Un chant de Noël: une histoire de fantômes

Londres, 1843. Tous les habitants, les mieux lotis comme les plus démunis, s’apprêtent à fêter Noël. Tous, à l’exception de Scrooge. Aux yeux de cette riche commerçante, insensible au malheur des autres comme à l’atmosphère de liesse qui baigne la cité, seuls le travail et l’argent ont de l’importance. On la dit radine, égoïste et mesquine. Elle préfère considérer qu’elle a l’esprit pratique. Et tandis que les festivités illuminent la ville et le cœur de ses habitants, Scrooge rumine sa misanthropie… Une nuit, des esprits viennent lui rendre visite. Ils l’emmènent avec eux, à la rencontre de la jeune fille qu’elle était, quelques années plus tôt, lorsque la cupidité n’avait pas encore rongé son cœur. Mais aussi à la découverte de celle qu’elle aurait pu devenir si elle avait choisi la voie de la bonté…

Depuis toute petite, Un chant de Noël de Charles Dickens est l’une de mes histoires préférées. Je l’ai lue de nombreuses fois, j’ai ajouté à ma collection toutes sortes d’œuvres qui s’en inspirent, j’ai le livre sous forme d’album jeunesse, en version illustrée, en roman, en bande dessinée. J’ai vu tous les films, les dessins animés. J’ai même à la maison une scène de l’histoire sous forme de… LEGO! Il était donc évident que j’allais m’intéresser à cette nouvelle version en bande dessinée, créée par Jose Luis Munuera. Surtout que celle-ci est différente à plusieurs niveaux. Cette bande dessinée, je l’attendais avec impatience et même si ce n’est plus Noël, il est toujours temps de lire cette histoire. C’est tout de même une histoire sur la bonté humaine et les fantômes, ce qui est intemporel, peu importe la saison. 

Sans surprise, j’ai adoré! L’auteur nous offre ici une réécriture réjouissante du célèbre conte de Dickens. Tout d’abord l’aspect visuel est fantastique. Les couleurs sont belles, le dessin aussi, la bande dessinée en tant qu’objet avec sa jaquette, est superbe. Et que dire de l’histoire! Ce qui est intéressant avec Munuera c’est qu’il réécrit ce conte, mais avec un point de vue inusité. Différent. Assurément plus moderne peut-être dans son traitement, mais avec ce côté vieillot qui me plaît toujours. L’histoire se déroule toujours en 1843.

Première surprise: l’auteur nous offre, non pas un Ebenezer Scrooge, mais plutôt cette fois, une Elizabeth Scrooge. Elle est égoïste, radine, mesquine et peu souriante, sauf quand elle compte son argent. Bref, on la déteste mais on aime la détester. Elle détonne totalement en tant que femme à son époque et, malgré son caractère peu avenant, c’est intéressant justement parce qu’elle sort du moule. Pourquoi les femmes devraient-elles être douces et gentilles? C’est ce qu’on associe d’emblée à la femme, et encore plus à l’époque de Dickens. Avenante, maternelle, chaleureuse. Elizabeth Scrooge est tout le contraire.

Munuera reprend l’idée du conte original, avec la visite des trois fantômes, mais Elizabeth est moins malléable que le grognon Scrooge de Dickens. Elle ne se repent pas aussi facilement et elle est fière de ne pas entrer dans le moule qu’on attend des femmes. Elle répond aux esprits et n’a pas honte de qui elle est. Oui, elle peut s’améliorer, tout le monde le peut, mais les esprits s’interrogent: est-ce que leur passage dans sa vie aura changé quelque chose?

Brillante, cette réécriture est un vrai plaisir à découvrir. Munuera en a vraiment fait un extraordinaire travail d’interprétation et je trouve intéressant qu’il laisse place à une femme dans le rôle de Scrooge. L’auteur nous offre ici un point de vue totalement nouveau, sans pour autant dénaturer l’histoire originale. 

J’ai adoré et je vous la conseille, Noël ou pas. Et qu’est-ce que je peux aimer ces illustrations! Un vrai plaisir!

