
1972, nord-est du Canada. Dans cette région glaciale, balayée par les vents, où l’hiver dure huit mois, la petite communauté de Jasperville survit grâce au travail dans les mines de fer. Les conditions de vie y sont difficiles. Au-delà du village, il n’y a rien. Juste une nature hostile, quelques ours, des loups. Aussi, quand le corps d’une adolescente du village est découvert aux abords de la forêt, la gravité des blessures laisse-t-elle supposer qu’elle a été victime d’une bête sauvage. Ce sera en tout cas la version officielle. Et tout le monde prie pour qu’elle soit vraie. Mais, quelque temps après, le corps d’une autre jeune fille est retrouvé. Des années plus tard, de retour à Jasperville où il a passé son enfance, Jack Devereaux réalise que tout le monde se contente aujourd’hui encore des mensonges du passé, par peur d’affronter une vérité bien trop dérangeante.
En commençant ce roman, je ne m’attendais pas du tout à ce que j’ai lu. Je croyais lire un thriller classique, une enquête policière, mais c’est beaucoup plus que cela.
Le roman se déroule dans une petite communauté fictive, Jasperville, inspirée de villes minières comme Schefferville. J’ai été agréablement surprise de voir que le roman se déroulait au Québec. Ça m’a fait tellement plaisir! Ça me semble assez rare en littérature étrangère pour être souligné.
Jacques Devereaux (qui a changé son nom pour Jack quand il a fuit sa vie à Jasperville) reçoit un appel de la police. Son frère Calvis, qu’il n’a plus revu depuis 26 ans, a attaqué un homme qui est entre la vie et la mort. Calvis est en détention. La ville a peu de moyens et le seul policier de la région ne sait pas quoi faire de cet homme. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a retrouvé Jack. De leur famille, il ne reste que lui pour prendre soin de Calvis. Il retourne donc dans cette petite communauté où il a grandit et qu’il a fuit, malgré ses promesses de prendre soin de ceux qu’il avait promis de soutenir. Il était jeune et avait peur. La fuite était devenue une question de survie.
« Jasperville n’était ni plus ni moins qu’un cimetière, doué d’une inexplicable capacité à ôter la vie tout autant que la santé mentale de ses habitants. »
Avec lui, nous plongeons dans le passé et dans ses souvenirs. On retourne dans les années 70 où l’on avait alors retrouvé le corps d’une jeune fille. Cette découverte avait ébranlé les citoyens. Quand une seconde jeune fille est retrouvée sans vie, la communauté isolée et laissée à elle-même a du mal à se relever. Les événements qui s’y déroulent vont en rendre fou certains, alors que d’autres, comme Jack, vont tout faire pour mettre tout ça derrière eux. Même jusqu’à devenir eux-mêmes des ombres… et à oublier de vivre.
« On est soi-même, mais on porte en soi les fantômes de tous ceux qu’on aurait pu devenir. »
J’ai beaucoup aimé cette lecture que j’ai trouvé très prenante. Ce n’est pas un thriller au sens où on l’entend. C’est un roman psychologique, finement construit, qui décortique la vie d’une famille et d’une petite ville isolée. L’histoire alterne entre le passé et le présent, ce qui va nous permettre, au fil des pages, d’essayer de saisir l’ampleur des événements. C’est en retenant son souffle que l’on tourne les pages pour essayer de comprendre ce qui a pu se passer à l’époque… et ce qui se déroule encore aujourd’hui. On imagine sans mal les lieux, le froid, la solitude et le manque flagrant de ressources. Il est difficile de mener de front une enquête quand l’aide et les employés se font rare, que chacun ne souhaite que retourner à sa propre vie en essayant d’oublier la douleur et que la rotation des effectifs rend complexe la recherche de la vérité.
Une saison pour les ombres est un excellent roman rempli de secrets, de mensonges et de l’histoire de familles complètement démunies devant les événements. Une histoire de souffrances et de ténèbres, dans un décor hostile et glaçant. J’ai beaucoup aimé cette lecture!
Une saison pour les ombres, R. J. Ellory, éditions Sonatine, 408 pages, 2023