La Méduse géante de l’Arctique

Dr Morley, passionnée par les méduses depuis toujours, s’apprête à embarquer pour une mission à l’extrémité la plus septentrionale de la planète : la recherche d’une créature dont tout le monde parle, mais que personne n’a jamais vue… la méduse géante de l’Arctique. Parviendra-t-elle à croiser son chemin et à enfin percer son mystère ?

La méduse géante de l’Arctique de Chloe Savage a été une belle lecture. Le genre d’album qu’on ouvre avec fébrilité, confiant qu’on va aimer. Et effectivement, ce fut mon cas. Il s’agit d’un très bel album que j’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir.

Dr Morley est passionnée par les méduses depuis toujours. Quand elle a l’occasion de partir en mission en Arctique, elle y va avec beaucoup d’enthousiasme. Elle espère pouvoir observer la légendaire méduse géante. Existe-t-elle réellement ou s’agit-il seulement d’un mythe?

J’ai adoré cet album! Le dessin est magnifique, un peu naïf, avec de très beaux contrastes de couleurs entre le bleu et le rouge. Les étendues glacées et sauvages sont superbes. J’ai aimé le petit clin d’œil amusant que l’on retrouve à chaque page avec la méduse. On croise les doigts pour que l’équipe scientifique puisse l’observer, puisque c’est le grand rêve de la Dr Morley. 

J’ai apprécié également que l’auteure présente une équipe de scientifiques en plein travail. C’est intéressant dans un album jeunesse et assez peu fréquent. L’univers glacé et bleuté, avec sa faune, son ciel étoilé et ses aurores boréales, est visuellement très attractif. Les narvals, ours polaires, orques, bélugas, sont naturellement au rendez-vous. C’est le genre d’album qu’on aime conserver dans sa bibliothèque et vers lequel on prend plaisir à revenir. 

À conseiller à partir de 5 ans pour les petits lecteurs, mais c’est un livre qui devrait plaire tout autant aux grands qui aiment les univers de froid et de glace, ainsi que les animaux polaires et les expéditions dans le Grand Nord. De mon côté, j’ai adoré.

Un très bel album, autant du point de vue du texte qui met en scène une exploration scientifique, que des dessins qui sont jolis, doux et colorés. Une bien belle découverte!

La Méduse géante de l’Arctique, Chloe Savage, éditions Albin Michel Jeunesse, 32 pages, 2023

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Refrigerators full of heads

Durant un an, la mystérieuse hache qui a causé tant de chaos pendant l’ouragan de 1983 est restée prisonnière de la vase de la baie de Brody Island… mais un objet aussi puissant ne peut sommeiller bien longtemps. Un nouveau shérif a pris poste et les touristes sont revenus, même si la rumeur court qu’un grand requin blanc a été aperçu dans les eaux alentours. Et lorsqu’un couple en goguette venu profiter de ses vacances se rend compte des aspects les plus inquiétants de l’île, leur repos va vite se transformer en cauchemar

J’avais beaucoup aimé Basketful of Heads de Joe Hill et Leomacs. Quand j’ai vu la parution de Refrigerators full of heads, j’ai tout de suite voulu le lire. Même s’il s’agit d’auteurs différents, cette bande dessinée est en quelque sorte la suite de l’histoire imaginée par Joe Hill. Les deux sont publiées dans sa collection: Hill House.

Nous sommes en 1984, à Brody Island. Un jeune couple débarque dans une maison de vacances. Elle est écrivain et lui, un peu trop grande gueule. Ils se font donc remarquer et prendre en chasse par un groupe de motards. Puis nous nous déplaçons vers Green Ridge pour retrouver June qui était au centre de l’histoire de Basketful of Heads. Du temps a passé depuis et June travaille avec des enfants. Elle a mit le passé de côté, mais les choses ne sont pas si simples. Qu’ont en commun ces deux histoires?

Nous allons croiser certains personnages et certaines situations similaires au premier tome puisque les reliques scandinaves, dont la hache si spéciale, font l’objet d’une active recherche depuis les événements de la première bd. Le passé reste rarement enfoui très longtemps… C’est ce que découvrira à ses dépend June et les autres personnages.

« La dague de Fenrir, dont la poignée fut sculptée dans un des crocs du loup géant lui-même. Selon la légende, un seul petit coup de cette lame plonge l’adversaire dans un état catatonique, le piégeant dans son propre corps. »

L’esprit de cette bande dessinée est similaire à la première. C’est tordu et rempli d’hémoglobine. De beaucoup d’hémoglobine. On retrouve l’histoire de reliques ayant un pouvoir terrifiant couplée à une sombre histoire à la Jaws. C’est complètement fou! J’y vois un peu un hommage aux films d’horreur des années 80, déjantés et sanglants. Cœurs sensibles s’abstenir!

