La vengeance de Zaroff

Depuis dix ans qu’il y a élu domicile, les États-Unis n’ont pas été à la hauteur des attentes de Zaroff. Quelques criminels, des vagabonds… menu gibier, bien indigne du plus grand chasseur du monde. Mais l’oncle Sam lui offre un nouveau terrain de chasse : sa Russie natale, envahie par les nazis. Zaroff devra y retrouver une physicienne perdue au beau milieu de ces prédateurs du IIIe Reich, dont la sauvagerie n’a d’égale que la sienne. Car plus le jeu est dangereux, plus Zaroff le devient…

Voici une bande dessinée qui était très attendue, lorsque j’ai vu que les auteurs préparaient un second tome. J’avais adoré le premier. En fait, il ne s’agit pas réellement d’une suite, dans le sens où chaque album peut se lire indépendamment, même si la lecture du premier tome permet de mieux appréhender le personnage de Zaroff et de mieux le comprendre.

Un homme raconte une étrange histoire que personne ne croit. Il aurait été témoin d’une chasse à l’homme. Un homme tenant en joue son ami, lui donnait un temps d’avance pour se sauver avant de partir à la chasse pour le tuer. Si les policiers ne le croient pas, l’armée s’intéresse à cette affaire car elle ressemble étrangement à la façon d’opérer de Zaroff, que le gouvernement américain recherche activement. 

« Près de sa cabane, un type, de dos, tenant un arc bizarre, avec quatre gros chiens, qui disait à Bo’ qu’il lui laissait une heure d’avance dans la montagne. S’il réussissait à lui échapper jusqu’au lever du jour, il vivrait, sinon il mourrait. Bo’ qu’est pas un tendre au départ, il pleurait, le suppliait de pas faire ça. J’l’avais jamais vu aussi terrifié. Et moi aussi j’l’étais, terrifié, hein… »

Cette histoire débute aux États-Unis et se poursuit ensuite en Russie. Zaroff est un personnage très particulier.

J’ai eu beaucoup de plaisir à lire cette bande dessinée captivante. Peut-être même plus encore que le premier tome. Cette bande dessinée aborde la course au nucléaire pendant la seconde guerre mondiale. Les étranges aptitudes de Zaroff seront mises à profit, en échange de son immunité, pour infiltrer Moscou et recruter une physicienne de se joindre à eux. Sauf que Zaroff n’a pas vraiment la confiance de ceux qui l’emploient…

La fin est satisfaisante, l’album pourrait se terminer ainsi, mais pourrait aussi laisser place à une nouvelle histoire. Je le souhaite. Ce serait tellement bien!

Cet univers est fascinant. C’est l’une de mes bandes dessinées préférées, même si normalement ce n’est pas le genre de personnage qui me plairait. Ici, les auteurs en font une histoire vraiment très prenante. Il y a quelque chose dans ce personnage et son univers qui me plait énormément. J’adore le travail des deux auteurs. Le dessin est vraiment magnifique et j’adore la couverture.

Les auteurs proposent, avec cette seconde bande dessinée, un nouveau récit s’inspirant du Comte Zaroff du roman Le jeu le plus dangereux de Richard Connell.

La vengeance de Zaroff, François Miville-Deschênes, Sylvain Runberg, éditions Le Lombard, 96 pages, 2023

Sermilik

À 18 ans Max a décidé de quitter Marseille pour s’installer sur la côte Est du Groenland. Dans le village isolé de Tiniteqilaaq où il habite depuis trente ans, il a appris des Inuits leur mode de vie particulièrement rude, à l’aune d’une nature aussi magnifique qu’impitoyable. Un parcours quasi-initiatique, fait de moments intimes ou épiques, dont Max a confié le récit à Simon Hureau. L’auteur de L’Oasis nous propose ici la biographie d’un homme ordinaire qui a choisi de vivre son rêve dans l’un des endroits les plus inhospitaliers de la planète

J’ai eu un gros coup de cœur pour ce roman graphique passionnant! Le livre est superbe, l’histoire est fascinante et on suit le parcours de Max avec beaucoup d’intérêt.

