Les Frères Michelin, une aventure industrielle

Tout le monde connaît aujourd’hui les célèbres pneus, cartes routières et autres guides gastronomiques siglés Michelin. Leur histoire se confond avec celle de la France. Pourtant, cet empire eut bien failli ne jamais voir le jour, n’eut été la détermination de deux frères : André, entrepreneur fantasque doué d’un génie sans pareil pour les « coups de com », et Edouard, artiste reconverti avide d’innovation. Ensemble, ils auront connu succès et crises à la taille de leur destin.

J’avais un grand intérêt pour cette bande dessinée puisque le thème touche à mon travail et ça rejoint ma sphère de compétences. Étant dans le domaine du pneu depuis plus d’une vingtaine d’années, ce livre piquait assurément ma curiosité. Tout le monde connaît Michelin, un des géants de l’industrie du pneu. On ne le présente plus. Mais connaît-on vraiment ce qu’il y a autour de cette aventure industrielle? J’avais donc hâte de découvrir cette histoire qui aborde les débuts des frères Michelin.

Lorsqu’on ouvre le livre, et de là mon intérêt encore plus accru, on découvre que l’histoire est aussi intimement liée à la guerre. Ici, l’histoire débute le 20 juin 1940. On recule alors dans le passé avec Édouard Michelin, qui nous raconte les débuts de la compagnie, alors que l’entreprise familiale cours vers la faillite. On découvre dans cette bande dessinée l’histoire de la famille, les frères Michelin, leurs talents, leurs domaines de prédilection. Ils vont mette leurs forces, complètement opposées, en commun afin de sauver l’entreprise familiale et permettre de faire évoluer la compagnie. On apprend leur histoire, ce qu’ils ont dû traverser en lien avec leur époque. C’est aussi un portrait intéressant de l’évolution de l’industrie au fil des ans.  

« 1940. Alors que l’armée française s’effondre face à l’Allemagne, le service de recherche de Michelin donne naissance, dans le plus grand secret, à un prototype de pneu qui, bientôt, révolutionnera la mobilité. Celui-ci est baptisé du nom de code « cage à mouche » en raison des câbles espacés de sa carcasse. »

Voici donc l’histoire de la naissance de Michelin, l’évolution, les études en lien avec la compagnie, la création de l’entreprise vers celle que l’on connaît aujourd’hui et leur vision de la compagnie. C’est aussi une image de la relève qui va pousser et prendre position également au sein de l’industrie. La vision de l’entreprise évolue avec le temps. Pour eux, il est important que le président débute à zéro, qu’il travaille avec les ouvriers dans chaque département pour mieux comprendre ce que vivent les employés et le travail relié à leurs tâches.

Ça m’a donné l’impression d’une compagnie qui créait, au sein de son équipe, un véritable esprit familial. Dans la portion bande dessinée de l’ouvrage, on découvre l’évolution de Michelin jusqu’à la seconde guerre mondiale. On apprend aussi des choses sur la naissance de Bibendum: comment il a été créé et pourquoi. Un personnage qui a traversé les ans, est devenu le symbole de l’entreprise et qui est reconnaissable à travers le monde au premier coup d’œil.

J’ai découvert avec intérêt que les frères Michelin on beaucoup créé et investis dans d’autres domaines qui n’ont rien à voir avec le pneu. Les règles de l’époque étant plus souples, il était plus facile pour une compagnie industrielle de s’investir dans d’autres domaines, qui n’avaient aucun lien avec son expertise. Ils ont fait beaucoup d’investissements dans la communauté et ils ont dû par la suite se réinventer afin de poursuivre leurs objectifs.

La bande dessinée couvre la période entre 1885 et 1940 pour le texte et le dessin. Elle raconte l’histoire de Michelin, son processus de développement, les points positifs comme négatifs, les révolutions et les épreuves. Tout l’aspect entourant la guerre est aussi fascinant. On découvre que les usines étaient réquisitionnées par les Allemands et de quelle façon les Michelin ont dû travailler afin de cacher leur processus de création et leurs prototypes pour ne pas les perdre.

