Les cœurs de ferraille t.1: Debry, Cyrano et moi

Dans un monde rétrofuturiste où les humains vivent entourés de serviteurs robots, la jeune Iséa préfère se réfugier dans Cyrano de Bergerac, film conseillé par Tal, sa seule amie, qu’elle ne rencontre que par écran interposé. Mais le jour où Debry, sa robot-nounou adorée, est renvoyée par sa mère, le fragile équilibre de l’adolescente s’effondre. Coûte que coûte, Iséa décide de retrouver la seule personne qui lui ait jamais donné de l’amour, fût-elle un robot…

Debry, Cyrano et moi est le premier tome de la série Les cœurs ferraille qui raconte le lien qui unit une fillette et un robot.

Cette jolie bande dessinée raconte l’histoire d’Iséa, une petite fille qui vit dans un monde rétrofuturiste, entre les calèches tirées par des chevaux et les robots. La mère d’Iséa est toujours absente et c’est sa nounou Debry, un robot, qui la remplace. Iséa n’a qu’une seule amie, Tal, qu’elle ne connaît que par l’entremise d’un écran, et qui partage avec elle sa passion pour le film Cyrano de Bergerac. Le jour où la mère d’Iséa décide que sa fille est assez vieille, elle congédie Debry. Iséa décide alors de fuguer pour tenter de la retrouver.

Cette bande dessinée nous amène dans un monde original, en compagnie d’enfants et de robots attachants. L’univers est intéressant. Il est un peu « à l’ancienne », mais avec de la technologie avancée pour certaines choses, comme les robots et les écrans. J’aime beaucoup ce contraste qui rappelle le Steampunk. En suivant Iséa, on découvre Tulpa, un lieu de paix pour tous, humains et robots. Les cœurs de ferraille c’est aussi une histoire d’amitié qui aborde le thème du rejet et des liens entre les gens, qu’ils soient amicaux ou familiaux, et qui ne sont pas toujours forcément ceux que l’on croit. 

J’ai bien aimé ce premier tome, qui met en place un univers plutôt inhabituel et original. Les dessins sont assez jolis avec un petit air vieillot. C’est la seconde bande dessinée de Jose Luis Munuera que je lis et je trouve son travail très intéressant. Vu la tournure que prennent les événements dans ce premier tome, je suis assez curieuse de découvrir ce qui se passera dans le second tome.

« Il ne faut jamais perdre une occasion de dire de la poésie. Elle révèle la beauté du monde. »

Les cœurs de ferraille t.1: Debry, Cyrano et moi, Jose Luis Munuera, BeKa, Éditions Dupuis, 72 pages, 2022

Publicité

L’abominable

Juin 1924. La disparition inexpliquée des alpinistes Mallory et Irvine, au cours de leur ascension de l’Everest, fait la une de la presse. Mais qui se souvient de Lord Bromley, dit « Percy », autre concurrent à la course au sommet, évaporé dans les mêmes conditions ? Manque d’oxygène ? Autour du camp de base, la rumeur fait état d’une mystérieuse créature des neiges alors qu’une nouvelle expédition s’élance à la recherche des disparus… voire d’une vérité bien plus abominable encore…

Par où commencer pour parler de ce roman fascinant, détaillé à l’extrême, dont l’intrigue se développe sur presque 1000 pages?  La préface nous raconte de quelle façon Dan Simmons est entré en possession du manuscrit de l’alpiniste Jacob Perry. L’histoire est fictive, on le regretterait presque, mais j’aime ces constructions qui nous font nous questionner sur la réalité et la fiction.

Perry est l’un des alpinistes partit sur les traces de l’expédition de Mallory et Irvine qui ont tenté l’ascension du Mont Everest. L’auteur reprend un des mystères les plus fascinant de l’alpinisme, la disparition en 1924 des deux britanniques dans l’Himalaya. À partir de ce fait historique, Dan Simmons crée une intrigue et des personnages fascinants. Nous sommes en 1924, époque où les montagnes sont encore à explorer. C’est la course pour atteindre les plus hauts sommets. Tous les alpinistes ne rêvent que de battre le record précédent et d’être les premiers à grimper tout en haut des montagnes les plus prestigieuses. Lord Bromley était aussi concurrent à cette course au sommet et il a aussi disparu. Mandatés par sa mère pour le retrouver, Jacob Perry et ses amis attaquent l’Everest sans se douter de ce qu’ils y vivront.

