Le Tueur de la Green River

Dans les années 1980, la priorité de la police de Seattle était l’appréhension du « Tueur de la Green River », surnom du meurtrier de dizaines de femmes. Mais en 1990, alors que le nombre de meurtres s’était élevé à au moins quarante-huit, l’affaire a été remise aux mains d’un seul détective, Tom Jensen. Après vingt ans, Gary Leon Ridgway, finalement confondu grâce à une recherche ADN, est interrogé par Jensen pendant cent quatre-vingts jours dans le but de combler les vides de l’enquête et de comprendre son mobile : une confrontation historique avec une incarnation du Mal, un homme aussi inquiétant que déroutant. À ce jour, quarante-neuf meurtres lui sont officiellement attribués, mais Ridgway en a avoué soixante et onze. La plupart des corps n’ont jamais été retrouvés.

Ce roman graphique en noir et blanc raconte la traque du tueur en série Gary Leon Ridgway qui aurait fait au moins 49 victimes.

Le tueur de la Green River est une histoire choquante, terrifiante, avec un tueur déroutant qui aura donné beaucoup de fil à retordre à des équipes entières d’enquêteurs expérimentés. Mais surtout, c’est une bd touchante sur le travail des policiers, principalement Tom Jensen (le père de l’auteur) et son acolyte Jim Doyon.

Des heures et des heures de recherches, d’enquêtes, d’émotions aussi variées que difficiles. Plus de vingt ans pour réussir à aller au fond de cette histoire. Plus de 180 jours d’interrogatoire soutenu avec le Mal afin de pouvoir identifier les victimes. C’est un travail glaçant et de longue haleine.

Un travail qui aura duré plus de vingt ans, avec tout ce que ça peut avoir comme conséquence sur un enquêteur qui s’est investit énormément dans son travail afin que justice soit faite pour les victimes et qu’il puisse apporter des réponses aux familles des disparues. Jeff Jensen rend ainsi hommage au travail de son père à travers cette histoire, mais également à ceux qui travaillent d’arrache-pied afin qu’il existe une forme de justice dans un monde parfois terrifiant et incompréhensible.

J’ai beaucoup aimé ce roman graphique qui s’attarde principalement sur le travail d’enquête, sur ses conséquences et sur l’implication des policiers dans leur travail. Surtout quand il dure aussi longtemps. Le travail empiète forcément sur la vie privée et hante les enquêteurs malgré eux. Comment rester impassible devant de telles atrocités? Comment continuer aussi longtemps à enquêter et à traquer un criminel avec des crimes aussi sordides? 

L’histoire est poignante par moments et l’impassibilité du tueur donne froid dans le dos. Le dessin de Jonathan Case, un dessinateur que j’aime beaucoup, rend bien cette atmosphère.

Si les histoires criminelles vous intéresse, c’est une bd à découvrir.

Le Tueur de la Green River, Jeff Jensen, Jonathan Case, éditions Ankama, 234 pages, 2012

L’affaire du Golden State Killer

1974, Californie. Alors que l’officier Richard Shelby patrouille dans sa voiture, un homme s’éloigne dans la nuit : le policier est loin de s’imaginer qu’il vient de laisser filer l’un des pires serial killers du pays. Car dans ce décor idyllique de la côte ouest des années 1970, celle des hippies, des banlieues pavillonnaires aux familles insouciantes, un monstre rôde. Il a commencé par cambrioler, puis violer. Maintenant il tue.. Celui que l’on nommera bientôt le Golden State Killer ne cessera d’agrandir sa zone criminelle, d’augmenter l’intensité de ses crimes et de perfectionner ses scénarios. Cette enquête obsèdera Richard Shelby toute sa vie.. Les enquêteurs mettront plus de quarante ans à découvrir l’identité du tueur. Dans cette affaire, le journaliste William Thorp démonte les rouages d’un esprit machiavélique et raconte comment la sauvagerie de ce criminel hors norme a pu se déchaîner en toute impunité.

J’avais beaucoup aimé la première publication de cette série sur de vrais crimes américains présentée par les éditions 10/18 et Society. Je me suis intéressée à l’affaire du Golden State Killer à cause de l’utilisation de l’ADN principalement, mais également parce que c’est une affaire qui donne froid dans le dos. Comment quelqu’un a pu échapper à la justice pendant une quarantaine d’années aussi « facilement »?

