Bois de fer

À demi-arbre ou femme, que lui est-il arrivé ? Est-ce le défigurement ou les insectes envahissants qui ont provoqué son sentiment de perte de soi ? Elle est sur le point de craquer, risque de se fendre en son centre. Médecin, hypnothérapeute, chiropraticien sont à son chevet. On la traite, on la bourre de vitamines, on coupe les branches qui frôlent les fils électriques. Pour survivre dans un monde de béton et d’asphalte, elle se tourne vers les autres espèces et réfléchit au soin à accorder au vivant.

J’avais adoré Le lièvre d’Amérique de la même auteure et je retrouve ici, dans ce texte poétique, certains thèmes semblables.

Dans Bois de fer, une femme est à moitié arbre, moitié humaine. Elle se sent envahie, avec ce sentiment de se perdre elle-même, dans le béton de la ville. Elle voit des médecins, des thérapeutes et des chiropraticiens qui tentent de trouver ce qu’elle a. Son mal être l’enveloppe peu à peu. L’anxiété également, prend plus de place.

Il s’agit naturellement d’une métaphore entre l’humain et les arbres, entre nous et le vivant. Une réflexion écologique et poétique sur notre place dans le monde et sur l’extinction des êtres vivants: les espèces et les arbres, mais nous aussi comme humains, souvent complètement déconnectés du monde vivant qui nous entoure. J’avais aimé Le lièvre d’Amérique pour les mêmes raisons. L’auteure faisait alors une métaphore entre notre vie de fou et le monde vivant. Les deux ouvrages parlent d’égarement, de cette sensation de se perdre. 

J’aime beaucoup l’idée de ce parallèle entre nous et l’ensemble de la biodiversité qui, au final, sont étroitement liés. C’est un peu ce que le personnage central de la femme-arbre représente pour moi.

« J’ai perdu mon essence. Je doute que vous vous en soyez rendu compte, comme si mon effluve intime s’était échappé par une toute petite lésion dont j’ignorais l’existence. Depuis, j’ai peur de me perdre dans le boisé du quartier, de ne pas retrouver ma propre trace. »

Le recueil est construit en 122 courts fragments de textes poétiques qui nous mènent vers l’espoir et une forme de renaissance. J’ai bien aimé l’écriture de l’auteure, c’est toujours un plaisir de la lire et de découvrir son univers, que je trouve très original. J’ai aussi beaucoup aimé la petite explication du titre, en fin de volume. 

Un texte assurément parlant sur notre relation au vivant.

Bois de fer, Mireille Gagné, éditions La Peuplade, 112 pages, 2022

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La Méduse géante de l’Arctique

Dr Morley, passionnée par les méduses depuis toujours, s’apprête à embarquer pour une mission à l’extrémité la plus septentrionale de la planète : la recherche d’une créature dont tout le monde parle, mais que personne n’a jamais vue… la méduse géante de l’Arctique. Parviendra-t-elle à croiser son chemin et à enfin percer son mystère ?

La méduse géante de l’Arctique de Chloe Savage a été une belle lecture. Le genre d’album qu’on ouvre avec fébrilité, confiant qu’on va aimer. Et effectivement, ce fut mon cas. Il s’agit d’un très bel album que j’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir.

Dr Morley est passionnée par les méduses depuis toujours. Quand elle a l’occasion de partir en mission en Arctique, elle y va avec beaucoup d’enthousiasme. Elle espère pouvoir observer la légendaire méduse géante. Existe-t-elle réellement ou s’agit-il seulement d’un mythe?

J’ai adoré cet album! Le dessin est magnifique, un peu naïf, avec de très beaux contrastes de couleurs entre le bleu et le rouge. Les étendues glacées et sauvages sont superbes. J’ai aimé le petit clin d’œil amusant que l’on retrouve à chaque page avec la méduse. On croise les doigts pour que l’équipe scientifique puisse l’observer, puisque c’est le grand rêve de la Dr Morley. 

