L’empire du froid

Le froid est un adversaire redoutable qui met tout le monde au diapason : qui ne s’adapte pas à ses rigueurs risque d’y laisser sa peau. Les bêtes font leur poil d’hiver, les hommes s’emmitouflent, et chacun rêve secrètement d’une hibernation qui ne prendrait fin qu’au retour des beaux jours. Mais au fait, qu’est-ce que le froid et comment délimiter son empire ? Fort de ses voyages dans les régions du monde où le froid est le plus tenace, François Garde se propose de cerner cet adversaire à travers 99 textes surprenants, insolites, drôles, poétiques. Ces variations qui vous feront frissonner sont à savourer bien au chaud.

J’aime l’hiver et j’aime le froid, bien plus que la chaleur. Bien habillé, on peut en profiter pleinement. Ce livre m’attirait donc beaucoup. C’est avec plaisir que j’ai donc commencé L’empire du froid de François Garde avec mon club de lecture. Sous-titré De l’importance de bien connaître son adversaire ce livre entreprend, en 99 courts textes, de nous parler du froid. 

Anecdotes, faits historiques ou insolites, expéditions, poésie, réflexions, humour, ces textes abordent le froid sous toutes ses formes. L’ouvrage est construit un peu comme un abécédaire pour les grands. Presque toutes les lettres de l’alphabet sont représentées, à raison d’un ou de plusieurs textes par lettre. C’est un livre qui se prête très bien à une « lecture calendrier » ou à une « lecture alphabétique », en choisissant de lire une lettre par jour ou par semaine par exemple. C’est le genre de livre à conserver sur la table de chevet et en lire quelques chapitres à la fois, pour avoir quelque chose de nouveau à découvrir chaque jour. C’est un peu ce que j’ai fait. 

« Le froid n’est pas un perturbateur, mais un conservateur. Un gage de paix. Son déclin ouvre les portes du temple de la guerre. »

Dans cet essai, l’auteur aborde toutes les facettes du froid. De celles qui sont évidentes, comme la Sibérie ou les pôles, à celles qui sont tellement ancrées dans notre quotidien qu’on n’y pense même plus. Il y est question de blizzard, de températures, de territoires, de mots, de culture, d’art, de garde-manger, de sports, de la banquise, des cornets de crème glacée, de cryogénisation, de glacière, de pemmican, des ours, des flocons, des engelures, des légendes, pour ne nommer que ceux-là.

« L’engelure est un petit dragon qu’il ne faut pas réveiller. »

C’est un livre très intéressant qui se lit avec plaisir. On peut grappiller ici et là quelques textes chaque jour et découvrir le froid dans sa globalité, d’un tout autre œil. Les chapitres sont courts, remplis d’anecdotes et on apprend plusieurs petites choses. Le texte est souvent poétique et l’écriture est très jolie.

« À leur façon, les sculpteurs sur glace, funambules du froid, méditent sur l’éphémère du monde. »

C’est une belle façon d’aborder la thématique du froid. Une très bonne lecture!

L’empire du froid, François Garde, éditions Paulsen, 240 pages, 2023

Lune

Au fil des siècles, elle a été vénérée, déifiée et crainte par les différents peuples à travers le monde. Source inépuisable d’inspiration pour les poètes, les écrivains, les peintres, les musiciens et même les cinéastes, elle fascine également les scientifiques qui l’étudient depuis des centaines d’années sous toutes ses facettes : ses caractéristiques physiques et orbitales, les hypothèses sur son origine et son évolution, son influence sur la Terre, ses phases et ses éclipses, ainsi que ses mers, ses cratères, ses chaînes montagneuses, ses escarpements, ses vallées et ses nombreuses curiosités géologiques. Même si l’humain y a posé les pieds et se prépare à y retourner bientôt, la Lune n’a certainement pas fini de dévoiler tous ses secrets.

