvelles par exemple. Ici, c’est encore mieux puisqu’il s’agit de trois histoires. Trois nouvelles qui explorent des thèmes comme notre besoin des autres, la perte (de l’autre, de la mémoire, de notre monde) et les souvenirs. Leur force comme leur fragilité.

« …Je ne me rappelle pas.
-Eh bien, ça ne devait pas être si important. »

Le livre contient les histoires suivantes:

Tout ce qui reste de nous
Il s’agit de la première histoire, qui donne son titre à la bande dessinée. Ici, l’auteure parle d’un étrange escalier qui nous propulserait dans un autre monde. Quand une femme y perd son amoureuse, elle part à sa recherche dans un univers qui dévore les histoires des gens et s’en nourrit.

Ce qui reste
La seconde histoire raconte un projet encore en test, le Cœur de la Mémoire. C’est une sorte de moteur qui utilise les ondes cérébrales produites par les souvenirs.

Con Temor, Con Ternura
Cette histoire complète le recueil. Le titre signifie quelque chose comme Avec peur, avec tendresse. Elle raconte un monde où vit une géante endormie. L’ombre de son hypothétique réveil plane sur cette société.

J’ai beaucoup aimé cette bande dessinée. Je trouve que le format et le concept sont très intéressants. La chute de chacune des histoires laisse une grande place à l’imagination. Les récits sont oniriques, enveloppants et poétiques. J’ai plongé dans ce livre en ne sachant pas trop où j’allais. J’en ressors avec une réflexion sur notre monde, notre humanité et sa fragilité. C’est une bd que j’ai trouvé très intéressante. J’aime beaucoup la science-fiction et la façon dont l’auteure aborde ses thèmes est particulière. Le dessin est délicat et joli. C’est vraiment agréable à lire. Si vous cherchez quelque chose de différent je vous la conseille!

« Quoi que vous vouliez faire, faites-le maintenant. Où que vous vouliez être, soyez là ce soir. »

Tout ce qui reste de nous, Rosemary Valero-O’Connell, éditions Dargaud, 120 pages, 2021

Réponds à la lumière

Je suis Emma L. Maré, future grande écrivaine. J’avais envie d’écrire une uchronie détraquée. J’avais envie d’écrire sur moi. J’avais aussi envie de ne surtout pas écrire sur moi. Bon, oui, ce roman parle de porno, de meurtres, de bibittes bizarres et de ma vie de marde. J’y ai mis de l’action frénétique, du sexe torride, de l’humour tordu et des dialogues moins éloquents que je l’espérais. Mais ce n’est pas ça qui est important. L’important, c’est de rester sublime.

Voilà un roman original et étonnant auquel je ne m’attendais pas du tout. J’aime bien la littérature de l’imaginaire, la science-fiction aussi et j’aime être étonnée. Ce fut vraiment le cas ici. C’est un court premier roman qui mêle autofiction, érotisme, imaginaire, horreur, humour et science-fiction. Je n’ai jamais lu quelque chose de semblable! 

Emma aspire à devenir une grande écrivaine. Elle vit dans un appartement un peu minable avec des colocs assez bizarres. Elle écrit dès qu’elle le peut. Le jour, elle est analyste de contenu. C’est un intitulé qui paraît bien pour un emploi qui consiste à regarder de la pornographie toute la journée. En fait, elle travaille pour un site en ligne et elle doit approuver les vidéos qu’elle reçoit, selon plusieurs critères. Elle en regarde donc en boucle. Le reste du temps, elle fantasme sur son collègue de travail, Phil.

Jusque là, je n’étais pas du tout certaine d’aimer ce roman. Le contexte me semblait être à des lieues de ce que je lis habituellement. Je me demandais dans quelle lecture je venais de m’embarquer. Et puis tout à coup, l’histoire prend une tournure étonnante. Emma reçoit une vidéo à approuver. Une vidéo vraiment très très différente de ce qu’elle reçoit habituellement. À partir de là, j’étais accrochée. J’ai lu le reste du livre d’une traite. Je ne veux pas raconter cette scène, parce qu’il vaut mieux en savoir le moins possible quand on lit ce roman. Même la quatrième de couverture est évasive. On n’a aucune idée de ce que l’on va lire en commençant le livre. Je pense que c’est bien car ça contribue grandement au plaisir de découvrir peu à peu l’histoire.

De mon côté, j’ai littéralement dévoré les pages. Il y a beaucoup d’humour, parmi les scènes un peu glauques. Le personnage de Monique par exemple, m’a fait mourir de rire. Il y a de tout dans ce roman, de l’humour noir en passant par des créatures bizarres, du sang, du sexe, de la science et des scènes complètement absurdes. Mais aussi, il y a de belles réflexions sur l’humanité.

« C’est pour ça que vous, les humains, vous serez toujours l’une des races les plus tourmentées de l’univers: assez intelligents pour savoir qu’il y a des questions, mais pas assez brillants pour y répondre. Vous êtes dans une éternelle insatisfaction et vous allez continuer à l’être. »

Si vous voulez lire quelque chose de différent, d’assez étonnant, d’étrange, un livre de moins de 200 pages qui mêle à peu près tous les genres, c’est peut-être un livre pour vous! J’ai beaucoup aimé cette expérience de lecture. Un roman pour le moins original!

Réponds à la lumière, Emma L. Maré, éditions VLB, 192 pages, 2021