J’ai apprécié également que l’auteure présente une équipe de scientifiques en plein travail. C’est intéressant dans un album jeunesse et assez peu fréquent. L’univers glacé et bleuté, avec sa faune, son ciel étoilé et ses aurores boréales, est visuellement très attractif. Les narvals, ours polaires, orques, bélugas, sont naturellement au rendez-vous. C’est le genre d’album qu’on aime conserver dans sa bibliothèque et vers lequel on prend plaisir à revenir. 

À conseiller à partir de 5 ans pour les petits lecteurs, mais c’est un livre qui devrait plaire tout autant aux grands qui aiment les univers de froid et de glace, ainsi que les animaux polaires et les expéditions dans le Grand Nord. De mon côté, j’ai adoré.

Un très bel album, autant du point de vue du texte qui met en scène une exploration scientifique, que des dessins qui sont jolis, doux et colorés. Une bien belle découverte!

La Méduse géante de l’Arctique, Chloe Savage, éditions Albin Michel Jeunesse, 32 pages, 2023

Par une belle nuit d’hiver

Dans cette charmante berceuse, un parent peint le tableau d’une belle nuit nordique pour son enfant endormi, décrivant la beauté des flocons de neige, le scintillement des étoiles, la danse des cristaux de givre sur la fenêtre… Ce poème lyrique de Jean E. Pendziwol décrivant la beauté des nuits nordiques est une façon magnifique de la partager avec son enfant. Les illustrations extraordinaires d’Isabelle Arsenault rendent hommage à ce magnifique poème.

Par une belle nuit d’hiver est l’un de mes albums préférés. Je le trouve plein de délicatesse, tant dans le texte de Jean E. Pendziwol, que dans les illustrations d’Isabelle Arsenault. Il s’en dégage une très grande douceur. C’est un album qui parle du calme de la nature et qui amène le lecteur à être serein. J’adore l’atmosphère feutrée de ce livre, un peu comme on se sent par une belle nuit d’hiver.

Cet album est en fait un long poème qui raconte l’amour de l’hiver et sa magie, un soir glacé, alors qu’un enfant est endormi. Tout au long des pages, le parallèle est fait entre la nuit hivernale où le ciel offre ses plus beaux cadeaux et où les animaux s’activent pendant que l’enfant dort doucement sous sa couverture bien chaude.

Véritable hommage à l’hiver et au calme de cette saison, principalement la nuit, cet album est tout simplement sublime. Il m’accompagne depuis des années et je le relis à l’occasion quand j’ai envie d’un peu de douceur. Toujours en hiver, quand la saison froide est bien installée. 

L’auteure nous parle des traces de pas des animaux dans la neige, des lueurs dans le ciel, des cristaux sur la fenêtre, des étoiles qui scintillent, du jardin endormi. La nuit hivernale calme, vivant à son propre rythme. 

Un album magnifique!

Par une belle nuit d’hiver, Jean E. Pendziwol, Isabelle Arsenault, éditions Scholastic, 32 pages, 2014

L’Esprit ensauvagé

Face aux périls qui menacent l’humanité en ce début de XXIe siècle – réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, montée des tensions -, les peuples autochtones ont un message à nous délivrer. En Amérique du Nord ou du Sud, en Afrique ou en Océanie, ils perpétuent encore, à travers leur culture et leur spiritualité, une autre façon d’être au monde. Nourrissant son propos de ses nombreux voyages et de ses rencontres, chez les Sioux Lakotas notamment, Maurice Rebeix nous offre un panorama de réflexions tous horizons, promesse d’une réconciliation avec notre nature profonde. Afin de léguer une planète viable aux générations futures, il offre une piste qui invite à « ensauvager » nos esprits en s’inspirant de la pensée des peuples premiers.

Ce livre m’a accompagnée pendant plusieurs jours et son propos m’a énormément rejointe. L’auteur, très proche de plusieurs peuples autochtones, adopté par certains d’entre eux, nous parle ici de leur façon d’être au monde, de leur perception de tout ce qui est vivant. À la fois essai d’écologie et d’anthropologie, ce livre aborde aussi la spiritualité et l’histoire. Attention! Spiritualité ne signifie pas religion. On parle ici d’une spiritualité en lien avec la nature. De philosophie. De notre rapport à la sacralité et de notre place dans le monde du vivant. 