« Nous avons pourtant rompu l’isolement des peuples, désenclavé des territoires entiers. Nous avons donné du travail et un but à ces gens, nous avons facilité l’exploration et la découverte… Nous avons enseigné notre savoir-faire aux quatre coins du monde et aujourd’hui tout cet idéal est perverti, victime de la haine et de la guerre. »

Après 1940 jusqu’à aujourd’hui, l’histoire est racontée sous forme de documentaire, à la fin de la bande dessinée. On y retrouve des documents visuels: des croquis, des photos d’époque, les réalisations de l’industrie, les révolutions dans le monde du pneu. Les auteurs vont nous parler de la relève, des publicités, des conquêtes des marchés mondiaux, des tests routiers, de la création des usines, des prototypes, de l’expansion et des acquisitions industrielles faites au fil des ans.

J’ai adoré cette lecture. C’est très instructif car ça touche à beaucoup d’univers et de domaines que j’apprécie. On découvre l’histoire de l’entreprise et aussi de l’époque. J’adore l’histoire et ce qui est intéressant aussi c’est que l’on vit avec les Michelin l’impact de la guerre sur leur compagnie, les conséquences sur l’industrie. La lecture est très agréable, bien présentée aussi, en alternant la bande dessinée et le documentaire. La forme de l’ouvrage rend l’histoire très accessible.

Une bande dessinée qui se lit d’une traite, qui est très instructive et nous apprend une foule de choses sur l’avenir de la compagnie et les évolutions. Il est inutile de connaître en détail le monde du pneu pour apprécier ce livre puisque c’est axé sur l’histoire, la création et l’ingéniosité. Une bande dessinée qui nous donne une perception positive et sympathique des fondateurs de la compagnie et des gens de la relève. Ça été un très beau moment de lecture pour moi.

Les Frères Michelin, une aventure industrielle, Cédric Mayen, Fabien Nappey, éditions Le Lombard, 72 pages, 2022

Stickeen

Stickeen, un des livres les plus célèbres de John Muir, raconte l’amitié qui se noue entre un homme et un petit chien lors d’une expédition en Alaska en 1880. S’il s’agit d’un traditionnel récit d’aventure, l’intention est plus profonde : d’abord « bizarre, discret, autonome », Stickeen, le chien en question, révèle un autre aspect de son tempérament après avoir survécu à la traversée périlleuse d’un glacier ; il se laisse apprivoiser par l’homme qui constate que nos « frères horizontaux » ne sont pas si différents de nous.

Je voulais lire John Muir depuis longtemps. Pionnier du naturaliste, c’est aussi à lui, entre autres, qu’on doit la création des parcs nationaux américains. Parmi ses œuvres, mon choix s’est porté sur Stickeen, qu’on qualifie de grand classique universel. Stickeen se lit en fait comme un conte sur le lien qui unit un homme et un animal. Ici, c’est un lien improbable que même Muir n’avait pas anticipé. 

« Nous avions participé à de si nombreuses excursions côte à côte, dans de vastes étendues sauvages, que j’avais pris l’habitude de lui parler à voix haute, comme s’il s’agissait d’un jeune garçon qui comprenait tout ce que je lui disais. »

John Muir part en expédition pour l’Alaska afin d’explorer les glaciers le long du fleuve Stikine. Il est accompagné, entre autre, du révérend Samuel Hall Young qui amène avec lui un petit chien, Stickeen. La bête n’a rien de spécial. Sa race est incertaine, c’est un animal nonchalant qui traîne ici et là et ne sert à rien en expédition. Mais voilà que le chien commence à accompagner John Muir dans ses explorations. Une amitié se développe doucement entre l’homme et le chien. Quand John Muir est surpris par une forte tempête de neige et que sa vie est en danger, les liens entre lui et Stickeen se resserrent.

« C’est ainsi qu’a commencé la plus mémorable de toutes les journées que j’ai passées dans les contrées sauvages. »

J’ai beaucoup aimé ce livre. J’adore les chiens et j’aime les histoires de blizzard et de tempête. C’était une jolie incursion dans le monde de Muir avec cette histoire universelle et familiale. Ce n’est pas un livre pour enfant, mais c’est un classique plutôt accessible pour une vaste catégorie de lecteurs. Un peu comme les récits de chiens et de loups de Jack London. Le texte est très court, mais les éditions Bartillat en ont fait un ouvrage vraiment agréable.

