Les chants du large

les chants du largeIl y a, sur une île éloignée, une famille qui lutte pour freiner l’inéluctable exode. Alors que le nombre d’habitants et de bateaux diminue, les Connor s’attendent au pire. Cora tue le temps en décorant les maisons abandonnées aux couleurs de pays lointains, tandis que ses parents sont contraints d’accepter un emploi en alternance au loin. Puis il y a Finn, l’ingénieux garçon du clan qui, du haut de ses onze ans, toise la tempête qui se profile à l’horizon. Il ne laissera pas sa famille cabossée couler ainsi. Il fera revenir les poissons.

J’ai tellement aimé ce roman! Quand je l’ai commencé, le résumé me plaisait, mais je ne m’attendais pas du tout à ce genre de livre. Après quelques pages j’étais envoûtée. Je l’ai lu en deux jours, complètement absorbée par l’histoire. En fait, c’est plus que l’histoire. C’est surtout la façon de la raconter qui m’a profondément touchée. Une écriture délicate, parfois hachée, qui laisse par moments de grands blancs, de grands vides, comme le vent. Des blancs pour laisser passer le temps, pour montrer l’attente ou la solitude. Une répétition de mots, de bouts de chansons, de dialogues qui n’en sont pas tout à fait. Des passages du présent, qui parlent de Cora et Finn, et des passages du passé pour raconter aussi Aidan et Martha, leurs parents. Le même coin du monde, deux époques différentes qui se ressemblent tout de même un peu. Et la mer, toujours, pleine de promesses mais aussi de périls.

« Quand un corps, ou deux, s’embarque sur un bateau et ne revient pas après une tempête, les gens disent qu’il s’est noyé, même s’il existe, vraiment, d’innombrables façons de perdre la vie. »

À l’époque de Cora et de Finn, le hameau se vide de ses habitants. Il n’y a plus de poissons, donc plus de travail. Les gens abandonnent tout pour partir travailler ailleurs. Même le boulanger est parti, cuisinant ses derniers ingrédients pour ne pas les perdre et les offrant aux villageois avec la simple note: « Servez-vous s’il vous plaît. »

Aidan et Martha n’ont pas totalement abdiqué. Ils vivent toujours au village au bord de l’eau, mais quittent la région à tour de rôle pour partir travailler en Alberta. Ils travailleront sur les chantiers chacun leur mois, avant d’inverser les rôles. Pendant l’absence de l’un ou l’autre des parents, Cora utilise les guides de voyage du biblio-bateau pour recréer le monde dans les maisons abandonnées par les marins.

Puis, Finn trouve un poisson dans une mer qui ne devrait plus en contenir, faisant affluer les journalistes, et Cora disparaît. Aidan et Martha s’éloignent l’un de l’autre, pendant qu’une ancienne championne olympique revient au hameau et que d’étranges lettres arrivent peu à peu dans les maisons vides reconverties en pays. Emma Hooper nous amène dans un monde à la fois délicat et étrange où les éléments sont durs, mais représentent aussi le quotidien de gens pour qui la mer est le monde.

Les chants du large est un roman d’amour, mais pas au sens où la plupart des gens l’entendent. C’est un roman sur l’amour de la mer, la place qu’elle prend dans la vie des insulaires. Un roman sur l’amour entre un pêcheur et une tisseuse de filets. Entre un frère et une sœur. Entre des adultes qui se sont perdus puis retrouvés. Un roman sur l’amour d’un lieu, qu’on aime, qu’on déteste, qu’on veut parfois quitter mais où l’on revient toujours. À la fois s’inspirant des chansons de marins, de la mer et des contes, avec un petit quelque chose de l’émerveillement qui leur est associé.

« Tout le monde croyait, tout le monde savait que les sirènes étaient les morts de la mer qui vous chantaient leur amour. Quand la pluie ou les vagues ne faisaient pas trop de bruit, vous pouviez les entendre dans le vent, la plupart des nuits. »

Les personnages d’Emma Hooper sont des gens de peu de mots, qui communiquent beaucoup plus à travers leurs gestes et à travers la musique. Quelques gestes posés pour raconter la tristesse, le plaisir, l’impatience, le désir, l’amour. L’importance magnifiée de petites choses qui représentent, en fin de compte, tout. L’importance d’une plume d’oiseau, des filets de pêche, des mots. Mais la musique, toujours présente, rythme le texte et le quotidien des personnages.

« C’est très important, insista Aidan. C’est très, très important que tu continues ta musique, un point c’est tout.

Mais papa, c’est plus important que des chaussures? demanda Cora. Tu crois? Vraiment?

Oui ça l’est, dit son père. »

L’humanité avec ses failles et ses grandeurs dans tout ce qu’elle a de plus simple. L’importance des toutes petites choses, dans un monde abandonné où ne reste que l’espoir du retour des poissons, l’attente d’une vie presque normale.

L’originalité de ces mêmes petites choses, dans les maisons délaissées des pêcheurs,  l’imagination de Cora qui fait venir le monde à Big running, alors que le monde l’a justement abandonné. L’atmosphère qui sent la mer salée, l’humidité, les chandails de laine et le kool-aid au raisin.

Un livre que je relirai, pour retrouver cet univers si particulier, mais au fond si simple, qui raconte une histoire presque universelle, d’une façon unique. Une auteure dont je veux aussi découvrir le premier roman, Etta et Otto (et Russell et James).

Les chants du large est un coup de cœur, sûrement une de mes lectures les plus marquantes de l’année. J’ai aimé passionnément ce livre au point d’avoir envie de me perdre dedans, d’y rester un moment. Une belle découverte, une lecture envoûtante, qui m’a accompagnée et enveloppée pendant deux jours. J’espère simplement que vous y trouverez ce que moi j’y ai trouvé.

Le plaisir et l’envoûtement. La musique. Et un peu aussi, le vent du large…

Les chants du large, Emma Hooper, éditions Alto, 448 pages, 2018

8 réflexions sur “Les chants du large

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