
Naomi Fontaine écrit une longue lettre à son amie Shuni, une jeune Québécoise venue dans sa communauté pour aider les Innus. Elle convoque l’histoire. Surgissent les visages de la mère, du père, de la grand-mère. Elle en profite pour s’adresser à Petit ours, son fils. Les paysages de Uashat défilent, fragmentés, radieux. Elle raconte le doute qui mine le cœur des colonisés, l’impossible combat d’être soi. Shuni, cette lettre fragile et tendre, dit la force d’inventer l’avenir, la lumière de la vérité. La vie est un cercle où tout recommence.
Tout ce qui concerne les cultures autochtones vient toujours me chercher et me touche beaucoup, mais ici c’est encore plus le cas car le texte est vraiment émouvant. L’auteure a écrit ce livre qui s’adresse à son amie Julie, qui signifie Shuni en innu. Le père de Julie avait construit une église baptiste dans la réserve et c’est de cette façon que les deux filles ont fait connaissance. Elles se sont côtoyées quelques années, jusqu’à ce que Julie quitte la réserve. Malgré une promesse de s’écrire, le temps a passé et les lettres se sont faites rares. Des années après ses études, Julie doit revenir à Uashat. Alors l’auteure lui écrit pour lui raconter ce qui s’est passé pendant son absence, ce qui lui manque de sa communauté maintenant qu’elle vit, elle aussi, à l’extérieur. Elle raconte ce qu’elle a laissé derrière, ce quelle n’a pas oublié, mais aussi ce qui a changé depuis toutes ces années.
« Durant le chemin du retour, je suis restée assise quelques minutes, seule, sur le bord de la fenêtre. Défilaient les montagnes, les épinettes qui penchaient, les immenses champs de neige, les lacs enfouis sous la glace épaisse. Mon grand-père s’est assis devant moi. Il était très vieux. Ses cheveux gris, son pas vacillant. Dans une langue ancienne que je n’avais jamais entendue, celle de la forêt, il a commencé à me parler: C’est ici que je suis né. Sous une tente. Je ne peux pas me rappeler les premières années de ma vie parce qu’elles sont loin, mais je me rappelle le feu dans le poêle à bois posé sur des briques. L’odeur du sapin et la voix de ma mère qui chante un cantique. Je suis né au printemps. »
Naomi Fontaine parle de plusieurs enjeux reliés à leur communauté. De leur histoire. De leurs idéaux. De leur identité et aussi du quotidien. Ainsi débutera la lette à son amie, une lettre faite de réflexions, de pensées, de constats, toujours avec respect et bienveillance. Toujours dans l’idée d’unifier les relations entre les différents peuples et de faire comprendre les différences. L’auteure a beaucoup de respect pour ceux qui s’occupent des communautés éloignées, même si elle sait que toute la bonne volonté du monde n’est pas toujours suffisante.
« Rarement, les gens me perçoivent comme un individu unique. Dans un groupe, on ne m’appelle pas par mon nom. On dira l’Indienne, l’Innue, l’Autochtone. Si je tombe, c’est tous les autres qui tombent avec moi. Si je me tiens debout, ils sauront que nous sommes résistants. Ce n’est pas de la vanité. C’est le mur où les préjugés nous ont acculés. Et il faudra du temps, de l’espace, de la connaissance pour s’en libérer. »
Elle raconte la façon dont la réserve et son départ pour la ville ont forgé son appartenance à sa communauté. Elle parle souvent de lieux remplis de beauté, qui lui sont chers et sont représentatifs d’elle-même. À travers sa lettre, elle va aborder les difficiles réalités de sa communauté, du passé, du présent, des blessures difficiles à guérir, du manque d’aide, de l’isolement, du racisme beaucoup trop présent et des préjugés envers les autochtones. Toujours avec cet esprit d’ouvrir le dialogue pour permettre une meilleure compréhension de chaque peuple. Elle raconte sa façon de vivre et de concilier deux cultures très différentes. Elle parle aussi du côté très résilient des innus, de l’entraide, de la place de la femme. En innu par exemple, le mot « liberté » n’existe pas. Il n’y a pas besoin de mot pour décrire quelque chose qui est perçu comme allant de soi.
Naomi Fontaine a une plume de toute beauté. Elle a une façon bien particulière, à la fois belle et émouvante, d’amorcer des pistes de réflexion sur sa communauté et sur les liens avec les autres. Shuni est un ouvrage à la fois poétique et puissant, écrit avec émotions, sans être larmoyant. La beauté des mots est émouvante. Je dirais même que Shuni est un ouvrage essentiel. En étant écrit de façon épistolaire, ce texte apporte un nouveau regard sur les autochtones, sous une forme qui permet de mieux saisir toute la portée de ce qu’ils ont vécu. L’auteure parle également des valeurs autochtones.
Le texte est parfois émouvant et des passages m’ont beaucoup touché. J’ai aimé ce livre que je ne peux que conseiller. Une très belle lecture, portée par une plume magnifique.
Un ouvrage à lire assurément.
Shuni, Naomi Fontaine, éditions Mémoire d’encrier, 160 pages, 2019