Ce livre a tout de suite piqué ma curiosité. La Lune, au fond, on ne la connaît pas tant que ça. C’est un ouvrage vraiment très complet et entièrement illustré. L’auteur a même dessiné l’image de la couverture, des centaines d’heures de travail, ce qui est très impressionnant! La Lune fascine l’humain depuis toujours. C’est la raison pour laquelle on retrouve la Lune un peu partout dans la culture, d’hier à aujourd’hui.

« L’influence gravitationnelle de la Lune sur la Terre a réduit la vitesse de la rotation de la Terre sur elle-même, un ralentissement qui se poursuit encore aujourd’hui (de l’ordre de deux millisecondes par siècle). Il y a 80 millions d’années (à l’époque des dinosaures), les journées étaient de 23 heures 33 minutes, et l’année comportait non pas 365, mais 372 jours. »

Le livre englobe plusieurs thèmes et domaines. On découvre certaines informations anciennes, des premiers observateurs de la Lune aux scientifiques qui l’ont étudiée, jusqu’à la place de la Lune dans la culture. La Lune a aussi été utilisée pour la création des premiers calendriers et a déclenché chez l’humain nombre de croyances. Plusieurs peuples ont vénéré la Lune et on la retrouve dans beaucoup mythes et de légendes. La Lune, qu’on observe avec plaisir le soir venu, tient une grande place dans la culture, la littérature, l’art, le cinéma, la musique et les sciences. De nombreuses explorations ont été menées et des recherches ont été faites sur la Lune et le sont toujours. De tout temps la Lune a fasciné l’homme.

On découvre une foule de choses et on peut suivre aussi l’évolution des avancées scientifiques au fil du temps. L’auteur nous présente la Lune avec tout que l’on sait d’elle, là où les scientifiques en sont aujourd’hui dans leurs recherches. On en apprend plus sur les hypothèses entourant sa naissance. Le livre répond à de nombreuses questions: ce que l’on voit de la Lune, les éclipses, la face cachée de la Lune, sa composition et ses particularités. Des encadrés ajoutent de l’information pertinente sur différents aspects de la Lune.

« Selon les calculs les plus récents, Théia serait entrée en collision avec la Terre à une vitesse de 124 000 km/h. L’impact aurait été si violent qu’il aurait fait incliner l’axe de rotation de la Terre d’une vingtaine de degrés, donnant ainsi naissance au phénomène des saisons. »

Cet ouvrage m’a énormément appris. J’ai vraiment apprécié d’en découvrir plus sur la Lune, sur ses liens avec la Terre et avec nous. En lisant ce livre on réalise à quel point on ne sait finalement rien de la Lune, qu’on contemple toutefois tous les soirs. C’est fascinant d’en découvrir autant et de voir toute son influence sur l’humain. L’ouvrage est de qualité, vraiment bien conçu et passionnant. J’ai adoré! C’est un ouvrage très riche et une véritable mine d’information qui vous fera voir la Lune d’un tout autre œil. 

Lune:  Culture – Nature – Exploration, Steeven Chapados, éditions Fides, 156 pages, 2023

La manufacture du meurtre

En 1896, à l’âge de 35 ans, Henry Howard Holmes, de son vrai nom Herman Webster Mudget, le premier tueur en série des États-Unis, avoue des dizaines de crimes. Pour mener tranquillement ses activités, il a édifié à Chicago, à quelques encablures des abattoirs les plus sophistiqués du monde, une bâtisse si vaste que ses voisins l’ont appelée le Château. Létal, pratique et confortable, l’immeuble est doté des innovations les plus récentes. Chef-d’œuvre rationnel et mécanique cosy du crime en pantoufles, le projet de Holmes, designer de l’extrême, s’inscrit à merveille dans le projet fonctionnaliste des modernes.
Cette enquête interroge l’émergence quasi simultanée de la révolution industrielle et de la figure du serial killer. Loin d’être une coïncidence, elle annonce la rationalité de nouveaux modes de production dont la chaîne de montage et le meurtre sériel sont deux émanations. Le cas Holmes, anti-héros de l’histoire moderne, permet de mieux saisir le tournant que cette révolution économique, mécanique et culturelle a opéré dans le traitement du vivant.