Un chant de Noël: une histoire de fantômes, Jose Luis Munuera, d’après la nouvelle de Charles Dickens, éditions Dargaud, 80 pages, 2022

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Pygmalion et la vierge d’ivoire

Le sculpteur Pygmalion éprouve une fascination pour sa création qui représente une jeune femme sous le nom de Galatée. À travers cette oeuvre le sculpteur a façonné un idéal féminin, au point d’en perdre la raison et de tuer son maître… Pygmalion ne remarque pas l’amour que lui voue une autre femme, Agapé, bien réelle, elle. Désespérée face à l’indifférence du sculpteur, elle finira par se donner la mort. Aphrodite, la déesse de l’amour, décide pourtant de donner vie à la sculpture, répondant ainsi au voeu de Pygmalion… Mais il y aura un prix à payer ! 

C’est la couverture et le dessin qui m’ont attiré vers cette bande dessinée. Et je n’ai pas été déçu. Pygmalion et la vierge d’ivoire nous raconte l’histoire d’un sculpteur en mal d’inspiration. Il sculpte la pierre et travaille son art, mais il n’est pas très satisfait du résultat. Il a continuellement l’impression que son travail n’est pas complet, qu’il manque quelque chose à ses œuvres. Ses œuvres n’ont pas d’âme et elles le déçoivent. Elles lui laissent un goût amer d’inachevé.

« Dans la demeure, les jours passent. Le savoir que Pygmalion avait acquis de Copias lui semblait stérile. Aucun marbre, aucune pierre n’inspirait le jeune homme. Le malheureux se croyait dépourvu de talent. À quoi bon s’acharner? »

Lorsqu’il voit en songe la déesse Aphrodite, déesse grecque de l’amour, du désir et de la beauté, il décide de la sculpter. Elle sera sa muse et son inspiration. Rapidement son œuvre devient une vraie obsession pour lui. Il est obnubilé par elle, au détriment des gens qui sont à ses côtés et de la vie qui se déroule autour de lui. Sa passion pour son art et sa représentation risque de le faire passer à côté du véritable amour. 

« Du haut de ses vingt ans, il prétendait qu’aucune femme ne pouvait trouver grâce à ses yeux… tant il voyait leurs défauts. »

Pygmalion et la vierge d’ivoire est une bande dessinée qui m’a beaucoup plu. C’est une histoire d’amour et de rejet, autour du mythe d’Aphrodite. Une histoire qui parle de mythologie grecque, d’art et de sculpture, mais aussi de passion et d’obsession. Les auteurs ont le projet de revisiter l’histoire de plusieurs dieux de la mythologie, ce qui me donne bien envie de découvrir les autres livres. Il y en a déjà deux autres de parus que je lirais bien si l’occasion se présente.

J’ai passé un très bon moment avec cette histoire, qui aborde des thèmes universels et parle d’art. J’ai aimé cette lecture autant au niveau du texte que du dessin. Le trait de crayon est très réaliste et très agréable. Une belle découverte!

Pygmalion et la vierge d’ivoire, Serge Le Tendre, Peynet F, éditions Dargaud, 80 pages, 2022

Ladies with guns t.1

L’Ouest sauvage n’est pas tendre avec les femmes… Une esclave en fuite, une indienne isolée de sa tribu massacrée, une veuve bourgeoise, une fille de joie et une irlandaise d’une soixantaine d’années réunies par la force des choses. Des hommes qui veulent les maintenir en cage. Des femmes qui décident d’en découdre, et ça va faire mal. Ladies with guns est l’histoire de la rencontre improbable entre des femmes hors du commun refusant d’être des victimes. Un western iconoclaste et jubilatoire où rien ne vous sera épargné.

