Deux poids deux langues

Deux poids deux languesEn 1763, la Grande-Bretagne prend possession du Canada. Après une période d’accommodation marquée par la volonté de certains d’assimiler les Canadiens français, ces derniers se regroupent pour faire reconnaître leur langue. Commence alors une longue histoire au cours de laquelle différentes conceptions de la dualité linguistique se succéderont. Serge Dupuis souligne l’inégalité des rapports de force entre le français et l’anglais, puis les efforts déployés par l’État fédéral, le Québec et les autres provinces pour rétablir une certaine équité ou, dans les moments malheureux, marginaliser la langue de la minorité. Cette synthèse suit l’évolution du bilinguisme franco-anglais au Canada, de la Conquête jusqu’à nos jours, en mettant de l’avant les tendances qui se sont imposées et les événements marquants.

Deux poids deux langues est un ouvrage hyper intéressant. Un livre qui devrait être lu d’ailleurs par tout francophone ou anglophone au pays, afin de mieux comprendre la réalité de chacun. Souvent, un livre de ce genre qui compile beaucoup de faits et tente d’expliquer une dualité compliquée, est trop didactique, plus complexe à lire. Sauf que ce livre-ci est vraiment bien fait. L’écriture est plus « libre », moins compacte et très accessible à un grand public.

Deux poids deux langues raconte notre histoire passée et présente, afin de mieux anticiper l’avenir des langues du Canada. Le propos capte rapidement notre intérêt puisqu’il parle de nous, d’une nation qui se bat depuis 1763, pour faire reconnaître la langue, les droits et la culture française de tout les canadiens. Cet ouvrage traite de la question linguistique au pays, à travers certains événements de l’histoire entre les francophones et les anglophones. Le livre touche à de nombreux thèmes, allant de la politique à la religion, en passant par la culture et l’éducation. En tant que québécois francophone, ce livre m’a permis de réaliser tout le travail fait par les francophones afin que leur langue soit reconnue. La langue anglaise a longtemps été la langue officielle, jusqu’à la reconnaissance (parfois très fragmentaire) du bilinguisme.

À travers les différents gouvernements qui ont été au pouvoir, on perçoit les façons différentes d’aborder la dualité linguistique. Certains ont été plus ouverts, plus conscients de l’importance du français au pays, alors que d’autres gouvernements ont plutôt fait reculer la question linguistique, considérant que le français n’est pas un enjeu très important. On comprend mieux pourquoi certains gouvernements ont tenté d’assimiler les francophones, alors que d’autres ont voulu travailler pour la reconnaissance du français.

Ce qui est déplorable, ce sont les façons de faire des différents paliers du gouvernement afin de limiter la présence francophone. En octroyant des « droits » aux francophones, mais en leur laissant une très mince marche de manœuvre pour être reconnus, il n’a jamais été simple de réussir à faire valoir les communautés francophones, surtout hors Québec. Les politiques d’immigration, en faisant beaucoup de place aux anglophones dans les autres provinces et en limitant l’arrivée des francophones dans les lieux où le français est déjà utilisé, fait diminuer le pourcentage de francophones dans les autres provinces et rend plus difficile pour ces communautés d’avoir des services en français. Les promesses de services d’éducation en français pour les communautés ne vivant pas au Québec n’ont pas souvent été réalisées. Ou alors, il y a un grand manque de cohérence dans leur application, si bien que pour ces communautés il est difficile de recevoir des services dans leur langue.

« En Nouvelle-Écosse, la province forme en 1996 un conseil scolaire provincial pour gérer les écoles acadiennes, mais le paragraphe 11 de l’Education Act réserve au ministre de l’Éducation la décision d’aménager ou de construire une école de langue française. En principe, le ministre accepte la construction de cinq écoles secondaires homogènes de langue française, mais il ne lance aucun chantier après trois ans. En arrivant au pouvoir en juillet 1999, les progressistes-conservateurs annulent ces projets, ce qui pousse les parents acadiens à recourir aux tribunaux. La cause entendue à la Cour suprême provinciale amène le juge Arthur LeBlanc à invalider la décision d’Halifax en avançant l’urgence d’agir pour contrer un taux d’assimilation devenu « inquiétant » chez les jeunes Acadiens. »

Je trouve triste que le Québec, qui a remporté certaines victoires au niveau de la langue, ait oublié les francophones hors Québec. On les a en quelque sorte laisser tomber. Avec le poids démographique francophone du Québec, on pourrait soutenir les francophones du reste du pays. On sent dans ce livre que pour les provinces, le bilinguisme officiel du pays ne leur facilite pas la tâche. Que ce serait beaucoup plus simple pour eux de n’avoir qu’à se soucier d’une seule langue: l’anglais. Un peu comme si les francophones étaient un poids pour le reste du pays.