« Je n’ai pas peur de tenter l’ascension de l’Everest, mais je suis presque effrayé en présence de ces hommes qui ont acquis une renommée mondiale en tentant la même aventure – et en échouant. »

Le roman nous raconte en long et en large tous les détails de l’expédition, des premiers préparatifs jusqu’à l’ascension. C’est un roman intéressant à plusieurs égards. L’histoire est campée dans une période historique fascinante, où l’on découvre des légendes (dont celle du Yéti) et différentes croyances, où l’on se retrouve dans des magouilles politiques, en plus de vivre avec les personnages la rudesse épouvantable des éléments. Le trajet jusqu’en haut de l’Everest s’avère être un véritable cauchemar. L’Abominable du titre prend alors tout son sens…

Ce roman ne fera sans doute pas l’unanimité et certains lecteurs risquent d’abandonner la lecture en cours de route. Pour ma part, j’ai beaucoup aimé cette lecture. On suit pendant tellement longtemps l’expédition, des premiers préparatifs aux difficultés, en passant par la dynamique du groupe et les lieux. On s’attache beaucoup aux personnages. Réussiront-ils à gravir l’Everest? Trouveront-ils ce qu’ils sont venus y chercher? L’auteur nous plonge dans les pensées de ces compagnons de cordée dont les liens sont forts. C’est intéressant de découvrir la façon dont ils perçoivent les montagnes et à quel point ils peuvent vibrer pour tout ce qui concerne l’alpinisme. Ce sont des passionnés dont l’enthousiasme et le destin nous touche particulièrement.

« Mais la fraternité de la cordée donne un puissant sentiment de sécurité, même quand la corde est fine au point de n’être guère plus que symbolique. »

Cependant, si vous vous attendez à un thriller haletant, mieux vaut passer votre tour. C’est un roman lent, méticuleusement détaillé. On assiste à la préparation du groupe avant l’assaut de l’Everest, jusque dans ses moindres détails. L’époque est abondamment décrite également, que ce soit le trajet et les circonstances d’une balade en voiture ou des informations sur les bâtiments et les jardins de cette période. On découvre aussi l’alpinisme d’un point de vue historique: les évolutions dans le domaine, les premiers pas avec les appareils à oxygène, les essais et erreurs en ce qui concerne le matériel utilisé et la « guerre » entre les nations pour les meilleures découvertes dans ce domaine. J’ai appris qu’en altitude, par exemple au sommet de l’Everest, l’eau bout à 72°c au lieu de 100°c. 

Avant de lire ce roman, je ne connaissais rien à l’escalade ou à l’alpinisme. J’ai le vertige en haut de trois marches d’escalier et ce n’est certainement pas moi qui grimperait des montagnes, encore moins l’Everest. Cependant, j’aime apprendre et découvrir de nouvelles choses. C’est ce que nous offre ce roman. Une véritable plongée dans le monde de l’alpinisme à l’époque des grandes découvertes, ses défis et ses risques.

« J’ai appris que tout ce que cette montagne donne, elle le reprend aussi vite et aussi sûrement. »

Ce roman me fait penser à Terreur du même auteur. Dans ce fabuleux roman, l’auteur débute avec un fait réel, l’expédition de Sir John  Franklin, pour créer tout autour un monde inquiétant et une histoire passionnante. C’est un peu la même chose ici, cette fois dans le domaine de l’alpinisme. Même si l’histoire est grandement détaillée, il se passe aussi des choses terribles en haut de la montagne. Les personnages n’auront pas la vie facile et ce qui les attend est forcément bien loin de tout ce qu’ils pouvaient imaginer. 

« Tandis que nous remontions l’Auge obscure, passant vite de l’abri théorique d’un pinacle de glace ou d’une arête de roche à l’autre, je commençai à me demander quand cette expédition avait passé la frontière du fantastique pour entrer dans le territoire de l’incroyable. »

L’Abominable est un pavé monumental, qu’on doit vraiment prendre le temps de lire pour véritablement l’apprécier. Ce fut mon cas. J’ai passé un très bon moment avec ce roman. En tournant la dernière page, on ne perçoit assurément plus les montagnes – et l’alpinisme – de la même façon…

L’abominable, Dan Simmons, éditions Pocket, 960 pages, 2020

Une saison pour les ombres

1972, nord-est du Canada. Dans cette région glaciale, balayée par les vents, où l’hiver dure huit mois, la petite communauté de Jasperville survit grâce au travail dans les mines de fer. Les conditions de vie y sont difficiles. Au-delà du village, il n’y a rien. Juste une nature hostile, quelques ours, des loups. Aussi, quand le corps d’une adolescente du village est découvert aux abords de la forêt, la gravité des blessures laisse-t-elle supposer qu’elle a été victime d’une bête sauvage. Ce sera en tout cas la version officielle. Et tout le monde prie pour qu’elle soit vraie. Mais, quelque temps après, le corps d’une autre jeune fille est retrouvé. Des années plus tard, de retour à Jasperville où il a passé son enfance, Jack Devereaux réalise que tout le monde se contente aujourd’hui encore des mensonges du passé, par peur d’affronter une vérité bien trop dérangeante.