Nous sommes en Californie, en 1974. D’étranges cambriolages ont lieu dans un quartier tranquille. L’homme se glisse dans les maisons, subtilise des objets sans valeur, les dépose dans d’autres maisons. Il attaque sauvagement des chiens. Puis, il commence à aller plus loin. Il s’introduit dans les chambres des filles et des femmes et les viole. Alors qu’on croit qu’il ne s’attaque qu’à des femmes qui sont seules, le Golden State Killer s’amuse à contredire ce qu’on dit de lui dans les journaux et commence à s’en prendre à des couples. Puis il franchit le pas et commet son premier meurtre…

Cette affaire est totalement perturbante. Ce criminel s’attaque à ce qui est sacré pour bien des gens: leur maison, leur chez-soi et leur intimité. Il envahit ces espaces sournoisement, en silence. Son visage cagoulé apparaît aux fenêtres, jusqu’à ce qu’il se retrouve tout à coup au pied de votre lit. Le modus operandi est terrifiant car même si la population est en alerte et se barricade chez elle, l’individu continue à perpétrer ses crimes sans se faire attraper.

« S’entendre dire aux victimes que l’enquête est au point mort malgré une liste de cinq mille suspects passés au crible, malgré des douzaines d’hommes aux profils intéressants disséqués, lui est insupportable. « 

Les enquêteurs en font une affaire personnelle et ce criminel devient une fixation pour beaucoup de policiers. Puis, les crimes s’arrêtent. Le Golden State Killer disparaîtra des radars jusqu’à ce qu’on travaille sur des cas non résolus et qu’on commence à exploiter de la nouvelle technologie qui n’était pas encore disponible au moment des premiers crimes.

Cette affaire, qui a commencé dans les années 70, n’a connu son dénouement que tout récemment. Une traque qui aura duré si longtemps… c’est aussi perturbant qu’incroyable. J’ai beaucoup aimé ce livre parce que cette affaire est terrifiante et intrigante. Cette traque donne froid dans le dos, tellement on a l’impression que la police poursuit… un fantôme.

Si vous aimez le genre, c’est une affaire intéressante et assurément très dérangeante. C’est surtout le travail d’enquête qui est passionnant dans cette affaire,  ses conséquences sur les victimes et les gens qui y ont consacré leur vie. C’est une quête de justice pour les victimes qui aura été un travail de longue haleine.

L’affaire du Golden State Killer, William Thorp, éditions 10/18, 176 pages, 2023

La manufacture du meurtre

En 1896, à l’âge de 35 ans, Henry Howard Holmes, de son vrai nom Herman Webster Mudget, le premier tueur en série des États-Unis, avoue des dizaines de crimes. Pour mener tranquillement ses activités, il a édifié à Chicago, à quelques encablures des abattoirs les plus sophistiqués du monde, une bâtisse si vaste que ses voisins l’ont appelée le Château. Létal, pratique et confortable, l’immeuble est doté des innovations les plus récentes. Chef-d’œuvre rationnel et mécanique cosy du crime en pantoufles, le projet de Holmes, designer de l’extrême, s’inscrit à merveille dans le projet fonctionnaliste des modernes.
Cette enquête interroge l’émergence quasi simultanée de la révolution industrielle et de la figure du serial killer. Loin d’être une coïncidence, elle annonce la rationalité de nouveaux modes de production dont la chaîne de montage et le meurtre sériel sont deux émanations. Le cas Holmes, anti-héros de l’histoire moderne, permet de mieux saisir le tournant que cette révolution économique, mécanique et culturelle a opéré dans le traitement du vivant.

Cet essai s’attarde sur la figure de H. H. Holmes, considéré comme le premier tueur en série américain. Et quel tueur! Son parcours est surprenant et terrifiant. 

Holmes a été condamné et exécuté pour 27 meurtres. Passé maître dans l’art d’escroquer les assurances, il était aussi commerçant. Il a fait construire ce qu’on appelait « le château », une maison de plusieurs étages, abritant son lieu de vie, des commerces, des chambres à louer, etc. Il a conçu ce lieu selon ses plans, avec des pièces secrètes, des couloirs, des lieux complètement hermétiques, des capteurs électriques, un four gigantesque (qui, on s’en doute, ne servait pas à cuisiner des gâteaux), des monte-charges, et les dernières innovations dont l’électricité et le gaz. Cette maison gigantesque lui servait « d’usine à meurtres ». Tout était conçu pour pouvoir tuer sans être sur place et se débarrasser des corps discrètement. Il est avancé dans le livre que jamais Holmes aurait pu tuer aussi aisément sans son « château ». Le bâtiment tient donc une place importante dans cet essai.

