Kentucky Straight

Kentucky Straight« Personne sur ce flanc de colline n’a fini le lycée. Par ici, on juge un homme sur ce qu’il fait, pas sur ce qu’il a dans la tête. Moi, je chasse pas, je pêche pas, je travaille pas. Les voisins disent que je réfléchis trop. Ils disent que je suis comme mon père, et maman a peur que peut-être ils aient raison. »
Le Kentucky Straight est un bourbon pur. Chris Offutt raconte un Kentucky qui ne figure sur aucune carte. Des histoires de familles, d’hommes et de femmes âpres et dignes, à l’image de ce pays où on l’on apprend très jeune le sens du mot « survie ».

Kentucky Straight est un recueil de neuf nouvelles parfaitement maîtrisées. Les histoires racontées par Chris Offutt se déroulent dans les collines du Kentucky, au pied des Appalaches. Les familles qui y vivent sont pauvres, leurs actions sont souvent dictées par la Bible et par certaines croyances. Ils n’ont pas beaucoup de scolarité et les enfants qui grandissent savent rapidement que tout se joue sur la survie dans ce pays rude et difficile. La région n’est pas très attractive, plutôt éloignée de tout, boueuse, pluvieuse, coincée dans les collines et offrant à la vue un « paysage vertical ».

« Personne ne vient. Ici, c’est un endroit d’où les gens partent. »

Le talent de Chris Offutt est de créer des petites mondes qui se suffisent à eux-même. Chaque nouvelle a un cadre bien particulier, présente des personnages qui sont élaborés et le lecteur est rapidement happé par le quotidien âpre de ces hommes et ces femmes. C’est un réel exploit en si peu de pages.

La nature est hostile et source de danger, alors que l’humain lui, est parfois encore plus inquiétant. Tout le monde se connaît, tout le monde a des liens, mais chacun fait sa petite affaire dans son coin.

Les personnages ne sont pas toujours conscients de leur position dans la société. Ils vivent un peu à part, dans un microcosme. La nature est parfois hostile dans ce pays, mais les connaissances qu’il faut avoir pour survivre contrebalancent celles qu’on apprend sur les bancs d’école.

« Je me baladais dans les collines en pensant à ce que je connaissais sur la forêt. Je sais dire le nom d’un oiseau à son nid et d’un arbre à son écorce. Je sais qu’une odeur de concombre signifie qu’une vipère cuivrée n’est pas loin. Que les mûres les plus sucrées sont près du sol et que le robinier fournit les meilleurs piquets de clôture. Ça m’a fait drôle d’avoir dû passer un test pour apprendre que je vivais en dessous du seuil de pauvreté. »

Les nouvelles du recueil m’ont toutes beaucoup plu. Les personnages sont variés: des hommes, des femmes, des travailleurs, des jeunes aussi. La première nouvelle, La sciure, commence par l’extrait en résumé. C’est une histoire qui amène une réflexion sur l’étude et le travail dans ce coin du monde, racontée par un jeune homme. Idem pour Blue Lick River, dont le personnage principal, qui est encore un enfant, se frotte à l’administration. Élévation et Mauvaise herbe parlent de travailleurs (au sens large dans certains cas), alors que Ceux qui restent et Tante Granny Lith abordent les croyances. Ces deux nouvelles débordent un peu de notre monde et ont des airs d’histoires fantastiques. Ou presque. Un petit quelque chose de mystérieux qui m’a bien plu. Les deux nouvelles intitulées Le billard et Le fumoir parlent de jeu et de leurs conséquences.

Les femmes ne sont pas épargnées dans ces nouvelles, même si ce sont souvent les hommes qui meurent et sont blessés, les femmes restent pour s’occuper de ce qui est encore là.

« La pire chose que j’aie jamais faite a été de survivre à mon épouse. Les femmes ont la vie dure par ici. J’dis pas que les hommes se la coulent douce, j’ai un frère bûcheron qui s’est pris un arbre sur la tête, c’est juste que les femmes ont même pas les petits moments de détente des hommes. »

Le monde de Kentucky Straight est un monde où chacun a un fusil à portée de main, où l’on joue à l’argent pour se désennuyer, où l’on meurt souvent trop jeune, où l’on boit beaucoup. Un monde où chacun essaie de tirer son épingle du jeu, quitte à frayer avec ce qui n’est pas tout à fait légal ou à se battre pour parvenir à ses fins. Malgré tout, l’auteur nous offre le portrait de gens qui vivent et se débrouillent comme ils le peuvent, souvent avec ce qui se trouve à portée de main. Comme le dit si bien un des personnages:

« Les gens n’aiment pas les chouettes parce qu’elles vivent dans les cimetières, mais il se trouve qu’elles ont besoin d’un grand arbre et qu’on ne coupe pas les arbres des cimetières. N’aie jamais peur de quelque chose à cause de là où il vit. Ça vaut aussi pour les gens. »

Un auteur à découvrir, assurément!

Kentucky Straight, Chris Offutt, éditions Gallmeister, 176 pages, 2018

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5 réflexions sur “Kentucky Straight

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