
Face aux périls qui menacent l’humanité en ce début de XXIe siècle – réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, montée des tensions -, les peuples autochtones ont un message à nous délivrer. En Amérique du Nord ou du Sud, en Afrique ou en Océanie, ils perpétuent encore, à travers leur culture et leur spiritualité, une autre façon d’être au monde. Nourrissant son propos de ses nombreux voyages et de ses rencontres, chez les Sioux Lakotas notamment, Maurice Rebeix nous offre un panorama de réflexions tous horizons, promesse d’une réconciliation avec notre nature profonde. Afin de léguer une planète viable aux générations futures, il offre une piste qui invite à « ensauvager » nos esprits en s’inspirant de la pensée des peuples premiers.
Ce livre m’a accompagnée pendant plusieurs jours et son propos m’a énormément rejointe. L’auteur, très proche de plusieurs peuples autochtones, adopté par certains d’entre eux, nous parle ici de leur façon d’être au monde, de leur perception de tout ce qui est vivant. À la fois essai d’écologie et d’anthropologie, ce livre aborde aussi la spiritualité et l’histoire. Attention! Spiritualité ne signifie pas religion. On parle ici d’une spiritualité en lien avec la nature. De philosophie. De notre rapport à la sacralité et de notre place dans le monde du vivant.
« … s’émerveiller de l’extraordinaire plutôt que d’y chercher à tout prix l’explication logique, c’est le privilège de celles et ceux qui savent tout simplement sourire aux « actions » les plus improbables du monde. »
En filigrane, nous suivons l’auteur pendant la Danse du Soleil, rituel Lakota auquel il participe. Et il en profite pour nous parler de tout. De la nature, d’abord et avant tout et de notre relation défaillante avec elle. De la pandémie qui aurait pu faire changer beaucoup de chose sur notre relation au monde, alors que l’humain est vite revenu à sa position d’avant, dès qu’il en a eu l’occasion. L’auteur aborde aussi la sacralité du vivant, l’art, la médecine, la science, l’anthropocentrisme, les animaux, les végétaux et les arbres, les rites, le modèle de société des Blancs, des exemples de cascade trophique, de ce qui nous donne de la joie, les mythes, de l’émerveillement, des savoirs ancestraux que l’on perd, de la paix aussi, de soi, des autres.
« L’homme blanc est à la fois génial et fou, il a le génie de la technologie mais il fait un usage dément de celle-ci. »
Ce livre m’a beaucoup touchée car il aborde des sujets qui me tiennent à cœur. Je suis généralement une optimiste mais je trouve tellement décevant de voir où s’en va notre monde. Maurice Rebeix touche des points sensibles et vise juste quand il parle de notre rapport à l’éducation, à l’appât du gain (toute notre société ne tourne qu’autour de l’argent, malheureusement) et de la façon dont on saccage toute nature. Aussitôt que l’humain s’installe quelque part, il massacre allègrement son milieu de vie. Dès l’instant où notre monde n’a plus rien de sacré, que ce soit les insectes, une plage, une forêt, un loup, notre rapport au monde devient défaillant. On agit en conquérant, le reste n’a plus d’importance.
« En l’absence du sacré, tout est à vendre. »
Étant passionnée par la nature, par son développement, sa sauvegarde, faisant tout ce qui est possible pour contribuer, à ma façon, à limiter mon empreinte et la place que je prends dans la nature, à promouvoir la biodiversité, à la traiter avec respect, tout comme j’aimerais être moi-même traitée, à remercier pour ce qu’elle m’offre, ce livre m’a énormément parlé. J’y ai trouvé un fort écho de ce que je pense du rapport de l’homme au monde, de ce que l’on devrait changer comme société. De repenser le modèle dans lequel on vit pour un meilleur rapport au monde.
« La permaculture ne résoudra pas le problème de la faim dans le monde, l’agriculture industrielle non plus: aucun système n’est résilient tant que le système marchand exploite tout, les hommes, la terre, et que la moitié produite est gaspillée. »
L’auteur amène plusieurs exemples que l’on retrouve dans la nature et aussi, d’exemples d’initiatives humaines. Elles peuvent sembler minimes à l’échelle de la planète, mais ces initiatives sont essentielles. Je pense à la réintroduction des loups à Yellowstone, aux « forêts de poche » et à une meilleure éducation chez les jeunes. Si on passe du temps dans la nature et qu’on comprend l’intime relation de l’humain avec le vivant, on est à même de protéger ce que l’on connaît et d’en comprendre la sacralité.
« Consommer toujours plus en trouvant toujours moins de quoi remplir nos vies. S’astreindre coûte que coûte à avoir quelque chose alors même que nous avons de plus en plus de mal à être quelqu’un. Perte de lien, quête de sens… »
J’ai adoré cette lecture qui est pertinente et éclairante dans le monde perturbé dans lequel on vit. J’ai noté un nombre incalculable de passages qui ont résonné chez moi. Je considère ce livre comme essentiel, parce qu’il amène une vision si simple et à la fois si peu prise en compte par l’humain. C’est déroutant de voir à quel point l’humain n’a, au fond, rien compris. Malgré cela, le livre de Maurice Rebeix ne donne pas de leçons et ne juge pas. Il constate. Et il m’a fait du bien, parce qu’il m’a donné l’impression de ne pas être seule avec mes idées et mes actions sur le monde vivant.
« Sachez que vous-même êtes essentiel à ce monde. Comprenez à la fois la bénédiction et le fardeau que cela représente. Vous êtes désespérément nécessaire pour sauver l’âme de ce monde. Pensiez-vous que vous étiez ici pour moins que ça? »
À l’ère des changements climatiques et de l’écoanxiété, cet ouvrage passionnant et intéressant est un véritable plaidoyer pour changer notre mode de pensée et de fonctionnement en tant qu’humain. Pour modifier notre rapport au monde et mieux comprendre que tout, toujours, est relié. Et que notre survie en dépend.
Un livre à lire. Parce que je pense qu’on en a tous besoin.
L’Esprit ensauvagé, Maurice Rebeix, éditions Albin Michel, 464 pages, 2022