« … s’émerveiller de l’extraordinaire plutôt que d’y chercher à tout prix l’explication logique, c’est le privilège de celles et ceux qui savent tout simplement sourire aux « actions » les plus improbables du monde. »

En filigrane, nous suivons l’auteur pendant la Danse du Soleil, rituel Lakota auquel il participe. Et il en profite pour nous parler de tout. De la nature, d’abord et avant tout et de notre relation défaillante avec elle. De la pandémie qui aurait pu faire changer beaucoup de chose sur notre relation au monde, alors que l’humain est vite revenu à sa position d’avant, dès qu’il en a eu l’occasion. L’auteur aborde aussi la sacralité du vivant, l’art, la médecine, la science, l’anthropocentrisme, les animaux, les végétaux et les arbres, les rites, le modèle de société des Blancs, des exemples de cascade trophique, de ce qui nous donne de la joie, les mythes, de l’émerveillement, des savoirs ancestraux que l’on perd, de la paix aussi, de soi, des autres.

« L’homme blanc est à la fois génial et fou, il a le génie de la technologie mais il fait un usage dément de celle-ci. »

Ce livre m’a beaucoup touchée car il aborde des sujets qui me tiennent à cœur. Je suis généralement une optimiste mais je trouve tellement décevant de voir où s’en va notre monde. Maurice Rebeix touche des points sensibles et vise juste quand il parle de notre rapport à l’éducation, à l’appât du gain (toute notre société ne tourne qu’autour de l’argent, malheureusement) et de la façon dont on saccage toute nature. Aussitôt que l’humain s’installe quelque part, il massacre allègrement son milieu de vie. Dès l’instant où notre monde n’a plus rien de sacré, que ce soit les insectes, une plage, une forêt, un loup, notre rapport au monde devient défaillant. On agit en conquérant, le reste n’a plus d’importance.

« En l’absence du sacré, tout est à vendre. »

Étant passionnée par la nature, par son développement, sa sauvegarde, faisant tout ce qui est possible pour contribuer, à ma façon, à limiter mon empreinte et la place que je prends dans la nature, à promouvoir la biodiversité, à la traiter avec respect, tout comme j’aimerais être moi-même traitée, à remercier pour ce qu’elle m’offre, ce livre m’a énormément parlé. J’y ai trouvé un fort écho de ce que je pense du rapport de l’homme au monde, de ce que l’on devrait changer comme société. De repenser le modèle dans lequel on vit pour un meilleur rapport au monde. 

« La permaculture ne résoudra pas le problème de la faim dans le monde, l’agriculture industrielle non plus: aucun système n’est résilient tant que le système marchand exploite tout, les hommes, la terre, et que la moitié produite est gaspillée. »

L’auteur amène plusieurs exemples que l’on retrouve dans la nature et aussi, d’exemples d’initiatives humaines. Elles peuvent sembler minimes à l’échelle de la planète, mais ces initiatives sont essentielles. Je pense à la réintroduction des loups à Yellowstone, aux « forêts de poche » et à une meilleure éducation chez les jeunes. Si on passe du temps dans la nature et qu’on comprend l’intime relation de l’humain avec le vivant, on est à même de protéger ce que l’on connaît et d’en comprendre la sacralité.

« Consommer toujours plus en trouvant toujours moins de quoi remplir nos vies. S’astreindre coûte que coûte à avoir quelque chose alors même que nous avons de plus en plus de mal à être quelqu’un. Perte de lien, quête de sens… »

J’ai adoré cette lecture qui est pertinente et éclairante dans le monde perturbé dans lequel on vit. J’ai noté un nombre incalculable de passages qui ont résonné chez moi. Je considère ce livre comme essentiel, parce qu’il amène une vision si simple et à la fois si peu prise en compte par l’humain. C’est déroutant de voir à quel point l’humain n’a, au fond, rien compris. Malgré cela, le livre de Maurice Rebeix ne donne pas de leçons et ne juge pas. Il constate. Et il m’a fait du bien, parce qu’il m’a donné l’impression de ne pas être seule avec mes idées et mes actions sur le monde vivant. 