« Holmes mène tranquillement ses activités commerciales et meurtrières dans l’espace public de la ville la plus dense et la plus moderne du pays. »

Il faut savoir que cet essai est différent des autres ouvrages de « true crime ». Il s’agit vraiment d’un essai où l’auteure, spécialiste du design, offre un parallèle entre l’émergence du premier tueur en série et la révolution industrielle. Holmes étant poussé au crime par son goût immodéré de l’argent, l’ouvrage tente de démontrer que ses actes représentent le capitalisme poussé à l’extrême. C’est aussi une réflexion sur les changements économiques et sociaux de l’époque de Holmes et de l’émergence de sa folie. L’ouvrage est intéressant car il suscite des questionnements autour de thèmes allant de l’appât du gain à l’art, le design faisant partie intégrante des crimes de Holmes avec l’élaboration de son « château ». Un thème aussi abordé par Thomas De Quincey dans De l’assassinat considéré comme l’un des beaux-arts ou dans le film La corde d’Hitchcock. C’est un point de vue différent, qui ne mise pas sur le sensationnalisme, mais plutôt sur l’époque et l’architecture. 

En annexe, on retrouve les confessions de H. H. Holmes, écrites pour le journal The Philadelphia Inquirer en mai 1896. Écrites juste avant son exécution, ces confessions racontent froidement le détail de chacun de ses crimes. C’était un personnage ambivalent et difficile à saisir. Il était assurément très intelligent et avait une fine connaissance des nouvelles technologies de son époque. 

Un ouvrage intéressant et troublant qui propose un nouveau point de vue sur l’apparition des tueurs en série. Il nous fait aussi voir H. H. Holmes d’un autre œil…

La manufacture du meurtre, Vie et oeuvre de H. H. Holmes, premier serial killer américain, Alexandra Midal, éditions La découverte, 128 pages, 2018

American Predator

Anchorage, Alaska. Une nuit glaciale de février 2012, la jeune Samantha Koenig disparaît. Une caméra de surveillance raconte bientôt la suite de l’histoire : on y voit un inconnu armé enlever l’adolescente. La police lance une chasse à l’homme jusqu’à l’arrestation d’un suspect bien sous tous rapports. Honnête travailleur et père de famille, comment peut-il vraiment être impliqué dans cette affaire ?  Véritable enquête aux confins de la folie, American Predator raconte le parcours d’un psychopathe glaçant qui a sévi durant des années sur l’ensemble du territoire américain, sans jamais être inquiété.

Voilà un livre totalement perturbant. Ce qu’on y retrouve est terrifiant, mais on ne peut s’empêcher de continuer à lire pour tenter de trouver une explication à tout ce qu’on y lit. Pour tenter de comprendre, si cela est possible, ne serait-ce qu’un peu. Comment tout cela a pu se produire?

Alaska, février 2012. Une jeune femme, Samantha Koening, disparaît. Une caméra filme l’enlèvement, mais les indices sont minces. Avec le travail méticuleux de certains experts, des pistes commencent à apparaître. Cette disparition mènera à une chasse à l’homme à travers les États-Unis. Et celui qu’on arrête, père de famille sans casier judiciaire, défie l’entendement. Et pourtant…

Cette histoire, basée sur les documents et entretiens des agents du FBI qui ont travaillé sur cette affaire, brosse le portrait d’un tueur en série organisé, méthodique, discipliné et insoupçonnable. C’est un ouvrage vraiment terrifiant à cause de la façon de fonctionner du tueur: il a pu perpétrer ses crimes pendant des années sans représailles. Parfois amusé, souvent distant, mais ayant pris goût aux feux de la rampe – et c’est ce qui le mènera à son arrestation – ce psychopathe donne froid dans le dos.