Cet essai s’attarde sur la figure de H. H. Holmes, considéré comme le premier tueur en série américain. Et quel tueur! Son parcours est surprenant et terrifiant. 

Holmes a été condamné et exécuté pour 27 meurtres. Passé maître dans l’art d’escroquer les assurances, il était aussi commerçant. Il a fait construire ce qu’on appelait « le château », une maison de plusieurs étages, abritant son lieu de vie, des commerces, des chambres à louer, etc. Il a conçu ce lieu selon ses plans, avec des pièces secrètes, des couloirs, des lieux complètement hermétiques, des capteurs électriques, un four gigantesque (qui, on s’en doute, ne servait pas à cuisiner des gâteaux), des monte-charges, et les dernières innovations dont l’électricité et le gaz. Cette maison gigantesque lui servait « d’usine à meurtres ». Tout était conçu pour pouvoir tuer sans être sur place et se débarrasser des corps discrètement. Il est avancé dans le livre que jamais Holmes aurait pu tuer aussi aisément sans son « château ». Le bâtiment tient donc une place importante dans cet essai.

« Holmes mène tranquillement ses activités commerciales et meurtrières dans l’espace public de la ville la plus dense et la plus moderne du pays. »

Il faut savoir que cet essai est différent des autres ouvrages de « true crime ». Il s’agit vraiment d’un essai où l’auteure, spécialiste du design, offre un parallèle entre l’émergence du premier tueur en série et la révolution industrielle. Holmes étant poussé au crime par son goût immodéré de l’argent, l’ouvrage tente de démontrer que ses actes représentent le capitalisme poussé à l’extrême. C’est aussi une réflexion sur les changements économiques et sociaux de l’époque de Holmes et de l’émergence de sa folie. L’ouvrage est intéressant car il suscite des questionnements autour de thèmes allant de l’appât du gain à l’art, le design faisant partie intégrante des crimes de Holmes avec l’élaboration de son « château ». Un thème aussi abordé par Thomas De Quincey dans De l’assassinat considéré comme l’un des beaux-arts ou dans le film La corde d’Hitchcock. C’est un point de vue différent, qui ne mise pas sur le sensationnalisme, mais plutôt sur l’époque et l’architecture. 

En annexe, on retrouve les confessions de H. H. Holmes, écrites pour le journal The Philadelphia Inquirer en mai 1896. Écrites juste avant son exécution, ces confessions racontent froidement le détail de chacun de ses crimes. C’était un personnage ambivalent et difficile à saisir. Il était assurément très intelligent et avait une fine connaissance des nouvelles technologies de son époque. 

Un ouvrage intéressant et troublant qui propose un nouveau point de vue sur l’apparition des tueurs en série. Il nous fait aussi voir H. H. Holmes d’un autre œil…

La manufacture du meurtre, Vie et oeuvre de H. H. Holmes, premier serial killer américain, Alexandra Midal, éditions La découverte, 128 pages, 2018

Le miel, une autre histoire de l’humanité

Au commencement, disent les anciens Égyptiens, le bourdonnement de l’abeille née des larmes du dieu solaire Rê s’éleva au-dessus des eaux primordiales du Nil, et cette vibration dans l’air serait à l’origine du monde… Saviez-vous que des peintures rupestres espagnoles vieilles de 18 000 ans montrent que le miel sauvage était récolté dès la Préhistoire, au péril de leur vie, par les premiers hommes ? Que les scènes d’apiculture découvertes dans le temple de Niouserrê en Basse-Égypte témoignent de l’existence de ruches domestiques au moins 2 000 avant J.-C. ? Qu’à l’Âge du bronze, le perfectionnement de la métallurgie qui a permis aux empires de prospérer doit beaucoup à la pratique de la cire perdue, un autre produit de la ruche ? Que la première boisson fermentée alcoolisée que l’être humain a fabriquée est l’hydromel ? Qu’Hippocrate préconisait à ses patients de boire du vinaigre mélangé à du miel (oxymel) pour soigner les rhumes, la toux, et apaiser la douleur ? Remontant le cours du temps dans le sillage de ces petites butineuses sur tous les continents, Marie-Claire Frédéric nous montre que l’histoire des civilisations humaines est indissociable de celle des abeilles et de leur précieux nectar, et que leur destin est, aujourd’hui plus que jamais, lié à la préservation de notre planète.

