La Dernière Frontière

À vingt et un an, l’auteur part pour une traversée solitaire de l’Alaska en canoë. Il suit le cours de la Tanana puis du Yukon jusqu’à la mer de Béring, à 2 000 kilomètres de son point de départ. Sur cet itinéraire peu cartographié, les bivouacs ne sont jamais sûrs, qu’ils soient en lisière de forêt, à la merci des ours, ou chez les habitants, adeptes de beuveries intenses sous le ciel flamboyant des jours polaires. Au-delà de ses représentations de la Dernière Frontière, de Jack London au National Geographic, l’auteur découvre au contact des Natifs leur culture et un territoire fascinant. Ce récit généreux, empreint d’humour, s’ouvre à l’autre en nous plongeant dans l’inconnu.

J’adore les récits de voyage en Alaska et j’ai beaucoup aimé ce livre. L’auteur nous raconte son voyage en solitaire, à bord d’un simple canoë.

Volodia a 21 ans quand il décide de partir pour suivre le cours de la Tanana puis du fleuve Yukon, jusqu’à la mer de Béring. Ce voyage dans la dernière frontière, lui fait découvrir le mode de vie de ceux qui y vivent, la chasse et la pêche, les lieux immensément fascinants, les difficultés de voyager en canoë et les problèmes en cours de route. L’auteur fait d’improbables rencontres, qui sont parfois étonnantes, parfois inquiétantes. Les lieux ne sont pas forcément comme ceux qu’on imagine dans les livres et les grands récits d’aventure. Parfois hostiles, souvent sympathiques et accueillants, certains natifs n’ont rien et sont prêts à tout offrir au voyageur. L’auteur se frotte aussi à un paysage plus grand que nature et à la menace des ours pour laquelle il tente de se préparer tout le long de son voyage.

« Chaque matin est une victoire sur la nuit. Si j’ouvre un œil, c’est qu’aucun prédateur ne m’a dévoré durant mon sommeil. »

Le voyage se fait essentiellement en solitaire, avec des rencontres de temps à autre lorsqu’il accoste quelque part. La routine est différente sur l’eau et la vie quotidienne semble bien loin. Les petits détails banals en pleine ville apparaissent ici comme des défis. Puis, la vie des hommes devient peu à peu inconfortable. La vie sauvage prend le dessus, parfois. Constats et questionnements parsèment ce récit. L’inattendu survient au bout d’une courbe ou dans le changement brusque de température.

J’ai beaucoup aimé la forme que prend ce récit de voyage, par petites touches, selon les événements et le déroulement de l’aventure. L’auteur affronte la solitude, les difficultés d’approvisionnement, la nature qui se déchaîne, l’humidité et l’eau qui imbibe tout. Il n’est pas toujours préparé face à ce qu’il doit affronter, mais se débrouille bien malgré les obstacles. Il se raconte avec sincérité et simplicité, parsemant son récit d’informations variées sur les lieux et l’histoire.

« Plus qu’un fait géographique, une rivière est une ligne de vie. De mort aussi. C’est en s’immergeant dans cette « Dernière Frontière »  naturelle qu’une frontière humaine se dévoile. »

La dernière frontière a été un grand bonheur de lecture. Un livre dans lequel on se laisse porter, aux côtés de l’auteur, dans une nature fabuleuse et au fil de l’eau. Un voyage passionnant où l’inattendu peut survenir à chaque instant!

Une carte du voyage et des principaux lieux visités par l’auteur est ajoutée au début du récit. Elle permet aussi d’identifier les rencontres ou les événements marquants.

La Dernière Frontière, Volodia Petropavlovsky, éditions Le mot et le reste, 168 pages, 2023

Nécro

Michael Anderson, journaliste de son métier, découvre avec effarement, mais également attrait, qu’il possède le pouvoir de tuer des gens en rédigeant simplement leurs notices nécrologiques… Et s’il faisait usage de ce pouvoir hors du commun pour débarrasser le monde des pires individus ?

Le résumé est intrigant non? Cette novella, publiée en collection jeunesse, est tirée du recueil Le Bazar des mauvais rêves. J’attends toujours avec impatience la sortie d’une nouvelle histoire dans cette collection. J’aime beaucoup le format de ces livres.

Michael est journaliste. Du moins, il essaie. Mais pour le moment, ses aspirations ne sont pas vraiment comblées. Il écrit des notices nécrologiques. Quand il réalise que ce qu’il écrit a le pouvoir de tuer réellement les gens qui ne sont pas encore morts, ce pouvoir le trouble beaucoup. Et s’il décidait d’en faire usage pour débarrasser le monde des pires individus?

