Les cobayes oubliés

À Montréal, autour des années 1950, le docteur Ewen Cameron, un psychiatre renommé, mène des expériences sur ses patients. Doses massives d’électrochocs, administration de LSD, messages aliénants joués en boucle… Son ambition est grande : il souhaite reprogrammer leur cerveau. Ses patients ne s’en tirent pas tous indemnes. Plusieurs décennies plus tard, des journalistes s’intéressent à ce pan obscur de l’histoire de la psychiatrie au Canada, et le véritable contexte des travaux du Dr Cameron est alors mis au jour. Motivée par le climat paranoïaque de la guerre froide, la CIA a en partie financé ces expériences via le programme occulte MK-ULTRA. Objectif : réussir à contrôler le cerveau humain, et notamment celui des prisonniers de guerre. De Montréal à Guantanamo en passant par Nuremberg, le Manitoba et même l’Irlande du Nord, Sophie-Andrée Blondin et Lisa Ellenwood proposent une synthèse inédite du scandale MK-ULTRA. Elles mettent ainsi en lumière les origines scientifiques des tentatives de manipulation de l’esprit, les effets dévastateurs de l’ambition d’un psychiatre, et les séquelles que vivent encore des victimes et leurs familles. Aujourd’hui, une question s’impose : quand la science perd ses repères éthiques sans qu’aucun responsable soit désigné, l’histoire est-elle condamnée à se répéter ? 

Les cobayes oubliés est un livre troublant, écrit d’après les balados du même nom. Il raconte l’histoire du programme MK-Ultra à Montréal et toutes les ramifications en lien avec les tests qui ont été faits sur des patients dans un institut sensé venir en aide à ceux qui en avaient besoin.

Dans les années 1950, le psychiatre Ewen Cameron reçoit dans son institut des patients atteints d’anxiété, qui vivent des deuils difficiles ou souffrent de dépression post-partum. Sans leur consentement, il mène alors des expériences sur ses patients: électrochocs, doses massives de LSD, déprogrammation, sommeil intensif qui dure des jours, messages sonores envoyés en boucle. L’idée est de permettre une régression afin de revenir au stade d’avant les problèmes. Qu’une femme soit enceinte ou non, elle a droit au même traitement. Quand ils sortent de l’institut, les patients ont régressé, ils sont incapables de s’occuper d’eux-mêmes et de leur famille. La plupart ont des enfants qui ne les reconnaissent même plus. Le choc est grand pour les proches et le patient doit essayer de réapprendre à vivre avec ces séquelles.

« Linda MacDonald a perdu le souvenir des 26 premières années de sa vie parce qu’elle a croisé la route d’un psychiatre qui avait égaré ses repères éthiques et empathiques. »

Ce qui est frappant avec ce livre, c’est de constater toute la souffrance infligée à des gens qui venaient consulter pour avoir de l’aide et pour aller mieux. Quand cette affaire est mis au jour, on découvre alors des ramifications entre le travail de Cameron, le programme MK-Ultra financé par la CIA et les gouvernements, dans un climat de paranoïa instauré par la guerre froide. Le but: contrôler le cerveau humain et réussir à faire parler des prisonniers. Les « dommages collatéraux » semblent inquiéter assez peu ceux qui font ces tests. Mais au bout du compte, ce sont des familles entières et des générations d’enfants qui ont grandis dans le sillage d’un parent qui leur a en quelque sorte été volé au nom de la science. C’est terriblement touchant et on ressent la grande injustice de toutes les démarches faites par ceux qui en ont été victimes, et des réponses qu’ils ont pu avoir des gouvernements par la suite.

Avec ce livre, les auteures survolent l’évolution de la psychiatrie à cette époque, le contexte de la mise en place du programme, les effets dévastateurs sur les patients et leurs famille, les liens avec les procès de Nuremberg (où Ewen Cameron a d’ailleurs donné son expertise) et les incarcérations sous torture à Guantanamo.

« Dans le cas de la recherche de méthodes pour modifier et contrôler l’esprit humain, chaque petit dérapage a tissé le fil rouge qui naît dans l’ambiance de la guerre froide, se déroule dans des universités et des hôpitaux psychiatriques canadiens, et poursuit sa vie, ténu mais visible, dans des prisons pour présumés terroristes. »

Choquant et troublant, ce livre aborde un pan sombre de notre histoire, afin que l’histoire ne se répète pas. Malheureusement, l’humain étant ce qu’il est, rien n’est moins sûr…

Un livre nécessaire pour ne pas oublier les victimes de cette affaire qui a eu des conséquences désastreuses. Je pense bien écouter le balado également prochainement. 

Les cobayes oubliés, Sophie-Andrée Blondin, Lisa Ellenwood, éditions Édito, 256 pages, 2024

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