« Sachez que vous-même êtes essentiel à ce monde. Comprenez à la fois la bénédiction et le fardeau que cela représente. Vous êtes désespérément nécessaire pour sauver l’âme de ce monde. Pensiez-vous que vous étiez ici pour moins que ça? »

À l’ère des changements climatiques et de l’écoanxiété, cet ouvrage passionnant et intéressant est un véritable plaidoyer pour changer notre mode de pensée et de fonctionnement en tant qu’humain. Pour modifier notre rapport au monde et mieux comprendre que tout, toujours, est relié. Et que notre survie en dépend.

Un livre à lire. Parce que je pense qu’on en a tous besoin.

L’Esprit ensauvagé, Maurice Rebeix, éditions Albin Michel, 464 pages, 2022

Le petit bestiaire

Voici les poèmes d’un vieil enfant encore affamé de lumière. Dans ce recueil, Michel Pleau pose un regard sensible et amusé sur la petite faune du quartier de son enfance. Il se met à l’écoute de l’âme des animaux. Ainsi on rencontre le chat qui a réponse à tout, la belle chenille du parc Durocher, les chevaux qui comptent les étoiles, les fourmis et leurs amours microscopiques, la girafe gardienne de ciel, la poulette grise de la chanson de nos mères, la vache du premier jour d’école… et bien d’autres bêtes et bestioles.

Ce magnifique recueil de poésie a été une très belle surprise. Il s’attarde sur la petite faune sauvage, les animaux de ferme ou des les animaux domestiques. On y retrouve également des poèmes sur les insectes et sur un animal métaphorique: l’ourson en peluche!

Ces textes sont d’une grande beauté, j’ai adoré! Chaque poème se développe sur deux pages. Mon poème préféré est celui de la mésange. Les mots sont doux, magnifiques, tellement bien représentatifs de chaque petit instant vécu avec l’animal, à ses côtés ou en l’observant. Ce livre est un réconfortant retour dans l’imaginaire de l’enfance, de la façon dont on perçoit notre environnement lorsqu’on est encore petit.

« ma voisine a un chien
le chien a une ombre
il adore s’y allonger de tout son poil
ma voisine aime les romans d’amour
sur le balcon elle tourne les pages
le chien tourne sa tête vers moi
lui et moi on se comprend
on préfère la ligne des arbres
et les mensonges invisibles des enfants
qui échappent les ballons »

L’auteur fait d’ailleurs preuve d’une grande capacité d’observation. Ses textes sont magnifiques, empreints de douceur. On sent l’émerveillement dans les mots de Michel Pleau. C’est beau, c’est doux. C’est tellement agréable à lire! 

Chaque poème est comme une petite joie en soi. Cette découverte a été l’une de mes plus belles cette année jusqu’à maintenant. C’est une si magnifique lecture, parfaite pour rejoindre un très large lectorat, pour être partagé en famille ou avec des plus jeunes. Les poèmes sont simples, si lumineux et très accessible. 

L’auteur joue avec les mots, les perceptions qu’on a des animaux, les différentes mesures et grandeurs versus leur environnement. Il sait raconter en poésie les plus grands animaux tout comme les petites bêtes qui sont fascinantes. Une belle occasion de s’émerveiller devant la faune, qu’elle soit sauvage ou familière, colossale ou minuscule.

Cette lecture a été une très belle rencontre littéraire. Un auteur dont je note assurément le nom, pour pouvoir le relire, tellement j’ai adoré cet ouvrage. D’autant plus que le livre est beau, les illustrations sont en couleurs. Il n’y en a pas pour tous les poèmes, mais le livre en contient plusieurs tout de même. Je souligne d’ailleurs le travail de l’illustratrice. Ses images représentent bien les textes, ce sont des jeux de mots en images.

Un ouvrage aussi beau qu’une œuvre d’art!

Le petit bestiaire, Michel Pleau, éditions David, 72 pages, 2022