Cette histoire est intéressante et intrigante. J’aime bien le personnage de Michael qui se retrouve coincé avec un pouvoir étrange qu’il n’a pas demandé. Jusqu’à quel point peut-on user d’un droit de vie ou de mort sur les gens? Doit-on se faire justice soi-même? Jusqu’où ce terrible (mais grisant) pouvoir peut-il aller? Et si Michael finissait finalement par en perdre le contrôle?

Voilà un thème qui amène son lot d’interrogations. J’aime bien ces histoires hypothétiques qui questionnent le Bien et le Mal, ainsi que la morale qui y est associée. J’aime quand les auteurs placent le lecteur dans une position inconfortable. Jusqu’où irions-nous si nous avions accès au même pouvoir que Michael?

Une courte nouvelle que j’ai bien aimé, qui se lit rapidement et dont le contexte est très intéressant.

Nécro, Stephen King, éditions Albin Michel, 128 pages, 2023

Le Cauchemar d’Innsmouth t.1

En 1927, le jeune Robert Olmstead débarque à Newburyport. En quête de ses origines, il n’a d’autre option, pour atteindre sa destination, que de prendre un bus qui passe par Innsmouth, ville voisine sur laquelle courent d’effroyables rumeurs : pacte avec les démons, habitants difformes, culte ésotérique d’un étrange dieu marin… La peur qu’elle inspire est telle que personne n’ose s’y rendre, et nul ne sait ce qui se cache derrière les façades de ses maisons délabrées… Pourtant, les mises en garde des résidents de Newburyport, loin de décourager Robert, le poussent au contraire à s’intéresser à ce lieu pestiféré : il décide d’explorer les méandres de la cité maudite ! C’est le début d’une descente aux enfers qui le mènera aux portes de la folie…

J’avais hâte de me plonger dans ce manga, le dernier paru de Gou Tanabe qui nous offre des adaptations toujours très réussies des chefs-d’œuvre de H. P. Lovecraft. Le cauchemar d’Innsmouth ne fait pas exception. Il est intéressant de savoir que c’est d’ailleurs la seule histoire de Lovecraft à avoir été publiée de son vivant. 

Nous sommes au Massachusetts, en 1927. Robert célèbre sa majorité en voyageant en Nouvelle-Angleterre en quête d’antiquités et de généalogie. Il cherche à se rendre à Arkham, mais le coût est exorbitant. On lui propose alors de prendre un bus qui passe par Innsmouth. À cause de cela, personne ne monte dedans. Mais Robert tient à faire ce trajet et il ignore les mises en garde sur cet endroit. Il en est même de plus en plus curieux. Ce qu’il ne sait pas, c’est que c’est dans une ville portuaire en perdition, effrayante et glauque qu’il va se retrouver…

« Les rumeurs à propos de la lugubre Innsmouth circulaient depuis plus d’un siècle, et rien de nouveau n’aurait pu être aussi délirant ni hideux que ce qui s’était murmuré au cours des années passées. »

Chaque fois que je découvre un nouveau manga de cette collection, adapté des œuvres de Lovecraft, je suis sous le charme. Gou Tanabe a définitivement trouvé le genre qui lui convient. Les mangas sont prenants, on a l’impression de plonger totalement dans l’histoire glauque et effrayante imaginée par Lovecraft. Le manga est un bel objet, le dessin est d’un réalisme inquiétant et l’atmosphère étrange et étouffante se distille doucement au fil des pages.

Ce premier tome met en place l’ambiance et le personnage de Robert. Il est jeune, il n’a pas vraiment peur de ce qui effraie tout le monde et il veut rejoindre Arkham. Les légendes entourant Innsmouth l’intéressent et il est curieux plutôt qu’apeuré. Mais cette ville est assurément très bizarre et la rencontre que fait Robert va changer les choses…

« Au milieu du silence qui régnait… Je me sentis soudain épié par une foule d’yeux sournois… Des yeux fixes qui ne se fermaient jamais. » 

Un excellent manga qui s’achève abruptement. Vaut mieux avoir le tome 2 sous la main!

