Juin 1924. La disparition inexpliquée des alpinistes Mallory et Irvine, au cours de leur ascension de l’Everest, fait la une de la presse. Mais qui se souvient de Lord Bromley, dit « Percy », autre concurrent à la course au sommet, évaporé dans les mêmes conditions ? Manque d’oxygène ? Autour du camp de base, la rumeur fait état d’une mystérieuse créature des neiges alors qu’une nouvelle expédition s’élance à la recherche des disparus… voire d’une vérité bien plus abominable encore…
Par où commencer pour parler de ce roman fascinant, détaillé à l’extrême, dont l’intrigue se développe sur presque 1000 pages? La préface nous raconte de quelle façon Dan Simmons est entré en possession du manuscrit de l’alpiniste Jacob Perry. L’histoire est fictive, on le regretterait presque, mais j’aime ces constructions qui nous font nous questionner sur la réalité et la fiction.
Perry est l’un des alpinistes partit sur les traces de l’expédition de Mallory et Irvine qui ont tenté l’ascension du Mont Everest. L’auteur reprend un des mystères les plus fascinant de l’alpinisme, la disparition en 1924 des deux britanniques dans l’Himalaya. À partir de ce fait historique, Dan Simmons crée une intrigue et des personnages fascinants. Nous sommes en 1924, époque où les montagnes sont encore à explorer. C’est la course pour atteindre les plus hauts sommets. Tous les alpinistes ne rêvent que de battre le record précédent et d’être les premiers à grimper tout en haut des montagnes les plus prestigieuses. Lord Bromley était aussi concurrent à cette course au sommet et il a aussi disparu. Mandatés par sa mère pour le retrouver, Jacob Perry et ses amis attaquent l’Everest sans se douter de ce qu’ils y vivront.
« Je n’ai pas peur de tenter l’ascension de l’Everest, mais je suis presque effrayé en présence de ces hommes qui ont acquis une renommée mondiale en tentant la même aventure – et en échouant. »
Le roman nous raconte en long et en large tous les détails de l’expédition, des premiers préparatifs jusqu’à l’ascension. C’est un roman intéressant à plusieurs égards. L’histoire est campée dans une période historique fascinante, où l’on découvre des légendes (dont celle du Yéti) et différentes croyances, où l’on se retrouve dans des magouilles politiques, en plus de vivre avec les personnages la rudesse épouvantable des éléments. Le trajet jusqu’en haut de l’Everest s’avère être un véritable cauchemar. L’Abominable du titre prend alors tout son sens…
Ce roman ne fera sans doute pas l’unanimité et certains lecteurs risquent d’abandonner la lecture en cours de route. Pour ma part, j’ai beaucoup aimé cette lecture. On suit pendant tellement longtemps l’expédition, des premiers préparatifs aux difficultés, en passant par la dynamique du groupe et les lieux. On s’attache beaucoup aux personnages. Réussiront-ils à gravir l’Everest? Trouveront-ils ce qu’ils sont venus y chercher? L’auteur nous plonge dans les pensées de ces compagnons de cordée dont les liens sont forts. C’est intéressant de découvrir la façon dont ils perçoivent les montagnes et à quel point ils peuvent vibrer pour tout ce qui concerne l’alpinisme. Ce sont des passionnés dont l’enthousiasme et le destin nous touche particulièrement.
« Mais la fraternité de la cordée donne un puissant sentiment de sécurité, même quand la corde est fine au point de n’être guère plus que symbolique. »
Cependant, si vous vous attendez à un thriller haletant, mieux vaut passer votre tour. C’est un roman lent, méticuleusement détaillé. On assiste à la préparation du groupe avant l’assaut de l’Everest, jusque dans ses moindres détails. L’époque est abondamment décrite également, que ce soit le trajet et les circonstances d’une balade en voiture ou des informations sur les bâtiments et les jardins de cette période. On découvre aussi l’alpinisme d’un point de vue historique: les évolutions dans le domaine, les premiers pas avec les appareils à oxygène, les essais et erreurs en ce qui concerne le matériel utilisé et la « guerre » entre les nations pour les meilleures découvertes dans ce domaine. J’ai appris qu’en altitude, par exemple au sommet de l’Everest, l’eau bout à 72°c au lieu de 100°c.
Avant de lire ce roman, je ne connaissais rien à l’escalade ou à l’alpinisme. J’ai le vertige en haut de trois marches d’escalier et ce n’est certainement pas moi qui grimperait des montagnes, encore moins l’Everest. Cependant, j’aime apprendre et découvrir de nouvelles choses. C’est ce que nous offre ce roman. Une véritable plongée dans le monde de l’alpinisme à l’époque des grandes découvertes, ses défis et ses risques.
« J’ai appris que tout ce que cette montagne donne, elle le reprend aussi vite et aussi sûrement. »
Ce roman me fait penser à Terreur du même auteur. Dans ce fabuleux roman, l’auteur débute avec un fait réel, l’expédition de Sir John Franklin, pour créer tout autour un monde inquiétant et une histoire passionnante. C’est un peu la même chose ici, cette fois dans le domaine de l’alpinisme. Même si l’histoire est grandement détaillée, il se passe aussi des choses terribles en haut de la montagne. Les personnages n’auront pas la vie facile et ce qui les attend est forcément bien loin de tout ce qu’ils pouvaient imaginer.
« Tandis que nous remontions l’Auge obscure, passant vite de l’abri théorique d’un pinacle de glace ou d’une arête de roche à l’autre, je commençai à me demander quand cette expédition avait passé la frontière du fantastique pour entrer dans le territoire de l’incroyable. »
L’Abominable est un pavé monumental, qu’on doit vraiment prendre le temps de lire pour véritablement l’apprécier. Ce fut mon cas. J’ai passé un très bon moment avec ce roman. En tournant la dernière page, on ne perçoit assurément plus les montagnes – et l’alpinisme – de la même façon…
L’abominable, Dan Simmons, éditions Pocket, 960 pages, 2020