L’auteur nous raconte l’histoire de Max Audibert dont la vie était toute tracée d’avance. Jusqu’à ce qu’un rêve prenne toute la place: celui de devenir chasseur arctique. La vie est faite pour réaliser nos rêves alors il le fait. Il part à Tiniteqilaaq, au Groenland, seul. Il apprend deux mots de tunumiusut, soit comment dire « je veux vivre comme un chasseur ».

« Aujourd’hui, chaque jour de ma vie, je peux me féliciter d’avoir écouté ce rêve et d’être allé à sa rencontre. »

Un chasseur du village l’accueille chez lui et Max apprend la langue et le mode de vie. Tout est à découvrir et le quotidien est souvent rude. Mais ce lieu magnifique lui offre le bien le plus précieux: la liberté.

Cette bande dessinée nous raconte sa vie et son parcours, de son arrivée aux années d’apprentissage, jusqu’à la famille qu’il va fonder, les conséquences des changements survenus avec la vie occidentale qui s’infiltre partout et la technologie, la perte d’un mode de vie et de savoirs ancestraux et le désir de les perpétuer. Pour se faire, Max deviendra enseignant. Transmettre ce qu’il a apprit à son arrivée est l’un des meilleurs moyens de perpétuer des traditions.

« C’est vrai ça, au fond… Pourquoi les enfants d’ici devraient-ils se contenter de maths, de géo, de danois, quand leur culture est si riche de savoirs qui se perdent… »

L’histoire est passionnante. On découvre l’intimité d’un petit village et un mode de vie vraiment intéressant. J’ai été émue, j’ai appris des choses, j’ai adoré suivre l’histoire de Max et celle de son apprentissage. 

Le dessin de Simon Hureau est magnifique et c’est un roman graphique dans lequel je me sentais bien. Visuellement, les dessins sont superbes et les couleurs tellement agréables. J’ai adoré! La narration choisie par l’auteur pour raconter l’histoire de Max est aussi un choix judicieux. Il fait parfois parler quelques animaux afin de nous permettre d’explorer le quotidien d’une façon plus intimiste. Ça semble étrange, dit de cette façon, mais ça ne l’est pas du tout car ça s’imbrique parfaitement dans le récit.

Je ne peux que vous conseiller cette histoire. C’est un gros coup de cœur! C’est totalement le genre de bande dessinée que j’adore lire. Je suis plus que ravie de cette superbe découverte!

Sermilik, là où naissent les glaces, Simon Hureau, éditions Dargaud, 208 pages, 2022

Abandon

En pleine crise personnelle, Joanna Pocock décide d’abandonner sa vie londonienne pour partir s’exiler dans les paysages sauvages du Montana. Là-bas, elle va observer le territoire, découvrir l’imaginaire frontalier de l’Ouest américain et ses extrêmes. Elle va traverser les forêts et les montagnes, dialoguer avec les rivières, les loups et les bisons, et relater ses expériences : maternité, deuil, crise climatique, réensauvagement, écosexe… Consciente de ce que l’humanité perd dans sa relation avec la terre, elle se met à l’écoute de ces communautés qui disent la fragilité de ce que c’est que vivre. En restituant l’Amérique dans sa démesure, Abandon aide à respirer.

J’ai lu Abandon de Joanna Pocock avec mon club de lecture Les Sauvageonnes. Il s’agissait de notre choix pour le mois de septembre. C’était un excellent choix, qui m’a beaucoup plu. Encore bien plus que ce que je pouvais imaginer. Ce livre entre totalement dans le type de « nature writing » que j’aime. Je trouve très intéressant de confronter différents points de vue sur la nature sauvage et c’est ce que nous offre l’auteure à travers son livre.

Joanna a cinquante ans. Elle vit à Londres avec son conjoint et leur petite fille. Elle est à un tournant. Sa vie en ville ne lui convient plus. Elle éprouve ce besoin viscéral de se rapprocher de la nature, la vraie. De vivre quelque chose de plus sauvage. Sa famille ira donc s’installer au Montana pendant deux ans. Elle ira alors à la rencontre de gens qui vivent, chacun à leur façon, la nature sauvage.

