La vengeance de Zaroff

Depuis dix ans qu’il y a élu domicile, les États-Unis n’ont pas été à la hauteur des attentes de Zaroff. Quelques criminels, des vagabonds… menu gibier, bien indigne du plus grand chasseur du monde. Mais l’oncle Sam lui offre un nouveau terrain de chasse : sa Russie natale, envahie par les nazis. Zaroff devra y retrouver une physicienne perdue au beau milieu de ces prédateurs du IIIe Reich, dont la sauvagerie n’a d’égale que la sienne. Car plus le jeu est dangereux, plus Zaroff le devient…

Voici une bande dessinée qui était très attendue, lorsque j’ai vu que les auteurs préparaient un second tome. J’avais adoré le premier. En fait, il ne s’agit pas réellement d’une suite, dans le sens où chaque album peut se lire indépendamment, même si la lecture du premier tome permet de mieux appréhender le personnage de Zaroff et de mieux le comprendre.

Un homme raconte une étrange histoire que personne ne croit. Il aurait été témoin d’une chasse à l’homme. Un homme tenant en joue son ami, lui donnait un temps d’avance pour se sauver avant de partir à la chasse pour le tuer. Si les policiers ne le croient pas, l’armée s’intéresse à cette affaire car elle ressemble étrangement à la façon d’opérer de Zaroff, que le gouvernement américain recherche activement. 

« Près de sa cabane, un type, de dos, tenant un arc bizarre, avec quatre gros chiens, qui disait à Bo’ qu’il lui laissait une heure d’avance dans la montagne. S’il réussissait à lui échapper jusqu’au lever du jour, il vivrait, sinon il mourrait. Bo’ qu’est pas un tendre au départ, il pleurait, le suppliait de pas faire ça. J’l’avais jamais vu aussi terrifié. Et moi aussi j’l’étais, terrifié, hein… »

Cette histoire débute aux États-Unis et se poursuit ensuite en Russie. Zaroff est un personnage très particulier.

J’ai eu beaucoup de plaisir à lire cette bande dessinée captivante. Peut-être même plus encore que le premier tome. Cette bande dessinée aborde la course au nucléaire pendant la seconde guerre mondiale. Les étranges aptitudes de Zaroff seront mises à profit, en échange de son immunité, pour infiltrer Moscou et recruter une physicienne de se joindre à eux. Sauf que Zaroff n’a pas vraiment la confiance de ceux qui l’emploient…

La fin est satisfaisante, l’album pourrait se terminer ainsi, mais pourrait aussi laisser place à une nouvelle histoire. Je le souhaite. Ce serait tellement bien!

Cet univers est fascinant. C’est l’une de mes bandes dessinées préférées, même si normalement ce n’est pas le genre de personnage qui me plairait. Ici, les auteurs en font une histoire vraiment très prenante. Il y a quelque chose dans ce personnage et son univers qui me plait énormément. J’adore le travail des deux auteurs. Le dessin est vraiment magnifique et j’adore la couverture.

Les auteurs proposent, avec cette seconde bande dessinée, un nouveau récit s’inspirant du Comte Zaroff du roman Le jeu le plus dangereux de Richard Connell.

La vengeance de Zaroff, François Miville-Deschênes, Sylvain Runberg, éditions Le Lombard, 96 pages, 2023

La Fin du cuivre

Il est des livres qui ont la faculté de vous plonger dans un rêve sans fin, la générosité de vous faire découvrir ces sensations secrètes que chacun porte en soi et que l’habitude nous fait ignorer. La Fin du cuivre est de ceux-là. Ce livre s’est construit à la croisée de la littérature, de la bande-dessinée et des arts. Par une succession de peintures précises et silencieuses, il nous plonge dans l’univers d’un homme-singe qui, de retour sur Terre, se retrouve confronté aux maux de notre monde, à ses obsessions et ses errances. La Fin du cuivre est une BD muette atypique, un livre-rêve que chaque lecteur peut inventer, comme un découvreur de trésor.

Une des raisons pour lesquelles je me suis lancé dans cette lecture c’est parce qu’il y a un moment j’avais lu et beaucoup aimé un autre livre de Georges Peignard, Fugitive. L’auteur se spécialise dans la bande dessinée muette. Ses réflexions et ses messages sont transmis à travers ses illustrations et parfois, à travers une préface ou une postface.

La fin du cuivre c’est l’histoire de l’homme-singe qui revient sur terre et découvre le monde d’aujourd’hui. Notre façon de vivre, nos technologies, notre style vestimentaire, nos habitudes.