« L’homme dont il est question dans ce livre a chamboulé les convictions des agents du FBI eux-mêmes. C’était un monstre d’un nouveau genre. Un monstre qu’on soupçonne d’être responsable de la plus grande série de disparitions et de meurtres non élucidés de l’histoire américaine contemporaine. Pourtant, vous n’avez sûrement jamais entendu parler de lui. »

Dès le début, on ne soupçonne pas ce que l’on va lire, même si la carte reproduite dans les premières pages montre toutes les villes visitées par le tueur. Cette carte est dérangeante, peut-être parce qu’elle expose visuellement tout ce qui suivra. Ce compte rendu, qui se lit comme un roman mais n’en est pas un, nous fait entrer dans la tête du tueur. Ses actes abominables. Ses gestes incompréhensifs. Les répercussions de ses crimes sur les gens des communautés où il est passé. Sur les policiers, les enquêteurs qui ont travaillé sur cette affaire. On sait que ce que l’on va lire ne nous laissera pas indemne… 

Dès l’arrestation, on commence à percevoir ce qui se cache sous la surface. Le tueur joue avec les enquêteurs. Et plus on tourne les pages, plus on découvre de nouvelles choses et plus tout cela nous apparaît insensé. Ce qui est troublant, c’est que l’histoire se déroule à notre époque, à l’ère des réseaux sociaux, des caméras de surveillance, des données électroniques. Pendant si longtemps, ce criminel a pu perpétrer ses crimes sans que quiconque puisse le soupçonner. Comme le dit si bien l’auteure: un tueur analogique dans un monde numérique.

Le travail de Maureen Callahan est minutieux, impressionnant et passionnant. Elle épluches les archives, les relevés d’enquêtes, les dépositions. Elle rencontre des gens qui ont travaillé sur cette affaires ou qui ont eu des liens avec des gens impliqués. Certaines personnes sont touchantes et m’ont émue. Je pense au plongeur dont le travail et la vie personnelle sont étroitement liés. J’ai apprécié également tout le processus d’enquête qui est raconté, le travail de recherche, les ressources utilisées et la coordination de plusieurs corps policiers. Même si on plonge littéralement dans l’horreur et dans des crimes sordides, le livre est vraiment prenant. Maureen Callahan a fait un travail de recherche monumental avec cet ouvrage. La somme d’informations récoltée est incroyable. En même temps, l’ouvrage est tellement fluide et bien raconté qu’il se lit aisément.

L’histoire, véridique, m’a particulièrement troublée. C’est fort, c’est terrifiant, c’est horrible, c’est tordu, mais c’est aussi fascinant. J’ai lu ce livre pratiquement d’une traite, sans être capable de le poser. Et j’ai envie d’en lire d’autres. Ça tombe bien, l’éditeur propose une nouvelle collection d’histoires criminelles, par états américain. Je crois bien que je vais me laisser tenter!

American Predator, Maureen Callahan, éditions 10/18, 384 pages, 2022

L’affaire du Dr Cream

Jack l’éventreur a effrayé ses contemporains. Le Dr Cream les a horrifiés. Avortements illégaux, empoisonnements à la strychnine et au chloro­forme, chantage, extorsion : ce ne sont là que quelques-uns des hauts faits de ce médecin ayant étudié à l’Université McGill, sinistre figure à l’origine même du concept de serial killer. Soupçonné d’avoir assassiné plusieurs femmes en Amérique du Nord, le Dr Thomas Neill Cream se trouve derrière les barreaux à Londres, en 1891. Commence alors le récit haletant de son procès. Dean Jobb entraîne ses lecteurs dans les bas-fonds d’une enquête sordide qui révolutionna les techniques d’investigation, alors que les services de police dédaignaient encore l’utilisation de la science pour résoudre délits et meurtres. Le récit méconnu de ce monstre d’un autre siècle n’a pas fini de provoquer des frissons. À ne pas mettre entre toutes les mains.

Ce livre est à la fois terrifiant et fascinant. Il m’a accompagnée le temps de quelques soirées d’octobre, à l’approche de l’Halloween. C’était une lecture parfaite. Il s’agit d’une véritable enquête dans les archives, sur les traces d’un tueur en série qui a sévit dans plusieurs pays. Une histoire (vraie) qui donne littéralement le frisson, mais que l’histoire a peu à peu oublié. Pourtant…

« Cream personnifie le méchant typique de l’époque victorienne, un individu inquiétant coiffé d’un haut-de-forme, avec un rire forcé et un regard sinistre de strabique. Le Jack l’Éventreur des empoisonneurs. »