« L’Ouest a de tout temps stimulé la réinvention personnelle. Historiquement, c’est là où se rendent les impatients, les dépossédés, les persécutés, les fugitifs, les perdus, les opportunistes et les spéculateurs en quête de rédemption et de réinvention de soi. »

Cet ouvrage est vraiment intéressant et j’ai adoré cette lecture. Sans jugement, tout en essayant de s’ouvrir aux gens et à ce qu’elle ne connaît pas, elle nous raconte ses expériences et ses rencontres pendant le temps passé en Amérique.

« Il me semblait trop facile, à moi qui avais pendant vingt-cinq ans vécu dans un grand centre urbain à des milliers de kilomètres de l’Ouest américain, de dire qu’il ne fallait pas tuer ces animaux. Qu’est-ce que j’en savais? »

Sa vie personnelle (sa ménopause, les choix d’éducation d’une enfant, le deuil successif de ses parents) se croise avec ses rencontres et ce qu’elle découvre. Joanna aborde une foule de thèmes différents. Le dosage entre l’aspect personnel et l’aspect documentaire et journalistique est parfait. Pas trop du premier, suffisamment des seconds.

Elle nous parle des changements climatiques et de l’exploitation des mines laissées ensuite à l’abandon. Elle raconte les foires américaines et le culte des armes. Le cours de piégeage auxquels elle participe. La viande d’ours qu’elle goûte alors qu’elle est végétarienne. Les rencontres étonnantes qui nous apprennent beaucoup de choses sur les différentes façons de vivre en symbiose avec la nature. Les peuples autochtones. Elle aborde aussi un choix intéressant, l’anneau, un mode de vie ancestral qui permet de replanter ce qu’on mange au fur et à mesure qu’on se déplace au fil des saisons. Elle parle de l’écosexe, des différents mouvements culturels et religieux, du réensauvagement, des survivalistes, des radicaux et de ceux qui vivent dans la marge.

Abandon est un livre fascinant, qui permet d’ouvrir son esprit à d’autres pensées, d’autres modes de vie, que l’on soit en accord ou non avec ceux qui les mettent en marche, ils ont tous un point en commun: la nature sauvage. J’ai aimé les réflexions que ce livre a suscité. L’ouvrage est complété par des photos en noir et blanc des différents lieux visités par l’auteure et sa famille.

C’est un portrait de l’Amérique de la contre-culture, de la démesure, l’Ouest des extrêmes. J’ai adoré!

Abandon, Joanna Pocock, éditions 10-18, 336 pages, 2022

Les ombres filantes

Dans la forêt, un homme seul marche en direction du camp de chasse où sa famille s’est réfugiée pour fuir les bouleversements provoqués par une panne électrique généralisée. Il se sait menacé et s’enfonce dans les montagnes en suivant les sentiers et les ruisseaux. Un jour qu’il s’est égaré, un mystérieux garçon l’interpelle. Il a une douzaine d’années, semble n’avoir peur de rien et se joint à l’homme comme s’il l’avait toujours connu. L’insolite duo devra affronter l’hostilité des contrées sauvages et déjouer les manigances des groupes offensifs qui peuplent désormais les bois.

En janvier, je voulais relire les premiers livres de Christian Guay-Poliquin, Le fil des kilomètres et Le poids de la neige, avant de découvrir Les ombres filantes. Les trois livres ne sont pas identifiés comme étant des tomes, sauf que l’histoire se poursuit d’un livre à l’autre. On retrouve le même narrateur dont l’aventure est déclenchée par une panne majeure qui affecte la vie telle qu’on la connait. Son périple commence sur une route qui n’en finit plus, se poursuit isolé dans un chalet et trouve un certain but dans sa recherche du chalet familial, en pleine forêt. 