« Nous en savons plus chaque jour, sous la déferlante des faits, dans une ubiquité toujours plus instantanée. Cette construction nous déplace sans cesse entre des géographies et des vécus immatériels. C’est pourtant par cette matière que nous ressentons les événements et que se définissent nos choix et nos actions. »

L’auteur utilise l’homme-singe, ce qui n’est pas sans me rappeler la planète des singes. Il arrive sur terre et découvre tout ce que l’humain a fait, ses bons et ses mauvais côté, son développement, sa culture, ses avancées pour conquérir son monde et l’univers. Ce qui englobe également son côté destructeur. Il est représenté ici par la chasse, l’exploitation de la nature et des ressources, ainsi que l’aspect militaire. Nos sociétés qui roulent sans fin. Même quand on dort, le monde ne s’arrête jamais vraiment.

Au niveau visuel, le dessin est vraiment très beau. Même si j’ai préféré l’histoire racontée par Fugitive, les illustrations des deux ouvrages sont tout simplement sublimes. L’auteur a une façon bien atypique de présenter visuellement ses sujets.

Un livre muet peut forcément être interprété de plusieurs façon. Pour moi, c’est une forme de poésie, mais cette fois à travers l’image plutôt que par les mots. La vision qu’on peut en avoir laisse libre cours à interprétation. Certains aspects peuvent exacerber des souvenirs ou proposer différentes visions de l’humanité.

Les livres de Georges Peignard sont des expériences particulières et vraiment intéressantes. Les objets et les images donnent vie à des histoires personnelles et modèlent un côté tangible à l’œuvre poétique et visuelle de l’auteur. Notre interprétation peut varier d’un lecteur à l’autre, mais je pense qu’on y capte l’essentiel de ce que veut nous montrer l’auteur à travers ses ouvrages. Une bonne lecture.

La Fin du cuivre, Georges Peignard, éditions Le Tripode, 80 pages, 2020

Climat

Deux enfants. Deux continents. Une crise climatique. En plein coeur de la rudesse de l’arctique, Yuki et son chien sont poursuivis par un grolaire affamé : un croisement entre un grizzly et un ours polaire, dont les territoires ont fusionné. Son existence est une des conséquences du réchauffement climatique. Et il est très, très dangereux… La maison de Sami a été détruite par un cyclone il y a quelques années. Désormais, son grand-père et lui peinent à pêcher quoi que ce soit lors de leurs sorties en mer. S’il parvient à retrouver le couteau porte-bonheur de sa mère, perdu au fond de l’océan sournois, peut-être pourra-t-il changer leur destin ?

Je suis tombée sur cette bande dessinée un peu par hasard. Je connais Eoin Colfer à cause d’Artémis Fowl, mais je ne savais pas qu’il faisait aussi de la bd. J’ai tout de suite été attirée par celle-ci à cause de l’illustration de la couverture. Elle est splendide!  C’est Giovanni Rigano qui signe les dessins.

Cette histoire, qui porte bien son titre, nous fait suivre le destin de deux enfants qui vivent les effets des changements climatiques. Chacun vit dans un coin du monde totalement à l’opposé, dans des climats vraiment différents. Ce que l’histoire tente de démontrer c’est que peu importe où l’on vit, les changements climatiques ont des impacts un peu partout à travers la planète. Impacts qui peuvent prendre des formes différentes, mais dont les conséquences ne sont pas négligeables.

« Tout ce que je sais, c’est que, malgré l’immensité du monde, le nôtre rétrécit de jour en jour. »

Nous sommes dans le Golfe du Bengale, dans l’océan indien. Sami vit avec son grand-père depuis qu’un cyclone a décimé sa maison et tué ses parents. Ils pêchent pour survivre, dans un monde où les conflits pour la pêche et le moindre petit bout de mer ou de terre troublent le quotidien des villageois. Le quotidien de Sami est une histoire continuelle de survie. 

« À chaque saison, nous devons travailler plus dur pour pouvoir rester où nous sommes. On se bouge pour ne pas avoir à bouger. »

Yuki elle, vit dans le Nord Canadien, dans le cercle arctique. Les villageois tuent tous les ours qui s’approchent des habitations et représentent le danger. La fillette elle, tente de faire changer les choses en démontrant que les « grolaires », un croisement entre les ours polaires et les ours bruns, existent à cause des changements climatiques. 

« Mon village. Ce qu’il en reste. Désormais, il y a plus de maisons vides que pleines. Je le sais. J’ai compté. Et de plus en plus de gens partent chaque année. »

Les deux enfants affronteront le danger du climat, mais pour des raisons très différentes. De plus, même s’ils vivent dans des lieux totalement différents, l’univers des deux enfants finira par se croiser. C’est amené de façon assez légère et j’aurais aimé une fin plus élaborée, mais c’est intéressant tout de même.

J’ai bien aimé cette lecture qui démontre de façon concrète, à travers la fiction, à quel point les changements climatiques peuvent avoir des conséquences partout et toucher tout le monde. Le dessin est plaisant et l’histoire, en alternance entre le vécu de Sami et celui de Yuki, est intéressante.