Cette édition est intéressante car elle nous offre une préface éclairante sur la vie de John Muir et sur son écriture. Stickeen a été écrit puis retouché plusieurs fois pour différentes publications. Cet ouvrage aborde aussi des sujets connexes au texte. Il parle des choix et difficultés de la traduction et offre des informations complémentaires sur l’œuvre. Ces ajouts sont vraiment agréables pour mieux comprendre le contexte. Il y a aussi plusieurs notes en bas de page que j’ai trouvé très pertinentes et une chronologie à la fin.

Une belle histoire entre l’homme et la bête qui me donne assurément envie de lire tout ce que Muir a écrit.

Stickeen, John Muir, éditions Bartillat, 128 pages, 2022

Carnets 1968-2018

Depuis 1968, Gilles Cyr a élaboré une œuvre poétique témoignant d’une constante attention au monde. Celle-ci relève moins de la contemplation que de l’étude, dimension très frappante dans ses carnets, où les notes n’ont toutefois rien de systématique : elles s’attachent librement aux personnes, aux lieux et aux choses, et souvent à la littérature, en particulier à plusieurs poètes admirés. Comme c’est le cas pour l’œuvre poétique, la langue est ici rigoureuse, à la fois concise et subtilement rythmée. Au fil du temps, l’écriture des poèmes s’est transformée, en intégrant la légèreté et l’humour, qui ne remplacent pas la gravité initiale, mais s’y ajoutent et l’animent. On peut y voir une leçon de ces carnets, que le poète aurait suivie, et qui nous est maintenant proposée.

Je ne connaissais pas Gilles Cyr avant de lire cet ouvrage. Je ne me l’aurais peut-être pas procuré pour cette raison, mais je l’ai reçu avec un autre livre. C’était donc l’occasion de le découvrir. Gilles Cyr est un poète et ici, nous avons droit à ses carnets, qui couvrent une période allant de 1968 à 2018.

Je crois que c’est la première fois que je lis un livre sous forme de carnet. J’ai bien apprécié le format. À travers ses notes, l’auteur nous présente ses réflexion sur le moment présent, sur des choses qu’il découvre, sur ce qu’il pense de différents sujets. D’autres fois, il nous parle de certains auteurs (on retrouve souvent Gaston Miron par exemple), mais aussi plusieurs qui m’étaient inconnus. Ce livre est un peu comme un véritable carnet de réflexions. L’auteur parle beaucoup de ce qu’il pense de la poésie d’autrefois, versus la prose que l’on retrouve souvent aujourd’hui dans les recueils poétiques. Pour lui la prose détruit la poésie et c’est un thème qui revient souvent dans ses réflexions.

« Lors de la présentation publique de votre nouveau livre, ne pas oublier d’orienter rapidement la conversation vers vos pages les plus noires. Sinon, les journalistes grommellent et se rebiffent, et ne pensent plus qu’à partir. »

Chaque entrée suit l’ordre chronologique, mais parfois il y a des années où il n’y a aucune entrée. Ses réflexions sont parfois poétiques et il parle d’un peu de tout. Comme il s’agit d’un écrivain, ses carnets tournent beaucoup autour de la poésie, de la prose, du travail de certains auteurs. Il commente des extraits, offre ses commentaires sur la littérature, la traduction, l’écriture, parle du quotidien, de ses voyages. Il prend des notes sur des événements, sur le temps qui passe et sur le temps qu’il fait. Des notes qu’il qualifie de « légères et aérées ».

« Je tiens à ce que tout le monde sache à quel point je suis heureux de votre venue. Cela dit, je dois vous prévenir: gare aux crevasses et enfoncements, dans les rues de notre belle ville. Pour s’y engager, il est préférable d’avoir bien dormi, et d’avoir les yeux en face des trous. »

Il aborde certains livres ou auteurs que je ne connais pas, donc certaines entrées m’échappent, certains clins d’œil aussi. Par contre j’ai adoré certaines autres notes de son carnet, surtout lorsqu’il parle de la réalité du Québec, de la langue qu’il a à cœur, de la société. Il se permet aussi des conseils ou des réflexions sur la façon d’écrire ou de lire, sur le monde littéraire. C’est un méli-mélo de toutes sortes d’idées, culturelles, littéraires, politiques, ainsi que des anecdotes sur la société, l’histoire et le monde en général.