« Vous savez, ici les gens s’activent avant l’hiver, mais la plupart sont totalement dépassés par ce qui leur arrive. Pourtant, le grand air, l’eau pure, la vie en forêt, ce n’est pas ce dont tout le monde rêvait? »

Christian Guay-Poliquin est un auteur qui m’impressionne chaque fois avec ses histoires, sa façon de réussir à m’embarquer totalement et de m’amener là où vont ses personnages. Si j’adore ses deux premiers livres, j’avoue avoir eu un vrai coup de foudre pour celui-ci. La forêt, la façon dont les gens s’organisent dans le bois, la survie, tout ce que ça implique, ça m’a énormément parlé. Je suivais les pas du narrateur dans la forêt, toujours en étant aux aguets. Car c’est ce que l’auteur instille comme atmosphère: des lieux qui peuvent devenir inquiétants ou qui pourraient nous surprendre. 

« Depuis la panne, tout a changé, mais les lois de la forêt perdurent. Soit on se montre pour défendre son territoire, soit on courbe l’échine et on passe son chemin. »

Dans Les ombres filantes, le narrateur qu’on avait quitté dans Le poids de la neige part en forêt pour rejoindre le chalet de sa famille. Il espère retrouver ses oncles et ses tantes et avancer, malgré la panne qui a changé complètement l’existence de tout le monde. En forêt, il faut se méfier des bêtes sauvages mais aussi de l’homme, qui a prit d’assaut les bois quand la vie a perdu toute la normalité à laquelle le monde était habitué. Chacun tente de survivre à sa façon, parfois au détriment des autres. C’est quand le narrateur se perd en forêt, qu’il fait une étrange découverte. Il tombe sur Olio, un jeune garçon seul qui semble totalement dans son élément au milieu de la nature. Il n’est pas accompagné. Il se débrouille seul et ne s’inquiète de rien. Les deux poursuivront alors leur chemin ensemble, espérant atteindre le chalet tant convoité.

Ce roman est extraordinaire. J’ai aimé les personnages, qui nous permettent de comprendre l’étendue des réactions lorsqu’on perd nos repères quotidiens. La relation qui se crée tranquillement entre le narrateur et Olio est vraiment belle. J’ai aimé lire sur les conditions de survie au quotidien, le chalet, la chasse, les cours d’eau, la façon de se débrouiller face aux autres, qui sont bien souvent de potentiels dangers. J’ai aimé cette fin qui m’a gardée en haleine au bout de ma chaise, accrochée aux mots de l’auteur, espérant bien fort que ce soit comme dans ses autres livres: une fin qui ouvre une fenêtre sur une autre aventure.

En lisant les trois livres un à la suite de l’autre, j’y ai perçu de nombreux thèmes qui reviennent. Il y est toujours question de survie et de fuite. La famille, ou les liens que l’on a envers des inconnus qui deviennent importants dans notre vie, sont au cœur des romans. La nature y est souvent implacable, les éléments aussi: la canicule dans Le fil des kilomètres, l’abondance de neige et le froid dans Le poids de la neige et la forêt, ses animaux et les hommes qui la peuplent, dans ce livre-ci. 

Les titres des chapitres dans les trois livres ont aussi leur importance. Dans Le fil des kilomètres, chaque chapitre offre le décompte de la distance parcourue. Dans Le poids de la neige, chaque chapitre calcule la hauteur de la neige. Dans Les ombres filantes, ce sont les heures que l’on compte. Les titres des chapitres s’inscrivent dans l’unité de mesure en lien avec la survie des personnages. 

Christian Guay-Poliquin est assurément un de mes auteurs préférés. Ses livres sont de petits bijoux dans lesquels, étrangement, je me sens bien. J’ai hâte à sa prochaine publication, que j’attends avec grande impatience!

Les ombres filantes, Christian Guay-Poliquin, éditions La Peuplade, 344 pages, 2021

Ces montagnes à jamais

Le jeune Wendell n’est qu’un simple employé de ranch sur les terres qui appartenaient autrefois à sa famille. L’arrivée soudaine du petit Rowdy, fils de sa cousine incarcérée, illumine son modeste quotidien tourmenté par la disparition déjà lointaine de son père, devenu une légende pour les milices séparatistes du Montana. Un lien puissant se noue entre Wendell et le garçon de sept ans mutique et traumatisé. Wendell est prêt à tout pour épargner à Rowdy la violence qui se transmet de génération en génération, et qui ne tarde pas à embraser une fois de plus le cœur des Bull Mountains.