Si cette thématique environnementale vous intéresse, c’est une bd pertinente à découvrir. Elle est complétée par un mot des auteurs qui expliquent leur démarche, un cahier de croquis et des informations sur les conséquences des changements climatiques.

J’ai bien aimé!

Climat, Eoin Colfer, Andrew Donkin, Giovanni Rigano, éditions Robinson, 144 pages, 2023

Colt Frontier

Chercheur d’or dans le Grand Nord, ce n’est pas une sinécure, entre malfrats et crapules il faut tenter de survivre. Sergio Toppi retrace quelques parcours emblématiques. La nature magnifique et inhospitalière ramène l’être humain à sa véritable dimension : un grain de poussière…

Voici une bande dessinée qui contient six nouvelles. Elles se déroulent toutes dans le Nord, en Alaska, dans des coins reculés et glacés. C’est aussi une histoire qui parle de quête d’or et de trésor. Dès qu’on annonce qu’un lieu est une promesse de richesse, les gens affluent. Ils sont prêts à tout y laisser pour quelques paillettes d’or, y compris leur vie. Ce sont des histoires qui parlent de la ruée vers l’or dans une nature rude et impitoyable.

« Quand j’arrivai, Caleb était plongé sur sa carte, c’est alors que j’eus cette idée…
-Caleb, l’heure est arrivée! On part au Nord chercher cette rivière. »

La particularité de cet album, c’est que cinq des nouvelles sont en noir et blanc. Une seule est en couleur. On les découvre avec grand plaisir. Le dessin est superbe, détaillé, avec une technique d’ombres hachurées qui me plait beaucoup. C’est un style que j’ai aimé et qui va très bien avec le sujet.

La nature est omniprésente, c’est un personnage central de chaque histoire. Dans chaque nouvelle, on suit le parcours d’un personnage principal en quête d’un trésor. On perçoit bien ce que la quête absolue de richesse peut faire chez l’homme, avec parfois des conséquences inattendues. Ces péripéties offrent une bonne leçon de vie.

« C’est alors que je me rendis compte que quelque chose avait changé autour de moi… Comme si je n’étais plus seul, que des regards inquisiteurs se posaient sur moi… Et de fait, un beau jour devant la cabane
-Ne crains rien, Homme Blanc. Nous venons en paix, le cœur pur et sans armes, assieds-toi étranger et écoute-nous. »

Colt Frontier est une quête rude, en mode survie, remplie d’aventures.

C’est une bande dessinée vraiment plaisante. Ça été une très belle découverte pour moi. Je suis très content de cette lecture, j’ai passé un très bon moment.

Colt Frontier, Sergio Toppi, éditions Mosquito, 92 pages, 2023

La vie secrète des arbres – BD

Peter Wohlleben est le défenseur des arbres le plus célèbre du monde. Cette bande dessinée raconte son histoire. Avec son formidable talent de conteur, il nous ouvre l’univers des forêts pour nous faire découvrir son extraordinaire fonctionnement : comment les arbres interagissent, communiquent entre eux et se protègent des menaces ? La vie secrète des arbres nous révèle un monde merveilleux mais fragile qui nous fait comprendre que protéger les arbres, c’est protéger l’humanité tout entière. Ce récit est un hommage à la nature.

J’ai lu La vie secrète des arbres de Peter Wohlleben, Fred Bernard et Benjamin Flao. J’avais déjà lu l’essai publié il y a quelques années. J’aime beaucoup le travail de vulgarisation que fait Wohlleben. Ses livres sont intéressants et nécessaires pour sensibiliser les gens à l’importance de la nature et au fait que tout est relié: nous, les arbres, la vie, la biodiversité. Notre santé, notre nourriture, l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons ainsi que notre bien-être dépend de ce qui nous entoure.

« Un arbre qui meurt, c’est un immeuble qui s’écroule avec tous ses habitants! »

Adapter en bande dessinée l’essai fabuleux de Wohlleben était une idée géniale. Le pari est réussi. On plonge dans cette histoire de la même façon qu’on prendrait une longue marche dans la nature, rythmée par le fil des saisons. Peter (je me permets cette familiarité puisqu’il nous est présenté de façon si sympathique qu’on a un peu l’impression d’être accompagné d’un bon ami) nous raconte les arbres. Leur vie secrète. L’interrelation entre les espèces et le lien étroit qui nous lie aux arbres.