Issu d’une famille aisée, Thomas Neill Cream est diplômé de McGill. Il a aussi fait des études en Europe. Il aurait pu devenir un brillant médecin. Mais le Dr Cream est un être particulièrement difficile à cerner, même si de nombreuses personnes le trouvent étrange et que son propre père en a assez de ses frasques. Maître chanteur, obsédé sexuel, avorteur dans des conditions épouvantables, empoisonneur et tueur en série, la feuille de route de Cream fait trembler même les plus endurcis. Avec cet ouvrage qui colle aux archives historiques et à la réalité des documents retrouvés, l’auteur nous offre une passionnante enquête qui nous amène du Québec à l’Angleterre en passant par les États-Unis. Avec le portrait qu’il brosse de Cream, on ressent tout de suite cette impression qu’il existe deux hommes en lui. Le gentil médecin qui inspire confiance (qui est donc bien placé pour attirer ses victimes) et l’empoisonneur en série qui tente de « nettoyer les bas-fonds » des villes en empoisonnant des femmes de « mauvaise vie » ou celles qui se retrouvaient seules et enceintes. C’est à une folle plongée dans les bas-fonds anglais et américains que nous convie l’auteur, épluchant pour nous les détails des enquêtes entourant le passage du Dr Cream dans ces villes.

« Les collectionneurs de souvenirs pouvaient acheter des figurines en céramique de tueurs et de victimes. À l’image de l’Illustrated Police News et d’autres lucratifs journaux jaunes remplis de faits divers criminels, la presse de grande diffusion publiait des comptes rendus hauts en couleur de morts violentes et des procès qui s’ensuivaient. On allait jusqu’à s’excuser auprès des lecteurs quand on ne leur donnait à lire que de banales descriptions de « crimes ordinaires ». »

Cet ouvrage retrace l’incroyable enquête de l’époque, sur la piste de Cream et des crimes qu’il a commis. Le travail de recherche de l’auteur est très pointilleux. Il se renseignait même sur la température qu’il faisait telle ou telle journée afin de décrire au mieux l’atmosphère des événements. Cream est vraiment un personnage qui suscite à la fois de la fascination et de la répulsion. On se demande comment il a pu agir impunément si longtemps sans en subir les conséquences. Du moins pas suffisamment sévères pour l’arrêter. Sa position dans la société et ses contacts, ainsi que l’incapacité de son époque à faire confiance à la science, lui ont permis de s’échapper de nombreuses fois d’enquêtes qui auraient pu le condamner et l’arrêter une bonne fois pour toute. Le livre est accompagné de documents d’archives, de nombreuses notes et il détaille abondamment ses sources. On y croise aussi entre ses pages, Arthur Conan Doyle, Edgar Allan Poe, Jack l’Éventreur, Sherlock Holmes, Joseph Bell, pour ne nommer que ceux-là. 

L’ouvrage est intéressant car il aborde aussi, parallèlement à la vie de Cream, l’histoire des femmes de son époque. Les préjugés envers une certaine portion de la population, le dégoût que pouvaient susciter les gens qui vivaient dans les bas-fonds de Londres ou de Chicago par exemple et du peu de considération que ces gens avaient de la bourgeoisie et des gens qui avec un statut social privilégié. L’auteur aborde également l’époque de Cream, la façon dont les enquêtes étaient menées à son époque (ce qui explique les larges mailles du filet par lesquelles Cream se dérobait constamment) et l’évolution des sciences judiciaires. Cream n’est d’ailleurs pas sans rappeler le célèbre Jack L’éventreur, avec qui on peut se permettre de faire quelques comparaisons…

Avant de lire ce livre, qui se dévore d’ailleurs comme un roman, je ne connaissais pas le Dr Cream. Il est d’ailleurs intéressant de voir les traces de son passage ici et là qui subsistent encore aujourd’hui et que l’auteur présente en fin d’ouvrage. C’est un personnage terrifiant, maître chanteur et beau parleur, qui a su utiliser sa position dans la société et son argent pour commettre des crimes atroces sur une tranche de la population plus vulnérable: des femmes pauvres, souvent sans ressources, enceintes et pointées du doigt, forcées de se prostituer pour manger ou subvenir aux besoins d’un enfant illégitime. 

Si vous aimez les histoires de vrais crimes, ce livre est assurément à lire! J’ai adoré plonger dans l’histoire sordide de ce médecin, qui est bien documentée et passionnante à découvrir. On referme quand même l’ouvrage avec un frisson d’horreur, surtout en sachant que Cream a réellement existé. 

L’affaire du Dr Cream : De Québec à Londres: la traque d’un tueur en série à l’ère victorienne, Dean Jobb, Les éditions de l’Homme, 432 pages, 2022