C’est la très belle couverture du roman qui m’a d’abord attirée vers ce livre. J’avais lu vaguement le résumé, sans plus. Ce roman m’a en fait un peu surprise, surtout parce que je ne m’attendais pas à être émue à ce point en tournant la dernière page. Ça été une très bonne lecture et une belle découverte. J’espère que l’auteur écrira à nouveau car j’ai aimé sa plume et sa façon de raconter.

L’histoire nous parle du quotidien de Wendell, un jeune homme début vingtaine. Anciennement un excellent joueur de basketball, c’était un jeune homme qui adorait les livres et qui espérait un avenir plus rose que celui qu’il a au début du roman. Ayant perdu sa mère, il a une maison mobile à son nom et travaille dans un gros ranch pour joindre les deux bouts. Du jour au lendemain, il se voit confier la garde de Rowdy, l’enfant de sa cousine, qui a été arrêtée. Le jeune garçon a sept ans, il a vécu des traumatismes et il ne parle pas. Wendell le prend sous son aile et même si ce n’est pas facile, il veut donner au garçon ce qu’il n’a jamais connu: la stabilité, de l’affection et il tente de le tenir à l’abri de la violence qui gronde dans la montagne. Ému par cet enfant différent, mais qui s’attache à lui, Wendell le considère rapidement comme son fils.

Ce qui est intéressant avec ce roman c’est qu’il aborde deux grands thèmes principaux. Tout d’abord, il trace le portrait d’une région et tente de raconter les conditions de vie complexes dans les Bull Mountains: la pauvreté rurale, le manque d’instruction, le fondamentalisme religieux, la violence qui gronde. Toutes choses qui se transmettent de génération en génération et semblent aller de soi dans le mode de vie des gens de la région.

Le second thème que l’on retrouve dans ce roman, c’est la montée du mouvement wise-use. Il s’agit d’un mouvement social qui préconise la privatisation des terres sans intervention de l’état. Et donc la libre utilisation des ressources. C’est un mouvement radical, dont certains membres, comme certains personnages que l’on retrouve dans le livre, sont extrémistes. Avec pour toile de fond la réintroduction des loups qui ne fait pas l’unanimité. Ces conditions sont donc propices à l’éclatement d’une violence rude et sans compromis. 

« Ils ont relâché les loups à Yellowstone sans penser à nous. Sans penser à nous ici à ceux qui s’efforcent de faire vivre leurs vaches et leurs moutons et leur famille dans ces contrées. Il y avait un loup sur nos terres. Mes terres. Un loup te décime un troupeau d’agneaux jusqu’à ce qu’il en reste plus rien. Un loup nous aurait décimés et réduits à rien. Quelle importance que les loups avaient encore tué aucune bête? C’était une question de temps. »

Dans le roman, chaque chapitre met en relief un personnage. Plus on avance dans la lecture, plus on comprend mieux le lien entre eux. On suit naturellement Wendell et Rowdy, mais aussi Gillian la conseillère d’orientation et enseignante, qui se préoccupe de l’avenir des enfants de la région, même si elle se sent parfois débordée. On découvre aussi l’histoire de Verl, qui se cache dans les montagnes et écrit sur ce qu’il vit, ses pensées et ses idées. Cette façon de présenter les chapitres nous permet donc d’être confronté à différents points de vue sur la vie dans les Bull Mountains, de sentir la montée de la violence et la façon dont elle est vécue à travers les différents groupes et sur plusieurs générations.

« Elle en avait sa claque. À l’exception de Billings, ce territoire de l’est du Montana était un trou noir où s’engouffrait l’argent du contribuable, un tourbillon terrible de dégradation écologique, d’absence d’instruction, d’alcool, de méthamphétamines et de familles brisées. »

Dans cette région où les enjeux naturels et politiques peuvent être déclencheurs de vie ou de mort, chaque personnage est lié, chaque vie dépend de ce qui se déroule dans les montagnes. J’ai vraiment été très touchée par ce roman, qui m’a beaucoup émue par moments. J’ai trouvé les personnages très poignants, Wendell et Rowdy principalement, mais aussi Gillian et sa fille. Chacun d’eux tente d’avoir une vie normale, avec un bagage difficile et un passé qui laisse peu de place à l’imagination. Chaque personnage n’aspire qu’à ce qui est tout à fait légitime: un peu de paix et d’espoir.