« Vous êtes bien assis? Dans une seule poignée de cette terre vivent autant d’organismes que d’êtres humains sur la terre. Ça paraît impossible? C’est pourtant vrai. 25% des animaux terrestres vivent sous terre. »

On découvre une foule de choses étonnantes sur les arbres. Comment ils utilisent le mycélium, comment les arbres respirent, quel genre d’écosystème se cache sous nos pieds, de quelle façon la photosynthèse est utilisée, la chlorophylle et pourquoi les houppiers des arbres nous apparaissent verts. On apprend également à mieux connaître l’auteur et on découvre son parcours comme ingénieur forestier, ses interrogations et les changements qu’il a voulu instaurer au sein de la forêt de sa région. C’est passionnant à lire! 

Je sors de cette lecture reposée, envahie du même sentiment que lorsque je vais marcher en forêt. C’est un plaisir pour les yeux, les dessins sont magnifiques. C’est le genre de livre à mettre entre toutes les mains. Et secrètement, je me dis que nos politiciens devraient le lire. Peut-être que la nature, l’environnement, les arbres et les plantes, les vies humaines et animales s’en porteraient mieux. Car, on ne le dira jamais assez:

« Protéger les arbres, c’est protéger la terre et l’humanité tout entière. »

Cette bande dessinée est vraiment belle et véhicule un message très fort. Un message important pour nous et pour les générations à venir. J’avais adoré l’essai qui porte le même titre, mais ce roman graphique est un grand plaisir pour les yeux et le cœur.

Un coup de cœur! À lire, assurément!

La vie secrète des arbres – BD, Peter Wohlleben, Fred Bernard, Benjamin Flao, éditions Multimondes, 240 pages, 2024

Sermilik

À 18 ans Max a décidé de quitter Marseille pour s’installer sur la côte Est du Groenland. Dans le village isolé de Tiniteqilaaq où il habite depuis trente ans, il a appris des Inuits leur mode de vie particulièrement rude, à l’aune d’une nature aussi magnifique qu’impitoyable. Un parcours quasi-initiatique, fait de moments intimes ou épiques, dont Max a confié le récit à Simon Hureau. L’auteur de L’Oasis nous propose ici la biographie d’un homme ordinaire qui a choisi de vivre son rêve dans l’un des endroits les plus inhospitaliers de la planète

J’ai eu un gros coup de cœur pour ce roman graphique passionnant! Le livre est superbe, l’histoire est fascinante et on suit le parcours de Max avec beaucoup d’intérêt.

L’auteur nous raconte l’histoire de Max Audibert dont la vie était toute tracée d’avance. Jusqu’à ce qu’un rêve prenne toute la place: celui de devenir chasseur arctique. La vie est faite pour réaliser nos rêves alors il le fait. Il part à Tiniteqilaaq, au Groenland, seul. Il apprend deux mots de tunumiusut, soit comment dire « je veux vivre comme un chasseur ».

« Aujourd’hui, chaque jour de ma vie, je peux me féliciter d’avoir écouté ce rêve et d’être allé à sa rencontre. »

Un chasseur du village l’accueille chez lui et Max apprend la langue et le mode de vie. Tout est à découvrir et le quotidien est souvent rude. Mais ce lieu magnifique lui offre le bien le plus précieux: la liberté.

Cette bande dessinée nous raconte sa vie et son parcours, de son arrivée aux années d’apprentissage, jusqu’à la famille qu’il va fonder, les conséquences des changements survenus avec la vie occidentale qui s’infiltre partout et la technologie, la perte d’un mode de vie et de savoirs ancestraux et le désir de les perpétuer. Pour se faire, Max deviendra enseignant. Transmettre ce qu’il a apprit à son arrivée est l’un des meilleurs moyens de perpétuer des traditions.

« C’est vrai ça, au fond… Pourquoi les enfants d’ici devraient-ils se contenter de maths, de géo, de danois, quand leur culture est si riche de savoirs qui se perdent… »

L’histoire est passionnante. On découvre l’intimité d’un petit village et un mode de vie vraiment intéressant. J’ai été émue, j’ai appris des choses, j’ai adoré suivre l’histoire de Max et celle de son apprentissage. 

Le dessin de Simon Hureau est magnifique et c’est un roman graphique dans lequel je me sentais bien. Visuellement, les dessins sont superbes et les couleurs tellement agréables. J’ai adoré! La narration choisie par l’auteur pour raconter l’histoire de Max est aussi un choix judicieux. Il fait parfois parler quelques animaux afin de nous permettre d’explorer le quotidien d’une façon plus intimiste. Ça semble étrange, dit de cette façon, mais ça ne l’est pas du tout car ça s’imbrique parfaitement dans le récit.

Je ne peux que vous conseiller cette histoire. C’est un gros coup de cœur! C’est totalement le genre de bande dessinée que j’adore lire. Je suis plus que ravie de cette superbe découverte!

Sermilik, là où naissent les glaces, Simon Hureau, éditions Dargaud, 208 pages, 2022