Cet ouvrage sur les abeilles est tout simplement fascinant! Dans cet essai de Marie-Claire Frédéric, le lecteur est transporté à plusieurs époques et découvre une foule de sujets divers, toujours en lien avec les abeilles et leur miel.

« Au commencement, selon les anciens Égyptiens, le bourdonnement de l’abeille bruissait au-dessus des eaux primordiales. Cette vibration dans l’air associée à l’humidité, a créé le monde. Le bourdonnement de l’abeille a donné le rythme, la cadence de l’univers. »

Insecte vieux de plusieurs millions d’années, les abeilles ont côtoyé les dinosaures, été représentées sur les parois des grottes préhistoriques, ont vécu l’Égypte ancienne, vu le monde médiéval et survécu jusqu’à notre réalité d’aujourd’hui. L’abeille a su s’adapter aux changements climatiques, aux extinctions massives et à de nombreux prédateurs. À travers les siècles, l’humain a vénéré l’abeille et son miel précieux, ce doux nectar sucré à la couleur dorée. Le système social de la ruche, sa hiérarchie, la soumission inconditionnelle des sujets pour la reine (qu’on pensait alors être un roi), en ont fait un système idéal à reproduire pour les sociétés humaines. Les rois de l’époque, qui croyaient avoir un modèle parfait de hiérarchie sociale, ont découvert avec les chercheurs, que l’insecte qu’ils croyaient être un roi dans la ruche était plutôt… une reine. Ça dû être un choc royal!

L’abeille a beaucoup fasciné l’humain à travers les époques et continue de le faire aujourd’hui. Ce tout petit insecte a eu un rôle puissant à travers le temps. Ce qui est passionnant dans ce livre, c’est qu’en suivant le parcours de l’abeille, c’est aussi l’histoire de l’humanité que l’on découvre. C’est l’évolution de notre relation à l’abeille et à sa domestication: de la chasse au miel en passant par les premières ruches dans les troncs d’arbre, jusqu’aux ruches que l’on connaît aujourd’hui.

« La pratique de « raconter aux abeilles » (« telling the bees ») trouve sans doute son origine dans ce type de croyances, selon lesquelles les abeilles font le lien entre notre monde et le monde des esprits. Si vous aviez une déclaration à faire à une personne disparue, il vous suffisait donc de le dire aux abeilles et elles délivraient le message. »

On s’aperçoit que l’abeille était une partie importante du mode de vie des gens au niveau culinaire, médical, mais aussi d’un point de vue religieux, en lien avec les croyances, les rites funéraires et les légendes. Le miel, c’est aussi l’hydromel, boisson sucrée et appréciée. On découvre d’ailleurs quelques recettes dans le livre. L’abeille est souvent vénérée car elle est perçue comme étant divine. Le miel était précieux, rare et symbolique. On apprend également l’histoire de la phonétique et des mots utilisés dans différentes langues pour parler du miel et des abeilles.

L’histoire de l’homme et de l’abeille est étroitement liée. On entend souvent que l’homme viendrait qu’à disparaître si l’abeille n’existait plus. Ce n’est pas tout à fait vrai. Toutefois, notre mode de vie, notre alimentation et nos écosystèmes changeraient indubitablement. Notre vie avec l’abeille, c’est une cohabitation précieuse qui a apporté énormément à l’humanité et à nos sociétés.