« Durant toutes ces années, des personnalités ont torturé leurs phrases et dissimulé leurs mouchoirs. Puis, sans transition, ils ont fondu sur la simplicité. Le résultat est là. »

J’ai appris aussi des choses sur certains événements passés qui m’ont surpris ou qui m’ont plu. Parfois il y a une forme d’humour philosophique qui est venu me chercher. J’ai trouvé ses propos intéressants. C’est le genre de livre à lire doucement, quelques réflexions à l’occasion. C’est un livre qui propose de prendre le temps de le lire pour mieux réfléchir et apprécier ce qu’on lit. Je crois que c’est la bonne façon d’appréhender ce carnet de notes. 

« La puissance québécoise agit à distance – à distance de visibilité variable – et donne sa solidité aux autres États, sans se mélanger à eux. »

Même si certains propos m’ont moins parlé, c’est un ouvrage qui me donne envie de découvrir la poésie de l’auteur que je ne connais pas. Ce livre m’a donné envie de découvrir le côté créateur et littéraire de Gilles Cyr et d’éventuellement me pencher sur un de ses recueils de poésie. C’est donc une découverte inattendue que ce carnet de réflexions et d’idées, mais j’y ai passé un beau moment de lecture.

Carnets 1968-2018, Gilles Cyr, éditions de l’Hexagone, 232 pages, 2021

Adlivun

1847, Angleterre. La Mary Céleste, navire du capitaine Briggs, est accosté au port de Douvres. Les autorités britanniques sont à la recherche d’hommes assez téméraires pour retrouver l’Erebus et le Terror, deux vaisseaux d’exploration disparus il y a un peu plus d’un an lors d’une expédition en Arctique. Motivés par une belle récompense, Briggs et son équipage décident d’entreprendre la mission de sauvetage. Mais une fois arrivés en terre inuite, ils tombent sur un navire fantôme, trop petit pour être l’Erebus ou le Terror. Leur périple prend alors une tournure inattendue…

Vincenzo Balzano crée des bandes dessinées atypiques que, personnellement, j’apprécie beaucoup. J’avais beaucoup aimé Clinton Road du même auteur et j’avais hâte de découvrir ce livre-ci, surtout qu’il aborde la disparition des bateaux de l’expédition de Franklin, un thème sur lequel j’adore lire.

Cette superbe bande dessinée se déroule en 1847. Nous sommes en Angleterre, alors que les autorités cherchent à recruter des volontaires pour partir sur les traces des bateaux de Franklin portés disparus: l’Erebus et le Terror. Briggs, un capitaine mystérieux qui cache bien des choses, décide d’entreprendre les recherches et part sur le Mary Celeste. En arrivant sur place, l’équipage fait des découvertes déroutantes…

« Fuyez loin d’ici! Pauvres fous! »

L’auteur a un style très particulier qui me plait beaucoup. Son dessin est étrange et onirique. L’atmosphère dans laquelle baigne l’histoire est toujours mystérieuse et inquiétante. Ce n’est pas une histoire linéaire et on peut s’amuser à en faire plusieurs interprétations. C’est surtout une lecture d’ambiance et si on est sensible à ce genre particulier, Vincenzo Balzano est assurément un auteur à découvrir. Clinton Road était aussi un peu dans le même genre, même si le sujet était totalement différent. Chez Balzano, tout se joue sur les impressions et l’ambiance mystérieuse qui plane dans l’air.

Les thèmes qu’il utilise dans ses bandes dessinées sont intrigants. Ici, il mélange la légende et les histoires terrifiantes en lien avec les naufrages. Franklin et le naufrage de ses bateaux ont marqué l’histoire. Il faut savoir que Briggs et le Mary Celeste ont aussi existé. Il est intéressant de lire sur ces deux événements puis de voir ce que Balzano en a fait dans Adlivun. Son interprétation de ces événements est intéressante.