Le Cauchemar d’Innsmouth t.1, Gou Tanabe, Éditions Ki-oon, 222 pages, 2021

Rosamée t.1: La Traversée interdite

Sur une île au beau milieu de l’océan, vit une petite fille, Rosamée, et ses parents. Elle passe une grande partie de son temps à jouer avec son ami Gaspy, un oiseau majestueux. Mais Rosamée est intriguée par une autre île que l’on aperçoit au loin, sur laquelle il est interdit de s’y rendre. Rosamée confie à Gaspy qu’elle veut braver l’interdit. Incapable de l’en dissuader, Gaspy lui propose de s’y rendre et, qu’à son retour, s’il n’y a aucun danger, ils feront le voyage ensemble. Rosamée s’inquiète de plus en plus…

Cette bande dessinée raconte l’histoire de Rosamée qui vit sur une île avec ses parents et son meilleur ami, Gaspy un oiseau majestueux. Rosamée rêve de voyages et d’aventures, mais sa vie sur l’île est isolée et elle ne voit jamais personne. Ses parents lui enseignent les matières qu’elle doit apprendre et elle joue aux pirates avec Gaspy. Sauf que ça ne lui suffit pas et l’interdiction d’aller sur l’île qu’elle aperçoit au loin est un fort incitatif à vouloir partir. Elle veut être libre, ce qu’elle n’a pas l’impression d’être en ce moment. Pourquoi ses parents lui interdisent-ils formellement de rejoindre cette île?

J’avais envie d’une bande dessinée avec un peu d’aventure et Rosamée est un petit personnage bien décidé qui m’a fait sourire. L’histoire est sympathique et son monde est à la fois étrange et merveilleux. Le dessin est onirique, mais rappelle le monde de la mer et les pirates. Les couleurs cependant sont douces et j’ai trouvé l’ensemble très joli.

L’histoire vise un public jeunesse, mais j’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir le monde de Rosamée qui rêve d’explorations et de découvertes. Ce premier tome se termine sur une note inquiétante pour la fillette, mais heureusement, j’ai le second tome sous la main.

C’est une histoire parfaite pour les plus jeunes, mais qui plaira aussi à un public adulte qui aime les histoires d’aventures qui ne sont pas trop sombres. Le livre parle de liberté et de quête, en parallèle avec le sentiment de sécurité que procure le fait de demeurer sur l’île. Mais ça, Rosamée n’en veut pas vraiment. Ce qu’elle désire par-dessous tout c’est de voyager et de découvrir le monde. Peu importe ce qui l’attend au bout.

Rosamée t.1: La Traversée interdite, Ingrid Chabbert, Berny, éditions Dargaud, 48 pages, 2022

La nuit ne dort pas

Dès sa parution en 1954, le recueil de nouvelles La nuit ne dort pas est considéré comme un événement marquant dans le milieu littéraire de l’époque et les critiques accorderont à la femme de lettres une place auprès des grands nouvellistes : Anne Hébert, Jacques Ferron, Yves Thériault… Trois rééditions plus tard, le recueil aura traversé l’épreuve du temps par son apport important à l’évolution du genre de la nouvelle au Québec. Avant-gardiste et toujours aussi actuelle, l’écriture inédite d’Adrienne Choquette explore l’intériorité humaine par des analyses psychologiques délicates qui composent autant de tableaux sociaux incisifs.

Ce livre d’Adrienne Choquette est une découverte pour moi. Je connaissais l’auteure parce qu’un prix littéraire porte son nom, mais je ne l’avais encore jamais lue.

Il s’agit d’un recueil de sept nouvelles, qui ont toutes pour toile de fond le Québec des années 40 et 50. C’est l’époque de l’après-guerre, avant la Révolution tranquille.

Les thèmes varient, d’un petit garçon qui rêve de voyages, à un meurtrier après son crime, en passant par des femmes coincées dans leurs rôles d’épouses et de mère. C’est un univers où le père et le mari règnent en maître. C’est souvent à une atmosphère feutrée et légèrement inquiétante que nous convie Adrienne Choquette.

« Les souvenirs sont des tombes ouvertes. Si l’on n’y prend garde, une nuit venteuse nous jette parmi les morts. »

Ces textes sont étonnants pour l’époque car l’auteure ne s’inscrit pas dans un courant littéraire convenu. Les notes à la fin du livre sont très éclairantes d’ailleurs et elles accompagnent très bien l’œuvre. Elles permettent de mieux cerner l’époque et l’écriture d’Adrienne Choquette. Des histoires où la toute-puissance de la famille et les rôles sociaux définis par ce qu’on attend de chacun, sont au cœur des thèmes abordés. L’auteure a le sens de la nouvelle et nous garde captivés jusqu’à la fin.

