
Je m’appelle Sierra. Je suis retenue prisonnière par quatre barils vides qui font flotter un quai de bois traité au-dessus de mes yeux vitreux. Noyée ben raide. Je me suis échouée ici après trois ou quatre jours à dériver tranquillement dans des eaux brunes. Maintenant que je suis à la surface, il n’y a toujours pas de lumière ni de tunnel… Tout le monde dort encore autour du quai, j’ai le temps en masse de te raconter par où tout ça a commencé. Pendant que ses amis restent dans leur sous-sol, à essayer de survivre sur une île déserte au milieu de l’Internet, Sierra préfère passer ses fins de semaine dans le bois avec son père. Mais les conséquences d’une mauvaise journée en forêt peuvent être beaucoup plus graves que dans un jeu vidéo.
Ce roman jeunesse a été une bonne lecture. L’histoire aborde plusieurs thèmes intéressants: la vie dans le bois, la chasse, la pêche, la relation père-fille, le deuil et la survie. L’histoire commence avec des pages grises, qui marquent une partie différente de l’histoire que l’on va lire et se termine aussi de cette façon. Il s’agit en fait de la fin du récit, là où est rendue le personnage principal. Puis, vient le reste du roman, les pages blanches, où l’on plonge avec elle dans ce qu’elle vit directement.
La narratrice, Sierra, raconte son histoire. Elle est au Cégep et aime aller passer du temps dans le bois avec son père, Rémy, à la chasse ou à la pêche. Elle profite de la nature. D’ailleurs, l’histoire se passe dans le bois, pour sa plus grande partie. Sierra nous parle de sa vie, de la séparation difficile de ses parents, de son frère qui ressemble plus à sa mère, d’elle-même qui a plus d’affinités avec son père. Elle parle du bois, de ce qu’ils font, de la musique, qui a aussi une grande place. Elle préfère la vie dans la nature, seulement elle et son père. Parfois, quand son frère n’a pas le choix, il se joint à eux mais il déteste ça.
« Mais tsé, en plein bois, c’est comme au Moyen-Âge: boire de l’alcool est moins risqué que de s’abreuver dans un trou de bouette. On dit que si un cheval boit l’eau d’une flaque, elle est fiable, mais je n’avais pas de cheval sous la main pour vérifier. Je me justifie, là. »
Sierra parle beaucoup de sa relation avec son père. De l’importance qu’il a dans sa vie, mais aussi dans leurs périples en pleine nature où sans lui, elle se sent perdue. Elle raconte ce qu’elle vit avec lui, la vie tranquille, dans le bois. Mais cette tranquillité devient rapidement une bataille pour la survie, pour Sierra. Son histoire sera marquée par un grand drame et par une forme de dérive face aux événements qui se produisent.
Le roman raconte à la fois la vie dans les bois, la survie en pleine nature, la vie après la tragédie que Sierra vivra. On la suit alors qu’elle tente de faire face à ce qui lui arrive. Comme son père et elle voulaient protéger leur chalet, celui-ci est à l’écart, difficile d’accès et bien protégé contre les voleurs. Ce choix deviendra le plus gros défi de Sierra alors que son père n’est plus là, car de nombreux kilomètres la sépare de la civilisation et les rencontres qu’elle fera ne sont pas pour lui faciliter la tâche…
« Je m’accote dans la portière le temps du trajet de retour. Un gilet de sauvetage pour oreiller, entre la vitre et ma tête. Comme souvent, dès qu’on se met à rouler, je ferme les yeux devant le clignotement du soleil couchant entre les arbres qui défilent. Je distingue, entre mes paupières mi-closes, un squelette de bagnole au bord du chemin. Je cogne des clous jusqu’à ce que mon père m’extirpe de cette torpeur.
-Y’a un original. Il traverse le lac. Viens voir. »
J’ai adoré le texte de Sébastien Gagnon, les dialogues, le ton très québécois de ce roman, dans lequel j’ai eu l’impression de me retrouver. C’était agréable. L’auteur utilise notre langue quotidienne et c’est quelque chose que j’ai beaucoup apprécié. Il y a aussi un peu d’humour dans ce que nous raconte Sierra, dans les dialogues entre elle et son père, avec qui elle a une belle complicité. L’humour adoucit un peu le drame qui suivra. L’épreuve est difficile pour une adolescente. C’est donc un personnage qui fait preuve d’une grande force.
La couverture de ce livre est pour moi vraiment magnifique. L’histoire m’attirait, le titre m’intriguait et on en comprend la signification pendant la lecture. L’écriture est très belle, touchante et le roman se lit d’une traite. L’histoire est en partie très poignante, surtout quand le monde de Sierra s’écroule. L’auteur nous amène dans la tête d’une adolescente qui vit une tragédie.
J’ai beaucoup apprécié ma lecture. La façon dont le roman est construit, par petits chapitres, qui brossent un tableau vivant, un peu comme si Sierra était présente pour nous raconter son histoire. Un bon roman qui se lit vraiment bien, même si le drame qu’il décrit est sombre. Le contexte en pleine nature, les dialogues et l’histoire touchante en font un très beau roman.
Je ne suis pas une outarde, Sébastien Gagnon, éditions Bayard Canada, 152 pages, 2021