Jours barbares

jours barbares photoLe surf ressemble à un sport, un passe-temps. Pour ses initiés, c’est bien plus : une addiction merveilleuse, une initiation exigeante, un art de vivre. Élevé en Californie et à Hawaï, William Finnegan a commencé le surf enfant. Après l’université, il a traqué les vagues aux quatre coins du monde, errant des îles Fidji à l’Indonésie, des plages bondées de Los Angeles aux déserts australiens, des townships de Johannesburg aux falaises de l’île de Madère. D’un gamin aventureux, passionné de littérature, il devint un écrivain, un reporter de guerre pour le New Yorker. À travers ses mémoires, il dépeint une vie à contre-courant, à la recherche d’une autre voie, au-delà des canons de la réussite, de l’argent et du carriérisme ; et avec une infinie pudeur se dessine le portrait d’un homme qui aura trouvé dans son rapport à l’océan une échappatoire au monde et une source constante d’émerveillement. 

J’avais très envie de lire Jours barbares dont j’entends beaucoup parler depuis un moment. Sous-titré Une vie de surf, ces mémoires du journaliste William Finnegan du New Yorker se lisent comme un roman. Je ne pensais pas me laisser happer aussi facilement par le récit qu’il nous fait de son enfance, son adolescence, ses vagabondages à l’âge adulte et sa vie professionnelle, toujours en étant rythmé par le surf. Le livre est passionnant et je crois que c’est essentiellement dû à la façon qu’a Finnegan de raconter. Ça se lit tellement bien, on entre dans ses souvenirs, on le laisse nous parler avec lucidité de son parcours, des lieux qu’il a habité, de ses premiers pas dans la vie adulte et de ses premier balbutiements en tant que journaliste.

Jour barbares débute en 1966. William a 14 ans. C’est un expatrié – à cause du travail de son père – qui vient d’arriver à Hawaï et qui surfe depuis trois ans déjà.

« Je n’ai même pas envisagé, serait-ce fugacement, que je pouvais avoir le choix entre surfer et m’en abstenir. »

Il nous parle de son excitation de surfer à Hawaï, mais aussi des problèmes d’intégration quand on est un haole (un non-autochtone). Il y est beaucoup question de racisme par exemple, mais aussi de l’histoire du surf, de la culture hawaïenne et des peuples autochtones de l’île.

C’est d’ailleurs sans doute un des aspects vraiment très intéressant du livre, cette remise en contexte, dans la société où se déroule le récit, de ce qui se passait à cette époque-là. Il aborde de grandes questions comme la ségrégation raciale, l’apartheid, les droits civiques, la politique, l’environnement, tout en gardant comme fil conducteur le surf. J’aime les gens passionnés, leur façon de parler de leur passion, la lumière qui les anime , peu importe ce qui les fait vibrer. Finnegan réussit à nous transmettre cette étincelle à travers les hauts et les bas reliés à la pratique de ce sport, devenu une véritable religion.

Le livre est à la fois un récit de voyage, une autobiographie, un ouvrage sportif, un roman, un livre sociologique, ce qui en fait une lecture passionnante, à la fois instructive et divertissante. L’ouvrage regorge de références intéressantes. Beaucoup liées au monde du surf, naturellement, mais aussi de films et de musique. Il contient énormément de références littéraires, de James Michener en passant par Moby Dick. Il y a également des références à Jack Kerouac, ce qui m’a réjouie, mais pas vraiment étonnée! En tombant sous le charme de cet écrivain-phare de la Beat Generation, Finnegan et un ami décident de traverser les États-Unis. Le voyage est au cœur de sa vie, même si le surf demeurera toujours en première place. C’est d’ailleurs le surf qui pousse au voyage.

