
«Ce jour-là, le 25 août 2015, l’événement n’est pas : un ours attaque une anthropologue française quelque part dans les montagnes du Kamtchatka. L’événement est : un ours et une femme se rencontrent et les frontières entre les mondes implosent. Non seulement les limites physiques entre un humain et une bête qui, en se confrontant, ouvrent des failles sur leurs corps et dans leurs têtes. C’est aussi le temps du mythe qui rejoint la réalité ; le jadis qui rejoint l’actuel ; le rêve qui rejoint l’incarné.»
Ce livre m’attirait beaucoup, tant à cause de sa couverture que de son résumé. C’est un récit que j’ai vraiment apprécié, où l’auteure, une jeune anthropologue, nous raconte ce qu’elle a subi le 25 août 2015, alors qu’elle est attaquée par un ours dans les montagnes du Kamtchatka. Je n’étais pas certain en commençant ce récit qu’il s’agissait de l’histoire de l’auteure, mais après quelques recherches, il s’agit bien d’une histoire vraie et donc, d’un récit autobiographique. Croire aux fauves est l’histoire de son tragique accident alors qu’elle se retrouve face à un ours et à tout ce qui en a découlé par la suite. C’est son histoire personnelle que Nastassja Martin nous raconte.
Cette rencontre brutale a naturellement changé sa vie. Son parcours est semé d’embûches, afin déjà de guérir, physiquement, puis de se libérer de ce tragique événement et de comprendre ce qui lui est arrivé. Elle va puiser de la force et de l’aide non pas dans notre monde « moderne » et urbain, mais plutôt dans la culture d’un peuple, les Évènes, qui va l’aider à y voir plus clair.
Le récit se déroule sur une année et chacun des chapitres porte le nom d’une saison. Tout le récit est en lien direct avec la nature, ce qui m’a évidemment beaucoup plu. Le travail d’anthropologue de l’auteure la pousse à aller dans les régions éloignées. Elle a un intérêt marqué pour les peuples qui y vivent et leur culture. Ici, il est surtout question des Évènes: leurs croyances, leur façon de se nourrir, de chasser, leurs mythes, leur regard sur la vie qui est différent du nôtre. Depuis qu’elle est toute petite, l’auteure a toujours eu une attirance et une soif de connaître ces modes de vie et d’en savoir plus sur la relation unique que ces peuples entretiennent avec la nature. C’est ce qui l’amène vers le métier qu’elle pratique.
Pour les Évènes, les rêves ont une signification et leur perception des choses est différente de la nôtre. L’ours a une présence significative dans le récit. Il est à la base de l’accident, mais il est aussi perçu différemment de notre façon moderne de voir cet incident. L’ours devient une part de l’auteure. Une part de ce qu’elle est. Sa compréhension de cet incident la poussera à trouver le moyen de se reconstruire.
« Je pense à mon histoire. À mon nom évène, matukha. Au baiser de l’ours sur mon visage, à ses dents qui se ferment sur ma face, à ma mâchoire qui craque, à mon crâne qui craque, au noir qu’il fait dans sa bouche, à sa chaleur moite et à son haleine chargée, à l’emprise de ses dents qui se relâchent, à mon ours qui brusquement inexplicablement change d’avis, ses dents ne seront pas les instruments de ma mort, il ne m’avalera pas. »
Après l’accident, elle est soignée en Russie puis elle retourne en France. Mais son parcours médical est rempli de difficultés: sa présence en Russie est considérée comme suspecte et son retour en France est difficile, avec sa blessure, mal perçue par la société. Elle a besoin de prendre du recul face au regard des autres, de tout le système médical. Elle a besoin de s’éloigner de tout cela pour revivre, pour être elle-même. Elle n’arrive pas à se sentir chez elle et elle retourne en Russie pour apprendre à vivre avec les conséquences de son accident et guérir, peu à peu. Retourner là-bas est une façon de retrouver une partie d’elle-même.
Dans le récit, le lecteur va vivre l’attaque de l’ours aux côtés de l’auteure, les hôpitaux et les chirurgies, ainsi que tous les questionnements relatifs à son état. Par la suite, l’auteure va tenter de comprendre la façon de penser des Évènes afin de guérir. Elle cherche le juste milieu, entre les croyances du monde moderne et les croyances ancestrales de ce peuple. Psychologiquement, juste avec le côté urbain et moderne d’aujourd’hui, il lui manque des réponses. Alors que ces peuples ont des connaissances qui permettent à une personne blessée ou souffrante, et ne retrouvant plus ses repères, de reprendre le cours d’une vie plus riche, d’élever son âme afin de se reconstruire.
« Maman, je dois redevenir matukha qui descend dans sa tanière pour passer l’hiver et reprendre ses forces vitales. Et puis, il y a des mystères que je n’ai pas fini de comprendre. J’ai besoin de retourner auprès de ceux qui connaissent les problèmes d’ours; qui leur parlent encore dans leurs rêves; qui savent que rien n’arrive par hasard et que les trajectoires de vie se croisent toujours pour des raisons bien précises. »
Un récit où la nature est omniprésente, un véritable parcours psychologique et spirituel, passionnant. C’est le récit d’une guérison et de l’apprentissage d’être à nouveau bien avec soi-même après une grande épreuve. C’est la recherche du juste milieu entre la part brutale de la bête et l’âme humaine. J’ai adoré ce livre. Je sais que l’auteure a écrit un autre livre avant celui-ci, qui aborde la résistance d’un peuple d’Alaska. Il me tente beaucoup.
Croire aux fauves est tout à fait le genre d’ouvrage que je relirais dans quelques années. Le côté psychologique est très intéressant car bien développé, entre les croyances ancestrales et le monde plus moderne de l’homme d’aujourd’hui. La plume est très belle. Je relirai bien cette auteure à nouveau, dont le travail d’anthropologue m’interpelle particulièrement.
Croire aux fauves, Nastassja Martin, éditions Gallimard, 152 pages, 2019