Voilà une bande dessinée que j’étais curieuse de lire et que j’ai trouvé étonnamment… réjouissante. Je n’ai pas vraiment d’autre mot pour décrire cette histoire violente et teintée d’humour, qui se déroule dans l’Ouest américain, à une époque où les femmes sont considérées comme des citoyennes de seconde zone. L’histoire a tellement massacré les femmes au fil des époques, qu’il y a quelque chose d’assez satisfaisant à les voir se rebeller. L’Ouest américain n’était pas tendre avec elles et il ne l’est pas non plus dans ce livre. Mais… on sent que les choses pourraient changer.

L’Ouest dépeint dans cette histoire est un monde d’hommes, où les chérifs sont corrompus et où l’on pratique l’esclavage. Les femmes n’ont pas vraiment leur mot à dire, on ne les respecte pas non plus. Et on ne veut surtout pas qu’elles apprennent à manier un fusil. C’est bien trop dangereux pour elles… mais surtout pour les hommes qui les entourent!

Cette bd fait donc se rencontrer des femmes fort différentes, qui ont toutes la particularité de subir les lois et les désirs d’hommes abuseurs en quête de pouvoir. On retrouve une esclave, une bourgeoise britannique dont le mari a été tué, une autochtone, une « bonne samaritaine » et une « pourvoyeuse de plaisirs ». Rien n’aurait pu les réunir en temps normal. Elles viennent de mondes bien différents, même si ce qu’elles vivent au quotidien fini par se ressembler: l’oppression, le sexisme, la violence. Mais c’est ensemble qu’elles devront faire face à tout ce qui leur tombe dessus et tenter de survivre dans le monde impitoyable de l’Ouest américain où l’on règle ses comptes à coup de balles de fusil.

Après avoir terminé cette bd je n’avais qu’une envie: lire la suite! Les personnages sont intéressants, l’histoire est une véritable aventure de l’Ouest faite d’embuscades et de fusillades. Ce que j’ai apprécié le plus c’est le ton employé, une sorte d’humour un peu noir, et ces femmes fortes qui ne s’en laissent pas imposer. Une façon de revisiter l’Ouest d’un point de vue féminin, avec un humour grinçant que j’ai adoré!

Ladies with guns t.1, Anlor, Olivier Bocquet, éditions Dargaud, 64 pages, 2022

Jours de sable

Washington, 1937. John Clark, journaliste photoreporter de 22 ans, est engagé par la Farm Security Administration, l’organisme gouvernemental chargé d’aider les fermiers victimes de la Grande Dépression. Sa mission : témoigner de la situation dramatique des agriculteurs du Dust Bowl. Située à cheval sur l’Oklahoma, le Kansas et le Texas, cette région est frappée par la sécheresse et les tempêtes de sable plongent les habitants dans la misère. En Oklahoma, John tente de se faire accepter par la population. Au cours de son séjour, qui prend la forme d’un voyage initiatique, il devient ami avec une jeune femme, Betty. Grâce à elle, il prend conscience du drame humain provoqué par la crise économique. Mais il remet en question son rôle social et son travail de photographe

Ce livre est un petit bijou, tout à fait le genre de roman graphique que j’adore découvrir. Les dessins sont magnifiques, l’histoire se lit avec un immense plaisir (et elle est touchante) en plus d’aborder un thème historique d’un point de vue vraiment intéressant. 

Nous sommes en 1937, aux États-Unis. Plus précisément à New York. John Clark vient enfin de trouver un emploi comme photographe. C’est une période difficile, minée par la Grande Dépression. John a envie d’apporter sa contribution, de travailler et de faire de la photo. C’est son métier. Cependant, il ne s’attend certainement pas à ce qu’il trouvera au bout de la route. Il est engagé par la Farm Security Administration, un organisme qui a réellement existé et qui venait en aide aux fermiers victimes de la Grande Dépression. John est donc envoyé dans une région du pays touchée par la sécheresse. C’est ce qu’on appelle le Dust Bowl. Le bol de poussière. Un monde désertique, où la poussière s’infiltre partout et va même jusqu’à tuer. Le Dust Bowl chevauche l’Oklahoma, le Texas et le Kansas. C’est un désastre écologique dû à la surexploitation des terres agricoles qui a frappé les communautés dans les années 30. Couplé à la Grande dépression qui a suivi le krach boursier de 1929, le monde peine à se relever. Surtout quand il est envahi par la poussière.

