L’Autre esclavage

En 1542, soit un demi-siècle après le premier voyage de Christophe Colomb dans le Nouveau Monde, les monarques ibériques interdirent l’esclavage des Indiens aux Amériques, du littoral oriental des Etats-Unis jusqu’à la pointe de l’Amérique du Sud. Pourtant, comme le révèle ici l’historien Andrés Reséndez, il a perduré pendant des siècles sur tout le continent. Des centaines de milliers d’autochtones ont ainsi été victimes de kidnapping et d’asservissement brutal, envoyés dans l’enfer des mines d’or ou livrés aux pionniers en tant qu’esclaves, y compris aux Etats-Unis, jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle. Cet esclavage de masse a décimé les populations amérindiennes aussi sûrement que les maladies apportées et transmises par les Européens : à travers des documents inédits, ce récit terrible et passionnant en apporte la preuve. Alors que de nombreux pays, et les Etats-Unis en particulier, sont aux prises avec l’héritage du passé, Andrés Reséndez dévoile un chapitre essentiel d’une histoire douloureuse à laquelle il est plus que jamais nécessaire de se confronter.

Sous-titré La véritable histoire de l’asservissement des indiens aux AmériquesL’autre esclavage est un ouvrage vraiment pertinent et intéressant qui nous ouvre les yeux sur la colonisation et nous permet de mieux comprendre « l’autre esclavage »: celle des peuples autochtones et aborigènes. L’auteur trace le portrait de cette facette peu glorieuse de l’histoire en partant des Caraïbes jusqu’au Mexique, avant de poursuivre vers les États-Unis. 

Ce livre parle de l’asservissement des peuples autochtones et la façon dont cette forme d’esclavage a pu perdurer pendant aussi longtemps. Cet ouvrage complexe amène définitivement une autre lumière sur ce qu’a pu être la relation entre les Blancs et les autochtones. On perçoit un changement de mode de vie des autochtones lors de l’arrivée des hommes blancs. Le troc était bien souvent utilisé au détriment des peuples aborigènes et autochtones, puis était une belle occasion utilisée pour les exploiteurs de les asservir.

Officiellement interdite, mais facilement contournable à cause de lois beaucoup trop faibles, l’esclavage des peuples autochtones était la plupart du temps celle de femmes et d’enfants. Les hommes étaient alors tout simplement supprimés. Les esclaves vivaient dans des conditions inhumaines: enchaînés, violés, exploités jusqu’à la mort. L’auteur parle des tactiques utilisées pour asservir et éliminer des clans. Le travail des autochtones et des aborigènes se déroulait dans des conditions impossibles, dans les champs, les mines, les forges, enfermés jusqu’à ce qu’ils développent de gros problèmes de santé. On déplaçait les peuples sur de grandes distances pour les rendre « plus dociles » et on exploitait les esclaves comme des bêtes, souvent jusqu’à la mort. Une pratique qui a perduré jusque dans les années 1960.

« À Parral, comme dans nombre d’autres mines d’argent du Mexique, c’était les Indiens et les esclaves noirs qui remontaient le minerai à la surface. Charriant des sacs en cuir remplis de pierres, ils devaient ramper dans des passages bas de plafond et grimper en posant le pied sur des « échelles de poulailler » en rondins de pin. Comme les mains du portefaix étaient occupées à s’accrocher à l’échelle, son lourd fardeau – qui pouvait peser entre cent et cent soixante kilos – reposait sur son dis tout en se balançant périlleusement au bout de la sangle qui lui enserrait le front. Les porteurs de minerai étaient communément nommés tenateros, terme dérivé du mot nahuatl tenatl, qui désigne un sac en fibres ou en cuir. Inutile de préciser que le risque de glissade ou de chute était omniprésent. »

L’esclavage que nous connaissons est essentiellement celle des Noirs, qui a été documentée et qui était enregistrée. Celle des autochtones était interdite sur le papier, mais perpétrée assez facilement par ceux qui souhaitaient s’approprier ces peuples et les soumettre à l’esclavage, de là le titre de l’ouvrage « l’autre esclavage ». La cour n’offrait aucun statut aux autochtones, qu’on pouvait facilement accuser de toutes sortes de méfaits et donc, exploiter sans vergogne. Le livre aborde aussi brièvement l’asservissement d’autres peuples: les aborigènes d’Australie, des Philippines, de Chine, amenés en Amérique du Nord où ils subissaient le même traitement que les autochtones. 

Le livre contient plusieurs photos et des dessins qui illustrent le propos de l’auteur. Il contient aussi des cartes utilisées pour expliquer les mouvements entre les pays concernant l’esclavage. Même si le sujet est difficile, j’ai beaucoup apprécié cet essai puisqu’il nous dévoile une facette inconnue et un autre visage de l’asservissement des peuples. Il apporte une lumière différente sur l’esclavage et sur ceux qui ont été exploités. L’auteur a effectué un très grand travail de recherche. Son livre est très riche en informations et particulièrement bien documenté. J’ai pris un moment à le lire, parce que le sujet est complexe et que je trouve important de prendre le temps qu’il faut pour mieux comprendre ce que ces peuples autochtones ont vécu.

L’humain a toujours eu l’envie de posséder des richesses, d’avoir le pouvoir sur les gens, d’exploiter ce qu’il peut utiliser à son avantage. On apprend aussi comment la religion pouvait, d’une certaine façon, donner raison aux esclavagistes qui recevaient une forme « d’approbation » de certaines parties de la population. Les peuples autochtones et aborigènes étaient souvent dénigrés, perçus comme inférieurs, alors les Blancs se donnaient le « droit » de les exploiter et de s’approprier le territoire et les richesses au détriment des gens qui étaient déjà en place. Les esclaves étaient aussi amenés comme présent à la royauté de la plupart des pays qui pratiquaient l’esclavage.

« Mais le plus alarmant était la capacité des missionnaires à torturer et à tuer au nom de Dieu. Le pire de ces bourreaux était le bien nommé Salvador de Guerra, qui terrorisa les villages hopis au cours des années 1650. Comme tous les religieux qui travaillaient dans un isolement presque total, il vivait avec une concubine, malgré son vœu de chasteté. Il contraignait aussi les Indiens à tisser des mantas en coton, imposant des quotas de production à atteindre sous peine de punition. Et pour ce qui était de combattre le Diable, le frère Guerra n’avait pas son pareil: non content de frapper les indigènes qu’il soupçonnait d’idolâtrie et de sorcellerie, il les arrosait ensuite de térébenthine avant de leur mettre le feu. »

Si le sujet vous intéresse, c’est assurément un livre que je vous conseille puisqu’il présente une facette de l’esclavage qu’on connaît peu. C’est un livre essentiel et très bien documenté. Il n’est pas exhaustif, l’auteur le dit lui-même, il faudrait des tomes et des tomes pour traiter complètement ce sujet. Mais cet ouvrage aborde une histoire qui a été bien souvent passée sous silence.

Une lecture à la fois instructive, intéressante, troublante et pertinente. À lire!

L’Autre esclavage, Andrés Reséndez, éditions Albin Michel, 544 pages, 2021

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