En commençant ce roman, je ne m’attendais pas du tout à ce que j’ai lu. Je croyais lire un thriller classique, une enquête policière, mais c’est beaucoup plus que cela.  

Le roman se déroule dans une petite communauté fictive, Jasperville, inspirée de villes minières comme Schefferville. J’ai été agréablement surprise de voir que le roman se déroulait au Québec. Ça m’a fait tellement plaisir! Ça me semble assez rare en littérature étrangère pour être souligné.

Jacques Devereaux (qui a changé son nom pour Jack quand il a fuit sa vie à Jasperville) reçoit un appel de la police. Son frère Calvis, qu’il n’a plus revu depuis 26 ans, a attaqué un homme qui est entre la vie et la mort. Calvis est en détention. La ville a peu de moyens et le seul policier de la région ne sait pas quoi faire de cet homme. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a retrouvé Jack. De leur famille, il ne reste que lui pour prendre soin de Calvis. Il retourne donc dans cette petite communauté où il a grandit et qu’il a fuit, malgré ses promesses de prendre soin de ceux qu’il avait promis de soutenir. Il était jeune et avait peur. La fuite était devenue une question de survie.

« Jasperville n’était ni plus ni moins qu’un cimetière, doué d’une inexplicable capacité à ôter la vie tout autant que la santé mentale de ses habitants. »

Avec lui, nous plongeons dans le passé et dans ses souvenirs. On retourne dans les années 70 où l’on avait alors retrouvé le corps d’une jeune fille. Cette découverte avait ébranlé les citoyens. Quand une seconde jeune fille est retrouvée sans vie, la communauté isolée et laissée à elle-même a du mal à se relever. Les événements qui s’y déroulent vont en rendre fou certains, alors que d’autres, comme Jack, vont tout faire pour mettre tout ça derrière eux. Même jusqu’à devenir eux-mêmes des ombres… et à oublier de vivre.

« On est soi-même, mais on porte en soi les fantômes de tous ceux qu’on aurait pu devenir. »

J’ai beaucoup aimé cette lecture que j’ai trouvé très prenante. Ce n’est pas un thriller au sens où on l’entend. C’est un roman psychologique, finement construit, qui décortique la vie d’une famille et d’une petite ville isolée. L’histoire alterne entre le passé et le présent, ce qui va nous permettre, au fil des pages, d’essayer de saisir l’ampleur des événements. C’est en retenant son souffle que l’on tourne les pages pour essayer de comprendre ce qui a pu se passer à l’époque… et ce qui se déroule encore aujourd’hui. On imagine sans mal les lieux, le froid, la solitude et le manque flagrant de ressources. Il est difficile de mener de front une enquête quand l’aide et les employés se font rare, que chacun ne souhaite que retourner à sa propre vie en essayant d’oublier la douleur et que la rotation des effectifs rend complexe la recherche de la vérité. 

Une saison pour les ombres est un excellent roman rempli de secrets, de mensonges et de l’histoire de familles complètement démunies devant les événements. Une histoire de souffrances et de ténèbres, dans un décor hostile et glaçant. J’ai beaucoup aimé cette lecture!

Une saison pour les ombres, R. J. Ellory, éditions Sonatine, 408 pages, 2023

Parfois les lacs brûlent

Un phénomène naturel très rare cause tout un émoi à Rivière-aux-Corbeaux : le lac Kijikone a pris feu et est devenu un véritable brasier. On dit que lorsqu’il s’enflamme, tout ce qu’on y plonge se transforme en or. Curieux, un groupe d’adolescents décide de partir à l’aventure pour découvrir si la légende dit vrai…

J’étais très curieuse de découvrir Parfois les lacs brûlent de Geneviève Bigué, une bande dessinée qui m’attirait beaucoup. Surtout avec cette légende étrange qui se déroule à Rivière-aux-Corbeaux. Un lac en feu? Ma curiosité était piquée. Et cette idée de transformer les choses en or poussent les adolescents de l’histoire à vouloir s’y rendre. D’abord pour constater le phénomène par eux-mêmes, puis pour tester si la légende dit vraie. Un groupe de jeunes décide de partir en randonnée vers le lac afin d’en avoir le cœur net.