« Ce n’était pas facile de savoir à quelle heure le soleil se levait. Les nuages de poussière en occultaient les rayons la plupart du temps. »

Dans Jours de sable, on suit John qui va à la rencontre des gens qui tentent de survivre dans le Dust Bowl, ceux qui migrent vers des terres plus fertiles, ceux qui ont tout perdu. Il tente de rendre compte en photos ce dont il est témoin. C’est la raison pour laquelle il a été engagé. Mais l’approche avec les gens est difficile. Surtout que John arrive avec une liste bien précise de choses qu’il doit photographier: maisons abandonnées, orphelins, manque de nourriture, maladie, terres incultivables. Il devra changer d’approche, surtout que tout donne l’impression de sortir d’un autre monde. Dans ce climat hostile et pénible, c’est tout son travail de photographe que John remet alors en question…

« Vous avez déjà vu des tourbillons de poussière, non? Parfois… les gens y aperçoivent le visage de ceux qu’ils ont perdus. »

Une bande dessinée passionnante, émouvante, accompagnée de photographies d’époque et d’informations historiques. C’est un ouvrage complet et vraiment informatif, même s’il s’agit d’une fiction. Les lieux où sont campés les personnages et les événements historiques qui sont racontés ont vraiment existés. Les dessins sont fabuleusement beaux, le livre est un superbe objet qu’on a envie de conserver précieusement. Vous aimez l’histoire et les beaux ouvrages? Ce livre est parfait. Un beau coup de cœur pour cette histoire que je vous conseille fortement! 

Jours de sable, Aimée De Jongh, éditions Dargaud, 288 pages, 2021

Circé la magicienne

Dans le chant X de l' »Odyssée » d’Homère et dans toutes les formes ultérieures de ce mythe, la magicienne Circé est présentée comme une femme fatale qui utilise le plaisir pour corrompre les sens des hommes. Dans un style graphique réaliste, le récit proposé ici, bien qu’assez fidèle dans sa chronologie, propose une vision résolument différente de la version d’Homère : raconté du point de vue de Circé, il se place du côté des femmes soumises à la violence de la domination masculine et contraintes de se défendre.

Circé la magicienne est une bande dessinée qui revisite le mythe de Circé qu’on retrouve dans L’Odyssée d’Homère. Dans la mythologie grecque, Circé est reconnue pour être très puissante et pour exceller dans l’art des métamorphoses, des potions et des poisons très puissants. J’avais envie de donner à cette bande dessinée sa chance, vu que je ne m’intéresse pas beaucoup à la mythologie grecque. J’ai lu L’Odyssée il y a des années, pendant mes études, et j’avoue ne pas en avoir gardé un souvenir passionné… J’ai donc lu cette bd essentiellement à cause de la couverture, qui me plaisait bien, et par curiosité.

Circé est souvent perçue comme une sorcière. Ici, la bd est orientée du point de vue de Circé. Ulysse et son équipage arrivent sur l’île en conquérants et ont soif de pouvoir. Ils n’hésitent pas à piller, violer, prendre, tout ce qu’ils veulent, partout où ils passent. Circé, elle, leur réserve tout un accueil…

Cette bande dessinée est quand même intéressante, quoique les dessins sont vraiment très très sombres. J’ai mis un moment à m’y habituer. L’histoire qui reprend le mythe de cette magicienne et de sa rencontre avec Ulysse m’a semblé plus dynamique en bande dessinée que le souvenir que j’avais de ma lecture de L’Odyssée. Malgré cela, Circé demeure pour moi un mystère dont je ne comprends pas les motivations.  Sans doute que la mythologie grecque n’est pas vraiment pour moi finalement… Peut-être que l’histoire vous plaira si la mythologie vous intéresse. 

Circé la magicienne, Richard Marazano, Gabriel Delmas éditions Dargaud, 64 pages, 2021