Dans ces douze nouvelles qui se font écho, Maxim Loskutoff réinvente un Ouest américain au bord de la guerre civile. Explorant le destin de personnages ordinaires confrontés à la solitude des grands espaces et à la fragilité des sentiments, il dresse le tableau saisissant d’une Amérique désunie, qui semble aujourd’hui tristement réaliste. Une mère de famille tente de protéger ses deux fils lorsque son mari prend la tête de la rébellion contre le gouvernement fédéral ; un charpentier au chômage décide de rejoindre les rangs d’une milice armée après que sa femme l’a quitté ; un vieil arbre devient l’objet d’une obsession malsaine pour une jeune femme désenchantée ; un trappeur solitaire développe une étrange relation amoureuse avec un grizzly… Toutes ces histoires, tour à tour intimes et politiques, débordent de rage, de peur, d’amour et de frustration. Universelles et intemporelles, elles nous plongent au cœur des blessures éternelles de l’Amérique.
Je l’avoue, j’ai choisi ce livre à cause de sa couverture un peu décalée. Puis parce que c’était des nouvelles (j’aime les nouvelles) et que ça se déroulait dans l’Ouest américain. L’écriture me semblait bien, de même que la traduction. Je me suis plongée dedans et j’ai dévoré en un rien de temps chacune des douze nouvelles qui forment ce recueil.
Viens voir dans l’Ouest regroupe tout ce que j’aime d’un bon recueil de nouvelles. Des histoires un peu étranges, des personnages marginaux et une atmosphère particulière où l’on se sent un peu au bord d’un précipice. On ne sait jamais quand les choses vont déraper.
Les personnages sont particuliers. Ils sont « ordinaires » et on pourrait croire qu’ils se fondent dans la masse, mais ils sont trop différents des autres pour passer inaperçus. Ils vivent un malaise avec le reste des gens. Ils ont un pied dans la marge et restent un peu à l’écart de la société parce qu’ils ne sont pas comme les autres dans leur façon de vivre, de penser ou dans les épreuves qu’ils doivent traverser. Ce sont des « outsiders ».
« Je me suis demandé si mes parents avaient déjà connu des journées comme celle-ci. Marcher trop longtemps, aimer trop fort. Si les blessures finissaient par se refermer, ou s’il fallait vivre avec les cicatrices, parfois cachées, parfois non. Fragiles dans ce monde avec tant à perdre. »
L’atmosphère des nouvelles est inquiétante. Les choses vont en augmentant à mesure qu’on avance dans la lecture. On sent que le monde va forcément déraper, que quelque chose ne tourne pas rond. C’est très ténu au début, puis les trois dernières nouvelles présentent une Amérique au bord de la guerre civile. Le monde qu’on connaît n’existe plus. Ce sont sans doute les trois histoires les plus dures et les plus noires. L’homme étant ce qu’il est lorsque les lois n’existent plus…
Voici un petit résumé de chacune des histoires que l’on retrouve dans le recueil. La plupart ont été publiées précédemment dans des revues et des journaux aux États-Unis.
L’ours qui danse
Cette nouvelle se déroule au Montana, en 1893. Le narrateur passe ses journées à trapper, arpenter le bois, jusqu’à ce qu’il rencontre une femelle grizzli… de qui il tombe amoureux. Elle devient son obsession, sa folie…
Le temps de la fin
Un couple qui bat de l’aile se retrouve à faire beaucoup de route pour amener un coyote apprivoisé illégalement chez le vétérinaire. L’animal est aussi mal en point que leur relation amoureuse.
Papa a prêté serment
Cette nouvelle met plus clairement en scène la désobéissance civile et un pays en voie de devenir incontrôlable. Un homme, père de famille, est militant et lutte pour faire entendre les droits des citoyens à protéger des réserves naturelles. Les conséquences sont tragiques pour sa famille.
Viens près de l’eau
Un groupe d’amis, de jeunes adultes paumés, se retrouvent tous ensemble au chalet alors qu’un des leurs arrive et présente celle qui deviendra bientôt sa femme. C’est la faille dans le groupe.