Ces montagnes à jamais nous parle de la difficulté de s’affranchir de la violence perpétuée depuis des générations. Un auteur que j’aimerais bien relire un jour. Un excellent roman, que j’ai lu pratiquement d’une traite et qui m’a remuée. 

Ces montagnes à jamais, Joe Wilkins, éditions Gallmeister, 288 pages, 2021

En plein cœur

Three Pines, dans les Cantons-de-l’Est, est un petit coin de paradis. Un matin, durant le week-end de l’Action de grâce, Jane Neal est trouvée morte dans les bois, le cœur transpercé. Le réveil est brutal pour cette communauté tranquille, car ce qui pourrait n’être qu’un bête accident de chasse laisse perplexe Armand Gamache, l’inspecteur-chef de la Sûreté du Québec dépêché sur les lieux. Qui pourrait bien souhaiter la mort de Jane Neal, cette enseignante à la retraite, artiste à ses heures, qui a vu grandir tous les enfants du village et qui dirigeait l’association des femmes de l’église anglicane ? En détective intuitif et expérimenté, Armand Gamache se doute qu’un serpent se cache au cœur de l’éden, un être dont les zones d’ombre sont si troubles qu’il doit se résoudre au meurtre. Mais qui ?

J’avais très envie de relire toute la série Armand Gamache enquête de Louise Penny et ce, depuis un bon moment. J’ai donc eu envie d’organiser un défi lecture: Un Penny par mois. C’est donc dans ce cadre que j’ai relu le premier volet des histoires se déroulant dans le petit village fictif de Three Pines. Il s’agit d’une troisième relecture pour moi. J’ai toujours adoré les livres de Louise Penny. Je l’avais découvert dans un article de journal à l’époque alors que ses romans n’étaient pas encore traduits. J’étais tellement contente quand une première traduction en français avait été annoncée. Je l’avais lu à sa sortie, en 2010. 

En plein cœur est la première enquête de l’inspecteur Armand Gamache. Elle se déroule à Three Pines, un petit village qu’on ne retrouve pas sur les cartes. C’est un lieu qu’on imagine magnifique, invitant, un petit village typique des Cantons-de-l’Est.

« Three Pines ne figurait sur aucune carte routière, trop loin des routes principales et même secondaires. Comme Narnia, on tombait généralement dessus par hasard, étonné qu’un village aussi âgé soit resté caché si longtemps dans cette vallée. Ceux qui avaient la chance de le dénicher en retrouvaient habituellement le chemin. L’Action de grâce, en octobre, était le moment parfait. L’air était habituellement pur et vif, les odeurs estivales des vieilles roses et des phlox étaient remplacées par celles, musquées, des feuilles d’automne, de la fumée de bois et de la dinde rôtie. »

Le ton est donné et l’ambiance bien en place. On a assurément envie de visiter Three Pines et de passer un moment avec les personnages imaginés par Louise Penny. Naturellement, cette série en est une d’enquêtes. Malgré les crimes et les meurtres – fortement concentrés pour un si petit village idyllique – l’écriture, la psychologie des personnages et de l’humain en général, la présence importante des fêtes et des saisons, nous donnent envie d’y rester.

En plein cœur raconte la découverte d’un corps dans les bois, dans la magnificence de l’automne. Jane, une ancienne institutrice appréciée dans sa communauté, est découverte sur un vieux sentier. La mort semble suspecte et c’est pourquoi on dépêche l’inspecteur-chef de la Sûreté du Québec sur les lieux, Armand Gamache. On aime tout de suite cet homme doux et gentil, fin psychologue, qui est cultivé, réfléchi, qui aime sa femme depuis trente-deux ans et prend soin de sa famille. Ça nous change beaucoup de tous ces inspecteurs de police tourmentés et alcooliques. Gamache et son équipe doivent donc élucider le crime. Mais qui donc, dans ce petit village chaleureux et charmant a bien pu vouloir la mort d’une gentille femme sans histoires?