Dans le livre, la politique tient une place importante. On apprend beaucoup de choses de ceux qui ont précédés notre gouvernement actuel. On réalise que la cause francophone a souvent été reléguée aux oubliettes. L’éducation et le droit à être servi en français en dehors du Québec est encore aujourd’hui une lutte pour les francophones qu’on tente d’assimiler.

Il est intéressant aussi de constater que l’éducation en français est parfois vu comme une richesse pour des familles anglophones du reste du pays et que si les gouvernements avaient souhaité promouvoir la langue française autant que la langue anglaise, il y aurait eu une belle possibilité de rendre les deux langues réellement accessibles pour tous et d’en faire un plus pour les citoyens. Dans les faits, le bilinguisme du Canada n’est pas vraiment ce qu’il devrait être. Cette idée fonctionne bien sur papier, mais très peu dans son application au quotidien avec les politiques en cours. La vulnérabilité des francophones hors Québec est très grande.

Deux poids deux langues est un essai très intéressant puisqu’il permet un éclairage à la fois pertinent et suffisamment abordable pour captiver le grand public. J’ai vraiment apprécié l’ensemble de cet essai, mais certaines parties ou anecdotes m’ont particulièrement intéressé. J’ai aimé mieux comprendre, au début du livre, pourquoi dans les différentes régions du Québec le français parlé peut être si différent. La langue étant une richesse qui s’est développée de différentes façons, en lien avec les lieux d’origine ou les contacts plus ou moins prolongés avec les Premières Nations.

On réalise également rapidement que le pays n’a pas connu qu’une guerre de langues mais également une guerre de religion. Il a fallu l’arrivée d’immigrants Irlandais, catholiques parlant anglais, pour que la religion catholique soit mieux acceptée, précédemment associée qu’aux francophones.

L’ouvrage, Deux poids deux langues, parle de dualité linguistique. Le livre aborde les conflits entre francophones et anglophones, mais vers la fin du livre, l’auteur aborde les langues des Premières Nations. Cette portion m’a particulièrement intéressé. J’aurais aimé en savoir plus, même si ce sujet n’était pas à la base le thème principal du livre. Avec l’utilisation des deux langues reconnues, l’anglais et le français, les langues amérindiennes sont passées à la trappe. Nous avions une soixantaine de langues parlées au pays, dont plusieurs sont disparues. Aujourd’hui, quelques initiatives sont faites pour tenter de sauver les langues toujours existantes, mais plusieurs disparaîtrons sans doute au cours des années à venir, le nombre de locuteurs ayant chuté malencontreusement, puisque ces langues ne sont pas valorisées. C’est d’une grande tristesse, puisqu’à la base, la terre sur laquelle nous vivons aujourd’hui avait une grande richesse linguistique que nous sommes en train de perdre. Les langues des Premières Nations devraient être reconnues et protégées.

Deux poids deux langues est un ouvrage passionnant, qui m’a permis de prendre encore plus conscience de la fragilité de la langue française au pays. Peu de lois existent pour protéger la langue, laissant souvent le libre choix aux provinces de faire (ou non) des démarches et des actions pour protéger les francophones et leur permettre de faire connaître leur culture, leur histoire et leur langue.

« Plus qu’un mode de communication, la langue et sa culture se transforment progressivement en arme pour résister à la domination britannique et promouvoir la reconnaissance des Canadiens français. »

Cet ouvrage nous permet d’ouvrir les yeux sur les combats faits pour protéger le français au pays et la façon dont les lois, les politiques gouvernementales ont abordé la question. J’ai appris à connaître le travail ou l’indifférence des gouvernements qui ont été en place dans le passé et le livre m’a permis de mieux comprendre une réalité dont on parle assez peu, la réalité des francophones hors Québec. Notre province a une place importante dans l’histoire francophone du pays, mais apprendre à connaître ce qui se passe dans les autres provinces aide à avoir encore plus envie de protéger notre langue. Elle est précieuse et unique, aussi importante que l’autre langue officielle du Canada.

L’ouvrage est complété par des tableaux explicatifs des pourcentages concernant l’utilisation des langues au pays. Les chiffes sont frappants parce qu’on réalise que partout ailleurs qu’au Québec, le nombre de francophones a chuté dramatiquement. Quelques photos accompagnent aussi parfois le texte.

Un ouvrage à lire si la dualité linguistique au pays vous parle. Un livre abordable et passionnant.

Deux poids deux langues. Brève histoire de la dualité linguistique au Canada, Serge Dupuis, éditions du Septentrion, 234 pages, 2019

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