« Le miel est le symbole de la douceur de vivre; il nous soigne et nous nourrit d’une provende plaisante et sucrée. Parfois, il nous enivre. Mais toujours il charme nos sens. Avec lui, la « lune de miel » est éternelle. Compte tenu des nombreuses propriétés bénéfiques du miel et de ses produits dérivés, de son caractère sacré dans bon nombre de coutumes, on ne s’étonnera pas de le voir figurer en bonne place parmi les offrandes faites aux Dieux. »

Le livre est complété par quelques photos et illustrations au centre de l’ouvrage. Je vous recommande assurément cette lecture qui m’a beaucoup plu. Le travail de recherche est excellent. Étant friand d’histoire, de nature et de mythologie, j’ai trouvé le propos passionnant. Un beau coup de cœur!

Le Miel, une autre histoire de l’humanité, Marie-Claire Frédéric, éditions Albin Michel, 256 pages, 2022

American Predator

Anchorage, Alaska. Une nuit glaciale de février 2012, la jeune Samantha Koenig disparaît. Une caméra de surveillance raconte bientôt la suite de l’histoire : on y voit un inconnu armé enlever l’adolescente. La police lance une chasse à l’homme jusqu’à l’arrestation d’un suspect bien sous tous rapports. Honnête travailleur et père de famille, comment peut-il vraiment être impliqué dans cette affaire ?  Véritable enquête aux confins de la folie, American Predator raconte le parcours d’un psychopathe glaçant qui a sévi durant des années sur l’ensemble du territoire américain, sans jamais être inquiété.

Voilà un livre totalement perturbant. Ce qu’on y retrouve est terrifiant, mais on ne peut s’empêcher de continuer à lire pour tenter de trouver une explication à tout ce qu’on y lit. Pour tenter de comprendre, si cela est possible, ne serait-ce qu’un peu. Comment tout cela a pu se produire?

Alaska, février 2012. Une jeune femme, Samantha Koening, disparaît. Une caméra filme l’enlèvement, mais les indices sont minces. Avec le travail méticuleux de certains experts, des pistes commencent à apparaître. Cette disparition mènera à une chasse à l’homme à travers les États-Unis. Et celui qu’on arrête, père de famille sans casier judiciaire, défie l’entendement. Et pourtant…

Cette histoire, basée sur les documents et entretiens des agents du FBI qui ont travaillé sur cette affaire, brosse le portrait d’un tueur en série organisé, méthodique, discipliné et insoupçonnable. C’est un ouvrage vraiment terrifiant à cause de la façon de fonctionner du tueur: il a pu perpétrer ses crimes pendant des années sans représailles. Parfois amusé, souvent distant, mais ayant pris goût aux feux de la rampe – et c’est ce qui le mènera à son arrestation – ce psychopathe donne froid dans le dos.

« L’homme dont il est question dans ce livre a chamboulé les convictions des agents du FBI eux-mêmes. C’était un monstre d’un nouveau genre. Un monstre qu’on soupçonne d’être responsable de la plus grande série de disparitions et de meurtres non élucidés de l’histoire américaine contemporaine. Pourtant, vous n’avez sûrement jamais entendu parler de lui. »

Dès le début, on ne soupçonne pas ce que l’on va lire, même si la carte reproduite dans les premières pages montre toutes les villes visitées par le tueur. Cette carte est dérangeante, peut-être parce qu’elle expose visuellement tout ce qui suivra. Ce compte rendu, qui se lit comme un roman mais n’en est pas un, nous fait entrer dans la tête du tueur. Ses actes abominables. Ses gestes incompréhensifs. Les répercussions de ses crimes sur les gens des communautés où il est passé. Sur les policiers, les enquêteurs qui ont travaillé sur cette affaire. On sait que ce que l’on va lire ne nous laissera pas indemne… 

Dès l’arrestation, on commence à percevoir ce qui se cache sous la surface. Le tueur joue avec les enquêteurs. Et plus on tourne les pages, plus on découvre de nouvelles choses et plus tout cela nous apparaît insensé. Ce qui est troublant, c’est que l’histoire se déroule à notre époque, à l’ère des réseaux sociaux, des caméras de surveillance, des données électroniques. Pendant si longtemps, ce criminel a pu perpétrer ses crimes sans que quiconque puisse le soupçonner. Comme le dit si bien l’auteure: un tueur analogique dans un monde numérique.