J’aime définitivement beaucoup son travail puisqu’il nous plonger dans des lieux sombres et inquiétants, où le lecteur n’est jamais sûr de rien. Une belle découverte!

Adlivun, Vincenzo Balzano, éditions Ankama, 168 pages, 2022

Par une belle nuit d’hiver

Dans cette charmante berceuse, un parent peint le tableau d’une belle nuit nordique pour son enfant endormi, décrivant la beauté des flocons de neige, le scintillement des étoiles, la danse des cristaux de givre sur la fenêtre… Ce poème lyrique de Jean E. Pendziwol décrivant la beauté des nuits nordiques est une façon magnifique de la partager avec son enfant. Les illustrations extraordinaires d’Isabelle Arsenault rendent hommage à ce magnifique poème.

Par une belle nuit d’hiver est l’un de mes albums préférés. Je le trouve plein de délicatesse, tant dans le texte de Jean E. Pendziwol, que dans les illustrations d’Isabelle Arsenault. Il s’en dégage une très grande douceur. C’est un album qui parle du calme de la nature et qui amène le lecteur à être serein. J’adore l’atmosphère feutrée de ce livre, un peu comme on se sent par une belle nuit d’hiver.

Cet album est en fait un long poème qui raconte l’amour de l’hiver et sa magie, un soir glacé, alors qu’un enfant est endormi. Tout au long des pages, le parallèle est fait entre la nuit hivernale où le ciel offre ses plus beaux cadeaux et où les animaux s’activent pendant que l’enfant dort doucement sous sa couverture bien chaude.

Véritable hommage à l’hiver et au calme de cette saison, principalement la nuit, cet album est tout simplement sublime. Il m’accompagne depuis des années et je le relis à l’occasion quand j’ai envie d’un peu de douceur. Toujours en hiver, quand la saison froide est bien installée. 

L’auteure nous parle des traces de pas des animaux dans la neige, des lueurs dans le ciel, des cristaux sur la fenêtre, des étoiles qui scintillent, du jardin endormi. La nuit hivernale calme, vivant à son propre rythme. 

Un album magnifique!

Par une belle nuit d’hiver, Jean E. Pendziwol, Isabelle Arsenault, éditions Scholastic, 32 pages, 2014

L’Esprit ensauvagé

Face aux périls qui menacent l’humanité en ce début de XXIe siècle – réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, montée des tensions -, les peuples autochtones ont un message à nous délivrer. En Amérique du Nord ou du Sud, en Afrique ou en Océanie, ils perpétuent encore, à travers leur culture et leur spiritualité, une autre façon d’être au monde. Nourrissant son propos de ses nombreux voyages et de ses rencontres, chez les Sioux Lakotas notamment, Maurice Rebeix nous offre un panorama de réflexions tous horizons, promesse d’une réconciliation avec notre nature profonde. Afin de léguer une planète viable aux générations futures, il offre une piste qui invite à « ensauvager » nos esprits en s’inspirant de la pensée des peuples premiers.

Ce livre m’a accompagnée pendant plusieurs jours et son propos m’a énormément rejointe. L’auteur, très proche de plusieurs peuples autochtones, adopté par certains d’entre eux, nous parle ici de leur façon d’être au monde, de leur perception de tout ce qui est vivant. À la fois essai d’écologie et d’anthropologie, ce livre aborde aussi la spiritualité et l’histoire. Attention! Spiritualité ne signifie pas religion. On parle ici d’une spiritualité en lien avec la nature. De philosophie. De notre rapport à la sacralité et de notre place dans le monde du vivant. 

« … s’émerveiller de l’extraordinaire plutôt que d’y chercher à tout prix l’explication logique, c’est le privilège de celles et ceux qui savent tout simplement sourire aux « actions » les plus improbables du monde. »

En filigrane, nous suivons l’auteur pendant la Danse du Soleil, rituel Lakota auquel il participe. Et il en profite pour nous parler de tout. De la nature, d’abord et avant tout et de notre relation défaillante avec elle. De la pandémie qui aurait pu faire changer beaucoup de chose sur notre relation au monde, alors que l’humain est vite revenu à sa position d’avant, dès qu’il en a eu l’occasion. L’auteur aborde aussi la sacralité du vivant, l’art, la médecine, la science, l’anthropocentrisme, les animaux, les végétaux et les arbres, les rites, le modèle de société des Blancs, des exemples de cascade trophique, de ce qui nous donne de la joie, les mythes, de l’émerveillement, des savoirs ancestraux que l’on perd, de la paix aussi, de soi, des autres.