En plein cœur est ce que l’on pourrait qualifier de polar réconfortant. C’est un roman où la psychologie humaine prend une grande place (comme toujours chez Louise Penny) et où les lieux agréables et réconfortants abondent: bistro très particulier qui donne envie de s’attarder, bonne bouffe, librairie, petite auberge, etc. Dans ses romans, l’art sous toutes ses formes et l’histoire prennent beaucoup de place. Ici, dans cette première enquête, il est surtout question d’artistes et d’arts visuels. On plonge dans une petite communauté d’artistes, on entrevoit leur travail et le statut différent de plusieurs des personnages qui sont artistes. C’est aussi une sorte d’hommage à l’art en général et aux émotions qu’il peut susciter. 

L’enquête s’intéresse aussi aux chasseurs, principalement à cause de l’arme du crime. L’automne, on le sait, les bois sont envahis par les chasseurs désireux de faire une belle prise. Il y a tout un monde qui gravite autour d’eux, du choix des armes, aux sentiers et à la façon de tirer. Il suffit de vivre dans un petit village où les camps de chasse sont légion pour y retrouver un peu de cette atmosphère automnale particulière. Gamache traque les criminels en s’attardant à la façon dont les gens se comportent entre eux.

« Je pense que bien des gens adorent leurs problèmes. Ça leur donne toutes sortes d’excuses pour éviter de grandir et de se mettre à vivre. »

Sans surprise, j’ai adoré ce roman, même après une troisième relecture. C’est pour l’atmosphère et les personnages si attachants (si imparfaits et si humains) qu’on lit Louise Penny. Un vrai plaisir! Il y a aussi une pointe d’humour que j’apprécie particulièrement dans ses livres.

« En vingt-cinq années passées à Three Pines, elle n’avait jamais, au grand jamais, entendu parler d’un crime. Si l’on verrouillait les portes, c’était uniquement pour empêcher les voisins de venir déposer chez soi des paniers de courgettes au moment de la récolte. »

Mais c’est aussi pour les enquêtes, qui nous amènent à sonder un peu l’âme humaine. Dans ce livre, Jane était sur le point de présenter un tableau au grand jour, elle qui avait toujours été une artiste très discrète. C’est intéressant de découvrir ce que cachent ses motivations et les liens avec l’enquête.

Le village compte une petite librairie que l’on imagine aisément, surtout en tant que lecteur. Voisine du bistro de Gabri et Olivier, tenue par Myrna, cette librairie est un lieu fascinant. Gamache y trouve refuge, pour réfléchir et discuter. J’aime aussi beaucoup ces références littéraires que l’on retrouve dans le roman: Virginia Woolf, Herman Melville, W.H. Auden. 

« Le mal n’est jamais spectaculaire et toujours humain. Il dort dans nos lits et mange à nos tables. »

J’ai passé à nouveau un excellent moment à Three Pines et je suis très contente de faire ces lectures en compagnie d’autres passionnés avec le défi Un Penny par mois. C’est un vrai plaisir que de replonger dans les enquêtes de l’inspecteur Gamache, de retrouver le petit village, ses habitants gentils et sympathiques, même si tout n’est pas toujours parfait. Malgré les crimes et les enquêtes, ce sont des livres dans lesquels on se sent bien, ce qui est plutôt paradoxal, mais totalement réjouissant. Le texte mise beaucoup sur l’atmosphère et sur ce qui rend la vie agréable.

Un roman parfait en cette période de l’année. Si vous ne connaissez pas encore Louise Penny, c’est le moment de vous lancer! 

À noter qu’une série est en cours de tournage qui s’intitulera Three Pines. Il n’y a pas encore de date de sortie connue. Un livre de recettes est également prévu éventuellement. Plein de belles choses seront donc à découvrir prochainement autour de l’univers de Louise Penny, pour notre plus grand plaisir!

En plein cœur, Louise Penny, éditions Flammarion Québec, 416 pages, 2013