Comment tuer un arbre
Kat, qui vient d’aménager dans une nouvelle région avec son mari, est obsédée par l’arbre au fond de sa cour qui lui fait vraiment peur. Parallèlement, elle prend conscience de l’homme avec qui elle vit et déchante un peu… On peut voir une sorte de métaphore dans cette nouvelle, du monde qu’on connaît qui meurt peu à peu…
Umpqua
Un couple bancal et mal assorti décide d’aller aux sources pour se baigner. Toutes les occasions sont bonnes pour se disputer. Bun est nonchalante et Russell, jaloux et contrôlant. Alors qu’il tente de continuer à vivre suite au décès de son meilleur ami, l’atmosphère électrique qu’il occasionne lui-même lui fait péter les plombs.
Reste avec moi
Cette nouvelle raconte plusieurs années dans la vie d’un couple qui tente de vivre avec les violences de leur région et de survivre à ce qui peut pourrir leur relation. Un chalet est le point culminant des moments importants de leur vie.
Mon Dieu, vous savez qu’on est tous les deux dans la même galère
Une mère de famille raconte l’histoire de sa fille, placée dans un institut. Alors que tout le monde croit que le comportement de la fillette est dû à un possible alcoolisme de la mère pendant la grossesse ou à un manque d’éducation, la mère en vient à la conclusion: sa fille est tout simplement méchante. Mesquine, mauvaise, terrifiante.
Proie
Derek vit en colocation avec son ami Jasper et la copine de celui-ci. Ils partagent l’appartement avec un python que Derek adore. Depuis quelques temps, le serpent a un drôle de comportement. L’animal fera basculer le mince univers de Derek.
Trop d’amour
Un homme s’est fait larguer par sa femme, partie rejoindre un autre homme. Le monde est au bord de la crise, il n’y a plus d’appartements ni de travail. L’homme se résout donc à retourner chez sa mère, dans un monde où il y a des frappes aériennes et où les cadavres s’accumulent…
Récolte
Dans un monde où la propagande envoie en boucle des idées pour « construire une nouvelle nation », un combattant profite du décès de son compagnon d’armes pour récupérer sa ferme avec l’intention de s’occuper de sa femme et de sa fille. Ses méthodes sont pour le moins dérangeantes.
La Redoute
Dernière nouvelle du recueil, cette histoire suit deux jeunes qui viennent de la montagne et tentent d’échapper à la guerre qui y sévit. Ils sont blessés et trouvent ce qu’ils croient être un refuge chez un vieil aubergiste inquiétant…
Les nouvelles de ce recueil m’ont semblé plutôt égales mêmes si elles sont toutes fort différentes. Le talent de Maxim Loskutoff dans ce recueil est certainement de réussir à insuffler la vie aux courts univers qu’il crée. On sent que ses personnages existent, que le monde qu’il nous décrit est là et on lit sans pouvoir en sortir. C’est prenant et bien écrit.
Viens voir dans l’Ouest est l’un des recueils de nouvelles les plus forts que j’ai pu lire ces dernières années. Il amène une réflexion et des images qui restent en tête encore longtemps après la lecture. Le fil conducteur du recueil – un monde au bord de l’abîme, à petite et grande échelle – est terrifiant. Maxim Loskutoff est un jeune auteur à surveiller, assurément!
Pour revenir à la couverture du roman dont je parlais un peu plus haut, il s’agit d’une représentation du tableau Young Life de Bo Bartlett. Les œuvres de cet artiste ont toutes un petit quelque chose de dérangeant qu’on ne remarque pas forcément au premier coup d’œil. Son travail me plaît beaucoup. Le tableau colle parfaitement à l’univers un peu décalé des nouvelles de Loskutoff.
Viens voir dans l’Ouest, Maxim Loskutoff, Terres d’Amérique, éditions Albin Michel, 255 pages, 2019
C’est vrai que la couverture est attirante. Jamis lu Maxim Loskutoff. Alors merci pour la recommandation sur ce jeune auteur!
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Bonne lecture si tu te lances! J’espère que l’auteur publiera autre chose 🙂
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