Le travail de Maureen Callahan est minutieux, impressionnant et passionnant. Elle épluches les archives, les relevés d’enquêtes, les dépositions. Elle rencontre des gens qui ont travaillé sur cette affaires ou qui ont eu des liens avec des gens impliqués. Certaines personnes sont touchantes et m’ont émue. Je pense au plongeur dont le travail et la vie personnelle sont étroitement liés. J’ai apprécié également tout le processus d’enquête qui est raconté, le travail de recherche, les ressources utilisées et la coordination de plusieurs corps policiers. Même si on plonge littéralement dans l’horreur et dans des crimes sordides, le livre est vraiment prenant. Maureen Callahan a fait un travail de recherche monumental avec cet ouvrage. La somme d’informations récoltée est incroyable. En même temps, l’ouvrage est tellement fluide et bien raconté qu’il se lit aisément.

L’histoire, véridique, m’a particulièrement troublée. C’est fort, c’est terrifiant, c’est horrible, c’est tordu, mais c’est aussi fascinant. J’ai lu ce livre pratiquement d’une traite, sans être capable de le poser. Et j’ai envie d’en lire d’autres. Ça tombe bien, l’éditeur propose une nouvelle collection d’histoires criminelles, par états américain. Je crois bien que je vais me laisser tenter!

American Predator, Maureen Callahan, éditions 10/18, 384 pages, 2022

L’Esprit ensauvagé

Face aux périls qui menacent l’humanité en ce début de XXIe siècle – réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, montée des tensions -, les peuples autochtones ont un message à nous délivrer. En Amérique du Nord ou du Sud, en Afrique ou en Océanie, ils perpétuent encore, à travers leur culture et leur spiritualité, une autre façon d’être au monde. Nourrissant son propos de ses nombreux voyages et de ses rencontres, chez les Sioux Lakotas notamment, Maurice Rebeix nous offre un panorama de réflexions tous horizons, promesse d’une réconciliation avec notre nature profonde. Afin de léguer une planète viable aux générations futures, il offre une piste qui invite à « ensauvager » nos esprits en s’inspirant de la pensée des peuples premiers.

Ce livre m’a accompagnée pendant plusieurs jours et son propos m’a énormément rejointe. L’auteur, très proche de plusieurs peuples autochtones, adopté par certains d’entre eux, nous parle ici de leur façon d’être au monde, de leur perception de tout ce qui est vivant. À la fois essai d’écologie et d’anthropologie, ce livre aborde aussi la spiritualité et l’histoire. Attention! Spiritualité ne signifie pas religion. On parle ici d’une spiritualité en lien avec la nature. De philosophie. De notre rapport à la sacralité et de notre place dans le monde du vivant. 

« … s’émerveiller de l’extraordinaire plutôt que d’y chercher à tout prix l’explication logique, c’est le privilège de celles et ceux qui savent tout simplement sourire aux « actions » les plus improbables du monde. »

En filigrane, nous suivons l’auteur pendant la Danse du Soleil, rituel Lakota auquel il participe. Et il en profite pour nous parler de tout. De la nature, d’abord et avant tout et de notre relation défaillante avec elle. De la pandémie qui aurait pu faire changer beaucoup de chose sur notre relation au monde, alors que l’humain est vite revenu à sa position d’avant, dès qu’il en a eu l’occasion. L’auteur aborde aussi la sacralité du vivant, l’art, la médecine, la science, l’anthropocentrisme, les animaux, les végétaux et les arbres, les rites, le modèle de société des Blancs, des exemples de cascade trophique, de ce qui nous donne de la joie, les mythes, de l’émerveillement, des savoirs ancestraux que l’on perd, de la paix aussi, de soi, des autres.