« Nous étions des bêtes curieuses, des émissaires, un objet d’amusement. Personne ne comprenait ce que nous cherchions. Nous regrettions de n’avoir pas emporté au moins un magazine de surf. Les livres de poche imbibés de pluie au fond de nos sacs à dos ne nous étaient visuellement d’aucun secours. (Tolstoï ne surfait pas.) »

William Finnegan signe un très beau livre et retrace des moments qui sont importants afin de comprendre aussi le monde, ainsi que la société américaine. Le surf est toujours là, jamais très loin, mais l’auteur a tout de même vécu beaucoup de choses. Il a longtemps vibré uniquement pour le surf, de voyages en voyages, avant de faire toutes sortes de boulots alimentaires, d’écrire, d’être libraire, d’enseigner, puis de devenir journaliste et correspondant de guerre, mari et père de famille.

Le livre est complété par un glossaire du surf en fin de volume, glossaire grandement apprécié quand on n’est pas soi-même surfer. Des photographies en noir et blanc agrémentent chaque début de chapitres. Je trouve que cet ajout est un petit plus au plaisir de découvrir l’histoire de l’auteur et de le suivre dans ses voyages de surf un peu partout dans le monde.

« …le surf devint pour moi un excellent refuge, un rempart contre tout conflit – une raison de vivre, dévorante, physiquement épuisante et riche de joies. Il traduisait aussi très clairement – par sa futilité vaguement hors-la-loi, son renoncement à tout travail productif -, le désamour que je ressentais vis-à-vis du système. »

Voyages, d’ailleurs, qui n’ont pas toujours été de tout repos, qui l’ont éloigné de sa famille, l’ont parfois rendu malade et ont créé un grand décalage entre lui et les autres personnes qu’il côtoyait avant. Par moment d’ailleurs, l’appel des vagues a été moins fort que d’autres centres d’intérêt, comme le journalisme par exemple, qui lui permet de découvrir d’autres mondes, mais le surf est toujours là, même quand la passion est moins vive. En tournant la dernière page, je réalise que le sous-titre du livre, Une vie de surf, prend vraiment tout son sens.

Je ne crois pas qu’on doive surfer pour apprécier ce livre. Oui, l’auteur parle beaucoup de nombreux aspects de ce sport: les planches, les vagues, les modes au fil du temps, les spots pour surfer, les communautés de passionnés, les dangers et la dopamine qui sont en ligne directe avec le fait de monter sur une planche. Mais c’est avant tout un récit qui est passionnant dans son contexte social, politique et culturel de l’époque.

J’étais certaine d’aimer ce livre lorsque je l’ai commencé, mais je ne pensais pas prendre autant de plaisir à le lire. Je pouvais dévorer une centaine de pages par jour, attendant toujours le moment de reprendre l’histoire. C’est fluide, bien écrit (et bien traduit), amusant par moments. J’ai appris beaucoup de choses, d’abord sur le surf, un sport qui m’intéresse bien, mais que je n’ai jamais pratiqué. Il y a également beaucoup d’informations sur l’époque, la façon dont le surf était vécu et perçu, mais aussi l’évolution de la société en général. Jour barbares est bien plus qu’un livre sur le surf, bien plus aussi que des mémoires. C’est à la fois le récit d’une grande passion, les mémoires d’un écrivain de talent et un portrait fascinant de la société de 1966 à 2015.

Aujourd’hui paraît au Québec la version poche du livre de William Finnegan, Jours barbares. C’est une excellente occasion de découvrir ce livre fabuleux! Je vous le suggère fortement. D’ailleurs, la chaleur actuelle se prête bien à cette lecture. C’est un livre qui sent l’été et qui donne envie d’eau et de soleil.

Ce livre a remporté le Prix Pulitzer 2016 dans la catégorie Mémoires et le Prix America 2017.

Jours barbares, William Finnegan, éditions du sous-sol, 528 pages, 2017

8 réflexions sur “Jours barbares

  1. Tu me donnes très envie de le lire ! Il ne m’avait pas attirée lors de sa sortie en grand format, mais quand nous l’avons reçu en poche avant l’été, j’étais plus curieuse et ton billet attise mon intérêt !

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    • C’est une lecture que j’ai vraiment appréciée, surtout parce qu’en lus du surf, on y parle de l’époque, de l’évolution des mentalités et de toutes sortes de sujets. L’auteur y est très lucide sur lui-même. Je te le conseille, j’espère qu’il te plaira!

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