Si dans l’ensemble j’ai bien aimé, j’ai préféré le premier tome. L’humour qu’on y trouvait m’a un peu manqué ici. Le premier tome, même si les scènes sanglantes sont légion, était un peu plus « raffiné » que cette suite, beaucoup plus crue et plus gore. J’ai beaucoup moins ressenti l’humour noir ici. Pour moi, ce genre de scènes macabres à souhait est toujours mieux avec beaucoup d’humour (noir, assurément, mais humour quand même). Je trouve que ça se sent qu’il ne s’agit pas des mêmes auteurs que pour la première bande dessinée.

J’ai passé un bon moment, parce qu’il y a des références à la culture populaire horrifique et que certaines scènes sont tellement grotesques (le requin, assurément!) qu’elles font sourire. Si un autre tome paraît en français je le lirai assurément. Ma préférence va toutefois à la première bande dessinée. Cependant, le concept de cette histoire, avec la hache et les têtes, me plaît beaucoup!

Refrigerators full of heads, Rio Youers, Tom Fowler, éditions Urban Comics, 160 pages, 2022

Le coureur de froid

Médecin venu du Sud, Julien soigne les gens du Nord avec compassion, « à l’ancienne », en ayant autant à cœur la personne que le traitement de la maladie qui l’affecte. Mais il lui manque quelque chose, dans ce Nord : sa fille, restée au Sud. Sur un coup de tête, il entreprend d’aller la retrouver en motoneige, de traverser l’implacable désert blanc, qui, soudain, brise l’élan de son rêve fou. Incapable de poursuivre son voyage à cause d’un bris mécanique, il apprend à survivre seul dans ce froid immense, mais à quel prix ? Se nourrir, se réchauffer, croire en soi afin que l’impossible printemps arrive et permette de terminer son périple.

Les écrits de Jean Désy m’interpellent beaucoup et j’ai quelques uns de ses livres qui m’attendent dans ma bibliothèque. Celui-ci est donc ma première lecture d’un livre de cet auteur. Avec l’hiver, j’avais envie de lire celui-ci. La jolie couverture n’est pas étrangère à mon choix.

Julien est médecin. Il s’est exilé dans le Nord pour fuir le chaos des urgences du sud. Si les grands espaces et l’hiver l’apaisent, les souffrances des gens, les soûleries, les viols et la violence qu’il côtoie au quotidien finissent par l’user. Quand son amoureuse veut un enfant de lui, il repense à sa fille restée au Sud et décide d’entreprendre un voyage complètement fou pour la retrouver: partir en motoneige et traverser les étendues blanches à perte de vue. C’est un voyage au centre de lui-même qu’il entreprend et dans une nature hostile. Un voyage de survie.

« Brave pays de glace qui rend éternels en les ensevelissant les nomades déboussolés. »

Ce court roman est empreint de délicatesse, de poésie, de réflexions sur la vie et d’humanité. C’est aussi une histoire qui met en lumière un homme du Sud, parti vivre au Nord avec les autochtones. C’est une confrontation de deux mondes, du moins dans le cœur du narrateur, qui réalise qu’il ne peut plus vivre au Sud, dans les banlieues, mais qui voyage tout de même pour y retourner, pour sa fille.

« Ce pays recèle un trésor qui n’existe plus dans le Sud: la liberté. »

L’écriture est belle, prenante et la nature est au centre de l’histoire. Ce fut une belle rencontre. C’est vraiment très agréable à lire. La nature racontée dans son roman est sauvage et magnifique, impitoyable et parfois meurtrière.

« Je me comportais en suicidaire tout en n’ayant absolument pas envie de mourir. »

Pendant son voyage où les choses ne se déroulent naturellement pas comme prévu, Julien fera la rencontre d’un renard et d’une autre âme qui l’aidera à cheminer. Il vivra des blizzards interminables, des incidents qui pourraient être mortels et il se confrontera à lui-même pour trouver des réponses à ses questions sur la vie et sur la mort.

Le coureur de froid est un roman à l’atmosphère glaciale et enneigée, plein de dangers, de questionnements mais aussi de grands moments de félicité. J’ai beaucoup aimé la plume de Jean Désy et je le relirai assurément!