« L’homme blanc est à la fois génial et fou, il a le génie de la technologie mais il fait un usage dément de celle-ci. »

Ce livre m’a beaucoup touchée car il aborde des sujets qui me tiennent à cœur. Je suis généralement une optimiste mais je trouve tellement décevant de voir où s’en va notre monde. Maurice Rebeix touche des points sensibles et vise juste quand il parle de notre rapport à l’éducation, à l’appât du gain (toute notre société ne tourne qu’autour de l’argent, malheureusement) et de la façon dont on saccage toute nature. Aussitôt que l’humain s’installe quelque part, il massacre allègrement son milieu de vie. Dès l’instant où notre monde n’a plus rien de sacré, que ce soit les insectes, une plage, une forêt, un loup, notre rapport au monde devient défaillant. On agit en conquérant, le reste n’a plus d’importance.

« En l’absence du sacré, tout est à vendre. »

Étant passionnée par la nature, par son développement, sa sauvegarde, faisant tout ce qui est possible pour contribuer, à ma façon, à limiter mon empreinte et la place que je prends dans la nature, à promouvoir la biodiversité, à la traiter avec respect, tout comme j’aimerais être moi-même traitée, à remercier pour ce qu’elle m’offre, ce livre m’a énormément parlé. J’y ai trouvé un fort écho de ce que je pense du rapport de l’homme au monde, de ce que l’on devrait changer comme société. De repenser le modèle dans lequel on vit pour un meilleur rapport au monde. 

« La permaculture ne résoudra pas le problème de la faim dans le monde, l’agriculture industrielle non plus: aucun système n’est résilient tant que le système marchand exploite tout, les hommes, la terre, et que la moitié produite est gaspillée. »

L’auteur amène plusieurs exemples que l’on retrouve dans la nature et aussi, d’exemples d’initiatives humaines. Elles peuvent sembler minimes à l’échelle de la planète, mais ces initiatives sont essentielles. Je pense à la réintroduction des loups à Yellowstone, aux « forêts de poche » et à une meilleure éducation chez les jeunes. Si on passe du temps dans la nature et qu’on comprend l’intime relation de l’humain avec le vivant, on est à même de protéger ce que l’on connaît et d’en comprendre la sacralité.

« Consommer toujours plus en trouvant toujours moins de quoi remplir nos vies. S’astreindre coûte que coûte à avoir quelque chose alors même que nous avons de plus en plus de mal à être quelqu’un. Perte de lien, quête de sens… »

J’ai adoré cette lecture qui est pertinente et éclairante dans le monde perturbé dans lequel on vit. J’ai noté un nombre incalculable de passages qui ont résonné chez moi. Je considère ce livre comme essentiel, parce qu’il amène une vision si simple et à la fois si peu prise en compte par l’humain. C’est déroutant de voir à quel point l’humain n’a, au fond, rien compris. Malgré cela, le livre de Maurice Rebeix ne donne pas de leçons et ne juge pas. Il constate. Et il m’a fait du bien, parce qu’il m’a donné l’impression de ne pas être seule avec mes idées et mes actions sur le monde vivant. 

« Sachez que vous-même êtes essentiel à ce monde. Comprenez à la fois la bénédiction et le fardeau que cela représente. Vous êtes désespérément nécessaire pour sauver l’âme de ce monde. Pensiez-vous que vous étiez ici pour moins que ça? »

À l’ère des changements climatiques et de l’écoanxiété, cet ouvrage passionnant et intéressant est un véritable plaidoyer pour changer notre mode de pensée et de fonctionnement en tant qu’humain. Pour modifier notre rapport au monde et mieux comprendre que tout, toujours, est relié. Et que notre survie en dépend.

Un livre à lire. Parce que je pense qu’on en a tous besoin.

L’Esprit ensauvagé, Maurice Rebeix, éditions Albin Michel, 464 pages, 2022