« L’homme blanc est à la fois génial et fou, il a le génie de la technologie mais il fait un usage dément de celle-ci. »

Ce livre m’a beaucoup touchée car il aborde des sujets qui me tiennent à cœur. Je suis généralement une optimiste mais je trouve tellement décevant de voir où s’en va notre monde. Maurice Rebeix touche des points sensibles et vise juste quand il parle de notre rapport à l’éducation, à l’appât du gain (toute notre société ne tourne qu’autour de l’argent, malheureusement) et de la façon dont on saccage toute nature. Aussitôt que l’humain s’installe quelque part, il massacre allègrement son milieu de vie. Dès l’instant où notre monde n’a plus rien de sacré, que ce soit les insectes, une plage, une forêt, un loup, notre rapport au monde devient défaillant. On agit en conquérant, le reste n’a plus d’importance.

« En l’absence du sacré, tout est à vendre. »

Étant passionnée par la nature, par son développement, sa sauvegarde, faisant tout ce qui est possible pour contribuer, à ma façon, à limiter mon empreinte et la place que je prends dans la nature, à promouvoir la biodiversité, à la traiter avec respect, tout comme j’aimerais être moi-même traitée, à remercier pour ce qu’elle m’offre, ce livre m’a énormément parlé. J’y ai trouvé un fort écho de ce que je pense du rapport de l’homme au monde, de ce que l’on devrait changer comme société. De repenser le modèle dans lequel on vit pour un meilleur rapport au monde. 

« La permaculture ne résoudra pas le problème de la faim dans le monde, l’agriculture industrielle non plus: aucun système n’est résilient tant que le système marchand exploite tout, les hommes, la terre, et que la moitié produite est gaspillée. »

L’auteur amène plusieurs exemples que l’on retrouve dans la nature et aussi, d’exemples d’initiatives humaines. Elles peuvent sembler minimes à l’échelle de la planète, mais ces initiatives sont essentielles. Je pense à la réintroduction des loups à Yellowstone, aux « forêts de poche » et à une meilleure éducation chez les jeunes. Si on passe du temps dans la nature et qu’on comprend l’intime relation de l’humain avec le vivant, on est à même de protéger ce que l’on connaît et d’en comprendre la sacralité.

« Consommer toujours plus en trouvant toujours moins de quoi remplir nos vies. S’astreindre coûte que coûte à avoir quelque chose alors même que nous avons de plus en plus de mal à être quelqu’un. Perte de lien, quête de sens… »

J’ai adoré cette lecture qui est pertinente et éclairante dans le monde perturbé dans lequel on vit. J’ai noté un nombre incalculable de passages qui ont résonné chez moi. Je considère ce livre comme essentiel, parce qu’il amène une vision si simple et à la fois si peu prise en compte par l’humain. C’est déroutant de voir à quel point l’humain n’a, au fond, rien compris. Malgré cela, le livre de Maurice Rebeix ne donne pas de leçons et ne juge pas. Il constate. Et il m’a fait du bien, parce qu’il m’a donné l’impression de ne pas être seule avec mes idées et mes actions sur le monde vivant. 

« Sachez que vous-même êtes essentiel à ce monde. Comprenez à la fois la bénédiction et le fardeau que cela représente. Vous êtes désespérément nécessaire pour sauver l’âme de ce monde. Pensiez-vous que vous étiez ici pour moins que ça? »

À l’ère des changements climatiques et de l’écoanxiété, cet ouvrage passionnant et intéressant est un véritable plaidoyer pour changer notre mode de pensée et de fonctionnement en tant qu’humain. Pour modifier notre rapport au monde et mieux comprendre que tout, toujours, est relié. Et que notre survie en dépend.

Un livre à lire. Parce que je pense qu’on en a tous besoin.

L’Esprit ensauvagé, Maurice Rebeix, éditions Albin Michel, 464 pages, 2022