J’ai énormément aimé le dessin de cette bande dessinée et les couleurs utilisées. Les tons de brun, d’orange et de vert, qui rappellent la terre et la nature. C’est magnifique et juste pour ça, j’ai envie de suivre le parcours de l’auteure. Elle a beaucoup de talent. On ressent tout de suite l’atmosphère de la forêt, avec cet incendie qui brûle au loin. Visuellement, c’est vraiment très beau. Le rendu est superbe, les personnages sont vivants et chacun a son identité propre, bien rendue par le dessin. 

L’histoire quant à elle, est bien menée. On découvre la dynamique de ce groupe d’amis, à l’adolescence. Ils ont tous leur réalité bien différente et leurs expériences, ce qui a une influence sur leur façon de se comporter ensemble et devant les événements complexes qu’ils devront affronter. C’est une histoire qui s’avère au départ être une aventure pour ces ados qui s’en amusent, en extrapolant sur ce qu’ils feront de tout cet or si la légende devient réalité. Mais l’aventure prend rapidement une tournure sinistre. C’est triste et poignant. Je ne m’attendais pas tout à fait à ça.

J’ai aimé cette lecture, j’adore le dessin et je trouve l’histoire originale. Les adolescents sont curieux et veulent découvrir ce que cache ce lac. Mais ils n’en ressortiront pas indemnes. Et nous n’ont plus.

Parfois les lacs brûlent, Geneviève Bigué, éditions Front Froid, 192 pages, 2022

Adlivun

1847, Angleterre. La Mary Céleste, navire du capitaine Briggs, est accosté au port de Douvres. Les autorités britanniques sont à la recherche d’hommes assez téméraires pour retrouver l’Erebus et le Terror, deux vaisseaux d’exploration disparus il y a un peu plus d’un an lors d’une expédition en Arctique. Motivés par une belle récompense, Briggs et son équipage décident d’entreprendre la mission de sauvetage. Mais une fois arrivés en terre inuite, ils tombent sur un navire fantôme, trop petit pour être l’Erebus ou le Terror. Leur périple prend alors une tournure inattendue…

Vincenzo Balzano crée des bandes dessinées atypiques que, personnellement, j’apprécie beaucoup. J’avais beaucoup aimé Clinton Road du même auteur et j’avais hâte de découvrir ce livre-ci, surtout qu’il aborde la disparition des bateaux de l’expédition de Franklin, un thème sur lequel j’adore lire.

Cette superbe bande dessinée se déroule en 1847. Nous sommes en Angleterre, alors que les autorités cherchent à recruter des volontaires pour partir sur les traces des bateaux de Franklin portés disparus: l’Erebus et le Terror. Briggs, un capitaine mystérieux qui cache bien des choses, décide d’entreprendre les recherches et part sur le Mary Celeste. En arrivant sur place, l’équipage fait des découvertes déroutantes…

« Fuyez loin d’ici! Pauvres fous! »

L’auteur a un style très particulier qui me plait beaucoup. Son dessin est étrange et onirique. L’atmosphère dans laquelle baigne l’histoire est toujours mystérieuse et inquiétante. Ce n’est pas une histoire linéaire et on peut s’amuser à en faire plusieurs interprétations. C’est surtout une lecture d’ambiance et si on est sensible à ce genre particulier, Vincenzo Balzano est assurément un auteur à découvrir. Clinton Road était aussi un peu dans le même genre, même si le sujet était totalement différent. Chez Balzano, tout se joue sur les impressions et l’ambiance mystérieuse qui plane dans l’air.

Les thèmes qu’il utilise dans ses bandes dessinées sont intrigants. Ici, il mélange la légende et les histoires terrifiantes en lien avec les naufrages. Franklin et le naufrage de ses bateaux ont marqué l’histoire. Il faut savoir que Briggs et le Mary Celeste ont aussi existé. Il est intéressant de lire sur ces deux événements puis de voir ce que Balzano en a fait dans Adlivun. Son interprétation de ces événements est intéressante.

J’aime définitivement beaucoup son travail puisqu’il nous plonger dans des lieux sombres et inquiétants, où le lecteur n’est jamais sûr de rien. Une belle découverte!

Adlivun, Vincenzo Balzano, éditions Ankama, 168 pages, 2022