Pêcheur normand, famille métisse

Cette histoire sociale de la baie des Chaleurs durant le régime français place en son centre ses premiers habitants perma­nents d’origine française et leur famille métisse. La famille Mallet est l’une des rares dont on connaît les antécédents et le parcours. Dans cet ouvrage, Marc-André Comeau explore le mode de vie, le milieu et les principaux évènements historiques qui ont façonné la vie de ces pêcheurs estivaux qui trappaient l’hiver venu. Au fil des décennies, ils développent une identité qui leur est propre et qui émergera dans toute sa différence durant la guerre de Sept Ans. Pendant ce conflit, les forces françaises et britanniques, ainsi que les Acadiens nouvellement arrivés à la baie, vont rapidement mettre en relief les particularités de cette petite communauté qu’on ne réussit pas à «classer». On utilise alors des vocables tels que Normands, Mistifs, Créoles ou «half-breeds» pour décrire ces habitants aux origines mixtes. Depuis, ce groupe singulier s’est lentement amalgamé à la population environnante.

Pêcheur normand, famille métisse est un ouvrage qui raconte l’histoire des ancêtres Normands des Mallet d’Acadie. Un livre qui nous plonge dans les années 1680 à 1763 dans la vie quotidienne des pêcheurs. On apprend une foule de choses sur leur façon de vivre de l’époque. C’est la petite histoire des gens qui forment, finalement, la grande histoire de cette période en Acadie.

Au tout début du livre, j’avais l’impression d’être totalement plongé dans la généalogie de la famille Mallet. Mais au fil des pages, on réalise que l’auteur nous convie aussi à tout un pan de l’histoire de pêcheurs courageux et vaillants, qui ont tout donné pour réussir à avoir une vie décente en travaillant sur les bateaux. On voit de quelle façon ils ont colonisé ces lieux, ce qu’ils ont vécu, par quelles épreuves ils ont dû passer. On apprend de quelle façon fonctionnait la hiérarchie entre les pêcheurs, selon les prises et le temps qu’ils pouvaient mettre à pêcher. Une partie de l’équipage demeurait ici, alors que certains repartaient. Les pêcheurs pouvaient donc passer plus de temps ici et sur la mer, parfois des années, plutôt qu’avec leur famille sur le vieux continent.

À partir de là, on constate à quel point ce métier était difficile pour la famille qui demeurait au pays. Tout comme elle était difficile pour ceux qui choisissaient de venir s’installer en Acadie. Les pêcheurs pouvaient aussi être réclamés pour participer à des guerres et subissaient bien souvent les attaques des anglais. Leurs outils étaient détruits, il ne leur restait plus qu’à tout recommencer. On vit dans ce livre les liens entre les français et les anglais, les combats pour les territoires de pêche, la piraterie. On apprend énormément de choses sur la façon dont ce mode de vie affectait les familles et les naissances, l’impact des conditions météorologiques sur le quotidien, les famines. On voit à travers leur histoire, les conditions de travail souvent pénibles, la compétition entre les pêcheurs, les rares bénéfices, le salaire final souvent insuffisant, les conditions déplorables de vie. C’était définitivement un monde très dur, caractérisé par les longues heures de travail.

« Nous avons déjà mentionné précédemment deux transactions impliquant François Larocque qui, dans un premier cas, avait offert du poisson en échange de sel et, dans un deuxième cas, s’était départi d’une paire de souliers pour obtenir du tabac. Il faut dire qu’à cette époque la monnaie courante et trébuchante est quasi absente et le troc associé au crédit est le moyen d’échange commercial prédominant. »

Ce que j’ai beaucoup aimé de ce livre, c’est tout ce qu’on apprend en parallèle: l’histoire des premiers colons et de la colonisation. Les déserteurs, les pêcheurs, les alliances avec les autochtones. Le métissage est beaucoup plus abordé au fur et à mesure qu’on avance dans le livre. On constate de quelle façon les liens entres les autochtones et les français se tissaient, la présence de la religion et sa façon de percevoir les autochtones, le jugement racial. On perçoit les différentes réalités au niveau des relations et des alliances entre blancs et autochtones.

J’ai appris énormément de choses intéressantes. Le livre regorge de faits étonnants et passionnants. C’est un ouvrage d’une grande richesse qui nous plonge dans un pan de notre histoire et nous permet de vivre le quotidien et les mœurs de l’époque: la façon de penser, de vivre et d’être, le travail de la pêche, la conservation des aliments, la vie familiale, le peuplement. Ces gens ont du bûcher quotidiennement pour simplement survivre. Dans ce livre, nous sommes témoins des changements survenus après l’installation des pêcheurs en Acadie, la vie sur l’eau, mais aussi comme cultivateurs. À travers la famille Mallet on vit ce que nos ancêtres ont pu vivre. En documentant la famille Mallet, l’auteur nous permet de plonger dans le quotidien de toute une époque.

« Leur engagement, en temps de paix, était habituellement volontaire. Lors d’une guerre, s’il manquait de marins pour compléter les équipages des vaisseaux du roi, des hommes de la marine royale procédaient régulièrement à la Presse dans un des villages du littoral. Celle-ci consistait en fait un enlèvement pur et simple d’hommes se trouvant malencontreusement sur le chemin des troupes de levées. On pouvait même aller jusqu’à boucler un port ou un village en entier et embarquer tous les jeunes gens valides en âge de connaître l’aventure. Cette méthode, quoiqu’expéditive, se soldait par des équipages inexpérimentés dont le taux de désertion était élevé. »

J’aime la généalogie et j’ai trouvé fascinant de découvrir la famille Mallet à travers une longue période. L’auteur aborde aussi l’histoire des déportations des acadiens. C’est un ouvrage qui nous touche. Je ne suis pas particulièrement fan des bateaux et de la pêche, mais j’adore l’histoire des gens et des sociétés. À ce niveau, le livre de Marc-André Comeau est exceptionnel. On vit littéralement le quotidien de ces pêcheurs de Normandie qui se sont installés ici.

Une histoire qui a des liens étroits avec notre propre histoire. Un ouvrage captivant parce que l’on apprend toujours quelque chose. Bien documenté, le livre est accompagné de quelques images, mais surtout de cartes pour mieux se situer. C’est un livre vraiment intéressant pour ceux qui veulent connaître l’histoire de la vie en Acadie et des pêcheurs. Riche et captivant!

Pêcheur normand, famille métisse, Marc-André Comeau, éditions du Septentrion, 306 pages, 2021

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