Le coureur de froid, Jean Désy, éditions Bibliothèque québécoise, 120 pages, 2018

Stickeen

Stickeen, un des livres les plus célèbres de John Muir, raconte l’amitié qui se noue entre un homme et un petit chien lors d’une expédition en Alaska en 1880. S’il s’agit d’un traditionnel récit d’aventure, l’intention est plus profonde : d’abord « bizarre, discret, autonome », Stickeen, le chien en question, révèle un autre aspect de son tempérament après avoir survécu à la traversée périlleuse d’un glacier ; il se laisse apprivoiser par l’homme qui constate que nos « frères horizontaux » ne sont pas si différents de nous.

Je voulais lire John Muir depuis longtemps. Pionnier du naturaliste, c’est aussi à lui, entre autres, qu’on doit la création des parcs nationaux américains. Parmi ses œuvres, mon choix s’est porté sur Stickeen, qu’on qualifie de grand classique universel. Stickeen se lit en fait comme un conte sur le lien qui unit un homme et un animal. Ici, c’est un lien improbable que même Muir n’avait pas anticipé. 

« Nous avions participé à de si nombreuses excursions côte à côte, dans de vastes étendues sauvages, que j’avais pris l’habitude de lui parler à voix haute, comme s’il s’agissait d’un jeune garçon qui comprenait tout ce que je lui disais. »

John Muir part en expédition pour l’Alaska afin d’explorer les glaciers le long du fleuve Stikine. Il est accompagné, entre autre, du révérend Samuel Hall Young qui amène avec lui un petit chien, Stickeen. La bête n’a rien de spécial. Sa race est incertaine, c’est un animal nonchalant qui traîne ici et là et ne sert à rien en expédition. Mais voilà que le chien commence à accompagner John Muir dans ses explorations. Une amitié se développe doucement entre l’homme et le chien. Quand John Muir est surpris par une forte tempête de neige et que sa vie est en danger, les liens entre lui et Stickeen se resserrent.

« C’est ainsi qu’a commencé la plus mémorable de toutes les journées que j’ai passées dans les contrées sauvages. »

J’ai beaucoup aimé ce livre. J’adore les chiens et j’aime les histoires de blizzard et de tempête. C’était une jolie incursion dans le monde de Muir avec cette histoire universelle et familiale. Ce n’est pas un livre pour enfant, mais c’est un classique plutôt accessible pour une vaste catégorie de lecteurs. Un peu comme les récits de chiens et de loups de Jack London. Le texte est très court, mais les éditions Bartillat en ont fait un ouvrage vraiment agréable.

Cette édition est intéressante car elle nous offre une préface éclairante sur la vie de John Muir et sur son écriture. Stickeen a été écrit puis retouché plusieurs fois pour différentes publications. Cet ouvrage aborde aussi des sujets connexes au texte. Il parle des choix et difficultés de la traduction et offre des informations complémentaires sur l’œuvre. Ces ajouts sont vraiment agréables pour mieux comprendre le contexte. Il y a aussi plusieurs notes en bas de page que j’ai trouvé très pertinentes et une chronologie à la fin.

Une belle histoire entre l’homme et la bête qui me donne assurément envie de lire tout ce que Muir a écrit.

Stickeen, John Muir, éditions Bartillat, 128 pages, 2022

L’Esprit ensauvagé

Face aux périls qui menacent l’humanité en ce début de XXIe siècle – réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, montée des tensions -, les peuples autochtones ont un message à nous délivrer. En Amérique du Nord ou du Sud, en Afrique ou en Océanie, ils perpétuent encore, à travers leur culture et leur spiritualité, une autre façon d’être au monde. Nourrissant son propos de ses nombreux voyages et de ses rencontres, chez les Sioux Lakotas notamment, Maurice Rebeix nous offre un panorama de réflexions tous horizons, promesse d’une réconciliation avec notre nature profonde. Afin de léguer une planète viable aux générations futures, il offre une piste qui invite à « ensauvager » nos esprits en s’inspirant de la pensée des peuples premiers.

Ce livre m’a accompagnée pendant plusieurs jours et son propos m’a énormément rejointe. L’auteur, très proche de plusieurs peuples autochtones, adopté par certains d’entre eux, nous parle ici de leur façon d’être au monde, de leur perception de tout ce qui est vivant. À la fois essai d’écologie et d’anthropologie, ce livre aborde aussi la spiritualité et l’histoire. Attention! Spiritualité ne signifie pas religion. On parle ici d’une spiritualité en lien avec la nature. De philosophie. De notre rapport à la sacralité et de notre place dans le monde du vivant. 