« …il s’agit d’explorer et de transmettre le sentiment de détresse d’individus particuliers, isolés, aux prises avec un destin qui ne s’explique plus entièrement par la religion. »

J’ai maintenant très très envie de découvrir une autre de ses œuvres, Laure Clouet, afin de faire le comparatif de l’évolution entre deux époques, comme suggéré à la fin du recueil. Je pense qu’Adrienne Choquette devrait être lue et (re)découverte aujourd’hui. Ce recueil était une excellente lecture.

La nuit ne dort pas, Adrienne Choquette, éditions Bibliothèque québécoise, 100 pages, 2023

La Frugalité du temps

Passionnée de généalogie, Annick Paradis est intriguée par cette publicité aperçue sur l’un des sites de recherche qu’elle fréquente assidûment. Persuadée d’avoir atteint les limites de ces derniers, elle décide de tenter l’expérience : après tout, Arborithme, la firme qui s’annonce, possède une succursale dans sa ville. Dès sa première immersion, Annick est enthousiasmée. Tous ses sens sont mis à contribution tant le niveau de détail de la simulation est ahurissant et, au fil de ses plongées, le colporteur dont elle emprunte les traits noue des liens d’amitié avec ses aïeux. Or, ces séances sont si stimulantes que, à chacun de ses retours, Annick trouve de plus en plus ennuyeux son emploi, de plus en plus distante sa compagne. Et que penser de ces pertes de mémoire qui l’accablent ? Bien sûr, Annick sait qu’elle pourrait voir autrement la situation, mais elle ne veut pas croire que c’est elle-même qui revient changée de ses incursions virtuelles ou, pire, que ces dernières ne sont pas vraiment virtuelles…

La frugalité du temps est un roman de science-fiction très original! Ce qui m’a d’abord intéressée, c’est cette idée entourant la généalogie et la réalité virtuelle. C’est très tentant comme univers, de vouloir voir nos ancêtres et comprendre leur mode de vie, quand on s’intéresse à la généalogie. C’est donc à un roman foisonnant et intrigant que nous convie Sylvie Bérard.

Annick est passionnée de généalogie. Elle travaille à ses recherches de longues heures chaque semaine. Quand elle tombe sur une publicité d’une nouvelle firme, Arborithme, qui propose une immersion totale dans le monde de ses ancêtres, Annick s’inscrit et commence à découvrir ce qu’ils ont à offrir. Totalement fascinée par ce à quoi elle a maintenant accès, qui lui permet de rencontrer ses aïeux, Annick se prend au jeu. Elle y retourne de plus en plus souvent et devient en quelque sorte accro. Son quotidien lui paraît terne, elle s’éloigne de sa conjointe, a du mal à s’intéresser à son travail. Le pire? Ces curieuses pertes de mémoires qui surviennent lorsqu’elle retrouve sa vie quotidienne. Elle commence à se demander de quoi sont vraiment faits ses voyages en réalité virtuelle…

Ce roman est passionnant! J’aime beaucoup l’histoire et la généalogie. Ici, nous découvrons les recherches d’Annick sur ses ancêtres, tout au long du roman. Il y a des photos, des articles et des arbres généalogiques. Les chapitres alternent entre les données trouvées par Annick lors de ses nombreuses recherches, les textes qu’elle fait paraître sur son blogue et le compte-rendu de ses incursions chez Arborithme. En parallèle, il y a aussi sa vie quotidienne, entre son emploi comme enseignante, sa conjointe avec qui les choses ne vont pas forcément bien depuis qu’Annick passe tout son temps chez Arborithme et ses questionnements sur ce qu’elle découvre. 

« Le généalogie n’a pas grand sens lorsqu’elle reste dans les fiches de notre ordinateur. Elle a besoin de vivre et c’est en vous la livrant que je la garde palpitante, littéralement. »

C’est donc un roman de science-fiction foisonnant d’informations, qui nous plonge dans l’univers de la généalogie et nous offre une histoire originale. L’auteure revisite d’ailleurs d’une façon inédite le thème du voyage dans le temps. Elle nous plonge dans l’histoire pour mieux nous faire découvrir ce que pourraient être les dérives de l’avenir. L’histoire des ancêtres d’Annick est aussi très intéressante. 

J’adore les histoires de voyage dans le temps et ce roman-ci, très actuel dans ses thématiques et ses personnages, nous offre un monde à la croisée de l’histoire et de la science-fiction. On découvre par le même fait l’histoire des époques visitées par Annick et ses ancêtres. Vraiment, c’est prenant! Une belle découverte!

La Frugalité du temps, Sylvie Bérard, éditions Alire, 481 pages, 2023