« … s’émerveiller de l’extraordinaire plutôt que d’y chercher à tout prix l’explication logique, c’est le privilège de celles et ceux qui savent tout simplement sourire aux « actions » les plus improbables du monde. »

En filigrane, nous suivons l’auteur pendant la Danse du Soleil, rituel Lakota auquel il participe. Et il en profite pour nous parler de tout. De la nature, d’abord et avant tout et de notre relation défaillante avec elle. De la pandémie qui aurait pu faire changer beaucoup de chose sur notre relation au monde, alors que l’humain est vite revenu à sa position d’avant, dès qu’il en a eu l’occasion. L’auteur aborde aussi la sacralité du vivant, l’art, la médecine, la science, l’anthropocentrisme, les animaux, les végétaux et les arbres, les rites, le modèle de société des Blancs, des exemples de cascade trophique, de ce qui nous donne de la joie, les mythes, de l’émerveillement, des savoirs ancestraux que l’on perd, de la paix aussi, de soi, des autres.

« L’homme blanc est à la fois génial et fou, il a le génie de la technologie mais il fait un usage dément de celle-ci. »

Ce livre m’a beaucoup touchée car il aborde des sujets qui me tiennent à cœur. Je suis généralement une optimiste mais je trouve tellement décevant de voir où s’en va notre monde. Maurice Rebeix touche des points sensibles et vise juste quand il parle de notre rapport à l’éducation, à l’appât du gain (toute notre société ne tourne qu’autour de l’argent, malheureusement) et de la façon dont on saccage toute nature. Aussitôt que l’humain s’installe quelque part, il massacre allègrement son milieu de vie. Dès l’instant où notre monde n’a plus rien de sacré, que ce soit les insectes, une plage, une forêt, un loup, notre rapport au monde devient défaillant. On agit en conquérant, le reste n’a plus d’importance.

« En l’absence du sacré, tout est à vendre. »

Étant passionnée par la nature, par son développement, sa sauvegarde, faisant tout ce qui est possible pour contribuer, à ma façon, à limiter mon empreinte et la place que je prends dans la nature, à promouvoir la biodiversité, à la traiter avec respect, tout comme j’aimerais être moi-même traitée, à remercier pour ce qu’elle m’offre, ce livre m’a énormément parlé. J’y ai trouvé un fort écho de ce que je pense du rapport de l’homme au monde, de ce que l’on devrait changer comme société. De repenser le modèle dans lequel on vit pour un meilleur rapport au monde. 

« La permaculture ne résoudra pas le problème de la faim dans le monde, l’agriculture industrielle non plus: aucun système n’est résilient tant que le système marchand exploite tout, les hommes, la terre, et que la moitié produite est gaspillée. »

L’auteur amène plusieurs exemples que l’on retrouve dans la nature et aussi, d’exemples d’initiatives humaines. Elles peuvent sembler minimes à l’échelle de la planète, mais ces initiatives sont essentielles. Je pense à la réintroduction des loups à Yellowstone, aux « forêts de poche » et à une meilleure éducation chez les jeunes. Si on passe du temps dans la nature et qu’on comprend l’intime relation de l’humain avec le vivant, on est à même de protéger ce que l’on connaît et d’en comprendre la sacralité.

« Consommer toujours plus en trouvant toujours moins de quoi remplir nos vies. S’astreindre coûte que coûte à avoir quelque chose alors même que nous avons de plus en plus de mal à être quelqu’un. Perte de lien, quête de sens… »

J’ai adoré cette lecture qui est pertinente et éclairante dans le monde perturbé dans lequel on vit. J’ai noté un nombre incalculable de passages qui ont résonné chez moi. Je considère ce livre comme essentiel, parce qu’il amène une vision si simple et à la fois si peu prise en compte par l’humain. C’est déroutant de voir à quel point l’humain n’a, au fond, rien compris. Malgré cela, le livre de Maurice Rebeix ne donne pas de leçons et ne juge pas. Il constate. Et il m’a fait du bien, parce qu’il m’a donné l’impression de ne pas être seule avec mes idées et mes actions sur le monde vivant. 

« Sachez que vous-même êtes essentiel à ce monde. Comprenez à la fois la bénédiction et le fardeau que cela représente. Vous êtes désespérément nécessaire pour sauver l’âme de ce monde. Pensiez-vous que vous étiez ici pour moins que ça? »

À l’ère des changements climatiques et de l’écoanxiété, cet ouvrage passionnant et intéressant est un véritable plaidoyer pour changer notre mode de pensée et de fonctionnement en tant qu’humain. Pour modifier notre rapport au monde et mieux comprendre que tout, toujours, est relié. Et que notre survie en dépend.

Un livre à lire. Parce que je pense qu’on en a tous besoin.

L’Esprit ensauvagé, Maurice Rebeix, éditions Albin Michel, 464 pages, 2022